En apparence, la scène politique nationale ressemble à un long fleuve tranquille. Officiellement, tout le monde dans les cercles proches du pouvoir est pour la candidature d’Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat, en dépit des incertitudes liées à son état de santé.
Mieux, la reconduction du chef de l’État n’a jamais autant fait l’unanimité. Les appels à la continuité se succèdent depuis avril dernier et on a même assisté à une surenchère des soutiens du président, la palme revenant au désormais ex-SG du FLN, Djamel Ould Abbès, qui est allé jusqu’à annoncer officiellement, du moins solennellement, la candidature de Bouteflika au nom du parti sans même attendre l’avis du principal concerné. Aucune voix n’est sortie des rangs.
Le FCE, l’UGTA et les autres organisations de masse ont fait montre du même zèle. Même l’opposition, incapable de s’unir et de s’entendre sur un candidat du consensus, semble résignée.
Comme l’a expliqué ce week-end le chef du MSP, elle ne souhaite pas s’engager dans une course électorale en l’absence de visibilité et de garanties. La hiérarchie militaire ? Rien ne permet raisonnablement de penser qu’elle aurait des velléités de contrarier la continuité. À chaque fois qu’il s’exprime officiellement, le patron de l’armée, qui occupe également les fonctions de vice-ministre de la Défense nationale, rappelle sa fidélité ainsi que celle de l’ANP au chef suprême des forces armées, qui n’est autre que le président de la République.
Officiellement et jusqu’à preuve du contraire, elle s’en tient à ses strictes « missions constitutionnelles » qui n’incluent aucunement une interférence dans une joute électorale fut-elle cruciale et décisive pour l’avenir du pays.
Même Saïd Bouhadja, le président déchu de l’APN, n’avait pas, au plus fort du bras de fer qui le mettait aux prises avec les députés de la majorité, laissé apparaître le moindre signe que sa fronde était dirigée contre le chef de l’État auquel il a du reste réitéré sa fidélité plus d’une fois.
Pourtant, ce n’est pas la lecture qu’invite à faire le dernier discours du président de la République lu en son nom devant les walis, mercredi 28 novembre.
Bouteflika est complètement sorti de ses gonds, usant d’une rhétorique peu ordinaire. Que l’on juge : « Cellules dormantes », « prédateurs », « guerre intestine » et surtout « des faucilles du massacre qu’ils n’hésiteront pas à utiliser pour faire basculer le pays dans l’inconnu ».
Qu’est-ce qui peut bien justifier une telle brusquerie – et le mot est trop faible ? C’est le genre de discours servi d’ordinaire pour s’en prendre à la fameuse main étrangère. Sauf que cette fois, il est évident que la cible du courroux présidentiel est aussi à l’intérieur, peut-être même tapie au sein des partis censés le soutenir, voire au fond des institutions de l’État.
Sinon, quel sens donner à cette étrange invitation du président aux responsables de « s’engager pleinement dans les options politique et économique nationale ou d’en sortir définitivement » ? Ou encore à cette énigmatique sentence : « Le temps des demi-mesures est révolu ».
Ali Haddad, réputé très proche du cercle présidentiel, a paraphrasé ce samedi à Annaba le chef de l’État à la virgule près, invitant lui aussi ceux qui tiennent « le bâton par le milieu » à se décider. Seddik Chihab, porte-parole du RND, a expliqué, ce samedi aussi dans une déclaration à TSA Arabi, que le président visait « ceux qui mangent avec le loup et pleurent avec le berger ». Le nouveau patron du FLN Moad Bouchareb a dit qu’il doit “prendre le bâton de là où il faut le prendre”.
Traduits, tous les propos de Bouteflika signifient que des responsables politiques ou autres défendent publiquement une option et travailleraient en coulisses pour d’autres plans. De l’hypocrisie politique en somme.
Reste à savoir quels sont ces nouveaux « machiavels » et surtout, pourquoi ils adoptent une telle attitude. Rejeter le cinquième mandat et afficher ses ambitions n’ont rien d’une hérésie au vu de la santé plus qu’incertaine du chef de l’État.
Mais les partisans du changement, s’ils existent, ne s’affichent pas publiquement à moins de cinq mois du scrutin et à un petit mois de la période où toutes les candidatures devraient être connues, y compris celle du président sortant, s’il devait rempiler bien sûr.
Qu’attendent-ils ? Une injonction franche de quelque partie supposée « puissante » ? Redoutent-ils de revivre la désillusion de ceux qui s’étaient empressés en 2003 de suivre Ali Benflis qu’ils croyaient adoubé par l’institution militaire ? Le manque de visibilité n’est en effet pas propice pour la prise de positions franches pour un personnel politique dont la science se limite à la lecture du sens du vent.
Sans doute que le président Bouteflika a trouvé les mots justes pour décrire l’attitude de ses faux partisans.
Autre question qui taraude l’opinion depuis le discours présidentiel : quel crédit accorder aux lectures qui donnent Ahmed Ouyahia première cible de la colère de Bouteflika ? Le président n’a, en toute logique, aucune raison de s’en prendre publiquement à son Premier ministre qu’il peut du reste limoger à tout au moment pour moins que ça. Certes, mais à quoi rimaient donc les attaques de Tayeb Louh, un proche du cercle présidentiel, à l’encontre du même Ouyahia ?