C’est avec retard, et juste à la veille de l’Aïd, que les résultats de la balance des paiements pour 2018 ont fini par être communiqués officiellement. Selon nos sources, ils étaient prêts depuis plus de 2 mois. Le ministre des Finances, Mohamed Loukal, a préféré, après son départ de la Banque d’Algérie, en réserver la primeur au gouvernement Bedoui dans un exposé sur la situation financière du pays qu’il a délivré à l’occasion du conseil du gouvernement du 8 mai dernier. Le même conseil du gouvernement qui a justement décidé de « mesures d’urgences » pour préserver les réserves de change.
La fonte s’accélère
C’est la principale information qui a été retenue du dernier rapport de la Banque d’Algérie et certainement celle qui a le plus fortement impressionné le gouvernement Bedoui.
Malgré des prix pétroliers élevés et un baril qui a atteint en moyenne 71,5 dollars l’année dernière, les réserves officielles de change ont encore chuté fortement au cours de l’année 2018. Près de 17,5 milliards de baisse en 1 an. Elles passent symboliquement sous la barre des 80 milliards de dollars à la fin 2018.
Le retard accusé par la publication de ces informations sur la situation financière de notre pays a pour conséquence qu’elles sont aujourd’hui déjà assez largement dépassées.
Selon nos sources, les réserves de change ont continué à fondre à un rythme à peu près inchangé depuis le début de l’année 2019. À la fin du premier semestre elles devraient se situer à un niveau proche de 71 milliards de dollars.
La fonte des réserves se poursuit donc à un rythme très élevé. Depuis le pic de 194 milliards de dollars atteint en 2014, elles se sont contractées ainsi de près de 60%.
Le « vrai » déficit commercial
Les causes principales de cette nouvelle réduction importante des réserves en 2018 sont clairement énumérées par la Banque d’Algérie. C’est d’abord d’un déficit commercial proche de 7,5 milliards de dollars. Il s’agit d’un chiffre sensiblement plus élevé que celui des douanes algériennes qui évoquaient un déficit de « seulement » 5 milliards de dollars pour la même période. Une différence imputable essentiellement à une révision en hausse du montant des importations par la Banque d’Algérie.
On connaît la cause de cet écart « traditionnel » entre les estimations des 2 institutions : la Banque d’Algérie prend en compte la totalité des importations tandis que les douanes ne « tiennent pas compte » des importations de matériel destinées à la Défense nationale.
Pour la Banque d’Algérie, les importations ne diminuent pratiquement plus depuis 2 ans. Elles ont encore atteint l’année dernière 48,6 milliards de dollars soit nettement plus que les 46 milliards annoncés par les douanes.
Des importations de services toujours très élevées
Mais en réalité, le commerce de marchandises n’est pas le seul, ni même le premier responsable de nos déficits extérieurs. Ce sont les échanges de services qui aujourd’hui prennent le relais.
Il s’agit principalement du paiement de services techniques dans le secteur pétrolier ou de services de transport et d’assurance de nos importations ainsi que de la rémunération des activités d’entreprises étrangères dans les domaines du bâtiment et des travaux publics.
Ce poste de la balance des paiements a accusé en 2018 un déficit d’un peu plus de 8 milliards de dollars qui ne s’est pas réduit au cours des dernières années. Il s’est ajouté au déficit commercial pour gonfler le déficit global de nos échanges extérieurs à 15, 8 milliards de dollars en 2018.
Les variations des cours des monnaies sur les marchés de change internationaux ont fait le reste. En 2018, la hausse de l’euro par rapport à la devise américaine a joué contre la valeur de nos réserves exprimées en dollars qui se sont contractées d’un montant supplémentaire de 1,7 milliard de dollars selon les chiffres de la Banque d’Algérie.
Quel impact pour les « mesures d’urgence » en 2019 ?
Depuis le début de l’année, on assiste à une réduction semestrielle de plus de 8 milliards de dollars qui est d’un montant analogue voire légèrement supérieur à celui enregistré en 2018. Et pour cause : les importations de biens et de services sont pratiquement sans changements tandis que les exportations pétrolières accusent une légère diminution depuis le début de l’année.
En 2017, les réserves officielles de change étaient passées sous la barre des 100 milliards de dollars. La Banque d’Algérie vient de confirmer leur réduction à moins de 80 milliards fin 2018. On peut désormais se demander, et c’est sans doute ce qui inquiète le gouvernement, si elles ne risquent pas de tester la barre des 60 milliards de dollars dès la fin de l’année en cours.
Cette hypothèse est actuellement renforcée par la chute des cours pétroliers qui ne sont que très légèrement supérieurs à 60 dollars depuis le début du mois de juin.
Les « mesures d’urgences » annoncées le 8 mai dernier et confirmées avant l’Aïd n’auront en réalité qu’un impact assez peu significatif. Leurs premiers effets éventuels devraient être enregistrés seulement au second semestre.
Dans leur version actuelle, elles prévoient un contingentement des importations de kits destinés à l’industrie du montage automobile qui devrait permette en 2019, selon des estimations optimistes, une économie inférieure à 500 millions de dollars par rapport à la facture de 2018. L’extension de ces mesures au montage des véhicules utilitaires pourrait économiser quelques centaines de millions de dollars supplémentaires. Un impact largement insuffisant pour enrayer la chute des réserves de change qui devrait se poursuivre à un rythme élevé d’ici la fin de l’année en cours.
Une inquiétante baisse tendancielle des exportations d’hydrocarbures
Un autre aspect du rapport de la Banque d’Algérie est susceptible d’éclairer les principaux défis économiques auquel va faire face notre pays au cours des prochaines années. Les rédacteurs de ce rapport ont pris l’habitude salutaire d’alerter sur ce qui apparaît comme une inquiétante baisse tendancielle de nos exportations d’hydrocarbures.
Le rapport publié avant l’Aïd revient à la charge sur ce chapitre en prenant ainsi le contre-pied de la version officielle des derniers gouvernements. Pour la Banque d’Algérie, les exportations pétrolières ont bien « augmenté en valeur à 38,9 milliards de dollars, contre 33,2 milliards en 2017, soit une hausse de 17,2 % ». Une hausse obtenue grâce à l’embellie sur les prix.
En revanche les exportations d’hydrocarbures « ont reculé en volume à 99,9 millions de TEP en 2018, et sont en baisse de 7,7 % par rapport à l’année 2017 »
La Banque d’Algérie ajoute que « la baisse des quantités d’hydrocarbures exportées, exprimées en tonnes équivalent pétrole (TEP), entamée au premier semestre de 2017, s’est poursuivie au cours des deux semestres suivants, passant de 54,9 millions de TEP au premier semestre de 2017 à 53,2 millions de TEP au second semestre de la même année et à 52,1 millions de TEP au premier semestre de 2018 ».
Au second semestre de 2018, la baisse s’est encore accélérée pour atteindre 47,7 millions de TEP, soit une diminution de 8,5 % par rapport au premier semestre de 2018 » détaille la Banque centrale.
On sait que les derniers gouvernements, ainsi d’ailleurs que les dirigeants de Sonatrach, ont tenté de minimiser l’importance de ces évolutions en les attribuant pour l’essentiel aux « quotas imposés par l’OPEP ».
La plupart des spécialistes évoquent au contraire la combinaison d’une baisse de la production et d’une augmentation de la consommation interne de gaz et de carburants.
Comme une illustration spectaculaire de cette tendance, la consommation nationale de carburants, stimulée par des prix à la pompe qui figurent parmi les plus bas du monde, était encore en hausse de plus de 5 % au premier trimestre de 2019 selon des informations officielles rendues publiques la semaine dernière.
Il ne faut sans doute pas chercher beaucoup plus loin le sens des conclusions du rapport de la Banque d’Algérie qui insistent sur « la nécessité d’efforts d’ajustement soutenus, notamment budgétaire, pour rétablir la viabilité de la balance des paiements et limiter l’érosion des réserves officielles de change ».