Bouteflika est parti « dans le cadre constitutionnel » comme l’a voulu l’armée, mais l’application stricte des alinéas de l’article 102 risque de poser problème.
C’est simple : la clause dispose que l’intérim du chef de l’État est assuré par le président du Conseil de la nation et le gouvernement en place reste jusqu’à l’élection d’un nouveau président sous la supervision du Conseil constitutionnel.
Or ces trois institutions sont présidées par des personnages auxquels le peuple ne fait que trop peu confiance. Non seulement ils ont été désignés par le président sortant (y compris pour le président du Sénat qui est censé être élu) mais ils sont aussi perçus comme des figures clé du système, quand bien même ils étaient de simples serviteurs dociles et loin d’être des décideurs.
Les nouveaux trois « B » que son Abdelkader Bensalah, Noureddine Bedoui et Tayeb Belaïz devraient logiquement hériter de la transition, si l’on s’en tient à la lettre de la Constitution. Même si leurs prérogatives seront limitées, leur présence aux commandes ne peut être une garantie pour un processus et une élection honnêtes et on comprend bien que la rue exige plutôt la nomination d’une instance présidentielle et d’un gouvernement de consensus.
La question est épineuse et pourrait même constituer le premier point de discorde entre l’armée et le peuple, jusque-là sur la même longueur d’onde. A moins qu’une formule ne soit trouvée pour faire table rase des institutions actuelles avant d’entamer la transition. Certains juristes affirment qu’une telle option, sans sortir du cadre constitutionnel, est possible avec une interprétation adaptée des articles 7, 8 et 28 de la Constitution.
Bensalah, un pur produit du système
Abdelkader Bensalah, qui devrait présider le pays pendant 90 jours, est un pur produit du système. Comme Bouteflika, il est originaire de Tlemcen. Journaliste de profession, il a notamment dirigé le journal Echaâb dans les années 1970, sous le président Boumediene.
Elu député en 1977, il fera ensuite une courte carrière diplomatique (ambassadeur en Arabie Saoudite notamment entre 1989 et 1993) avant de renouer avec la vie parlementaire. En juin 1997, il est élu député RND (créé trois mois plutôt). Il présidera l’APN pendant toute la mandature avant d’occuper le perchoir du Sénat (chambre haute) de 2002 jusqu’à aujourd’hui.
Sous le parti unique, il avait présidé pendant dix ans la commission des affaires étrangères de l’APN. Surtout, Bensalah a dirigé le RND à sa création (1997-1998) puis entre 2013 et 2015. Pendant toute sa carrière, le personnage n’a jamais fait de vagues. Il ne fait presque jamais de déclarations publiques, en dehors de ses discours plats et monotones, dans une langue de bois parfaite, à l’occasion de l’ouverture ou de la clôture d’une session du Parlement.
D’une docilité exemplaire, il est en plus âgé (77 ans) et malade. Il lui sera de ce fait difficile de résister aux pressions qui ne manqueront pas dans la période à venir.
Bedoui, un novice proche de la famille Bouteflika
Le Premier ministre Noureddine Bedoui n’a pas plus de chances d’être accepté, même si, comparé à Bensalah, il fait figure de novice dans le système. Cet énarque a occupé son premier poste « politique » en 2013 seulement, quand il a été nommé ministre de la formation professionnelle dans le gouvernement Sellal. Un ministère où un certain Nacer Bouteflika exerçait comme secrétaire général.
En 2015, il devient ministre de l’Intérieur. Il a notamment organisé les élections législatives et communales de 2017, avec les mêmes soupçons de fraude que les précédentes. Très proche de la famille du président, il n’a cessé de prendre du poids au sein du gouvernement.
Plusieurs pressenti comme Premier ministre, il finira par occuper le 11 mars dernier. Pour remplacer le très impopulaire Ouyahia en pleine révolte populaire, c’est sur Bedoui que le cercle présidentiel a jeté son dévolu.
Malgré son rejet par la rue, il a été maintenu lorsque la composante du nouveau gouvernement a été annoncée le 31 mars, soit deux jours avant la démission du président Bouteflika.
Belaïz, un fidèle parmi les fidèles
Tayeb Belaïz est un autre « Tlemcénien ». Il fait partie des nombreux responsables originaires de cette région du pays promus par Bouteflika à son arrivée au pouvoir. Avant 1999, Belaïz était magistrat. Sa carrière connaîtra une ascension fulgurante à partir de cette année-là. Il est d’abord nommé membre de la commission de réforme de la justice, puis, en 2002, ministre de l’Emploi et de la Solidarité. En 2003, il devient ministre de la Justice.
Homme de confiance du président, il est désigné à la tête du Conseil constitutionnel en 2012, avant de revenir au gouvernement une année après comme ministre de l’Intérieur. Le 10 février dernier, Bouteflika le nomme de nouveau président du Conseil constitutionnel en remplacement de Mourad Medelci, décédé en janvier.
Le président avait alors transgressé la règle constitutionnelle qui stipule que les membres de cette institution ne peuvent faire plus d’un mandat. Le souci de Bouteflika, qui s’apprêtait à briguer un cinquième mandat surréaliste, était d’éviter toute mauvaise surprise, cette institution ayant la prérogative d’accepter ou de rejeter son dossier.
Belaïz prouvera à Bouteflika qu’il ne s’était pas trompé en lui faisant confiance. En dépit des appels incessants à déclarer l’empêchement du président pour raison médicale, lesquels appels émanaient même de l’armée, Tayeb Belaïz n’a pas bronché. Il est resté fidèle à Bouteflika jusqu’à ce que ce dernier lui remette en mains propres sa lettre de démission mardi 2 avril.