Les Français votent ce dimanche 7 mai pour le second tour de l’élection présidentielle. Ils devront choisir entre une candidate d’extrême-droite et un candidat de centre-gauche. C’est la deuxième fois depuis 2002 que l’extrême-droite arrive au second tour. Comme de nombreux pays européens, la France est confrontée à la montée du nationalisme dont le discours s’articule autour du rejet de l’Islam, de l’immigration et de l’Europe.
Un pays fait figure d’exception : l’Espagne. Malgré la crise économique, le chômage de masse et l’immigration, essentiellement en provenance des pays du Maghreb, aucune formation politique d’extrême-droite ne parvient à mobiliser les électeurs au niveau national.
C’est une question qui taraude depuis des années déjà les observateurs de la politique espagnole. Certes, des formations politiques d’extrême-droite existent, mais les derniers scrutins montrent qu’elles ne pèsent rien. Aux élections législatives de juin 2016, le parti Vox n’a, par exemple, recueilli que 0,2% des suffrages. Pourquoi une telle exception ?
Le passé franquiste espagnol, rempart contre l’extrême-droite
L’absence de partis d’extrême-droite dans ce pays a d’abord une explication historique. De 1939 à 1975, le pays a vécu sous la dictature fasciste de Franco. Ce qui empêche a priori l’extrême-droite de trouver une résonance dans la société espagnole. « Le régime franquiste reste gravé dans les mémoires, et les partis nationalistes et les groupes indépendantistes ont absorbé une partie du vote eurosceptique. Ainsi, l’extrême-droite reste un phénomène “résiduel” », détaillait dans une interview accordée à Euractiv en 2014, l’eurodéputé du Parti populaire (droite) espagnol, Juan Andrés Naranjo.
En Espagne, l’idée communément admise est de dire que l’extrême-droite n’existe pas de façon indépendante sur la scène politique espagnole, mais qu’elle occupe en réalité les rangs du parti populaire (PP), à droite. Les « résidus » de la droite franquiste auraient ainsi été intégrés à la droite traditionnelle.
Ciudadanos, le parti au discours anti-immigration
Si on exclut la dimension historique, on peut également constater que la « lépénisation des esprits » avec un discours anti-immigration constatée dans plusieurs pays européens ne prend pas dans ce pays. Pourtant, l’Espagne a connu une forte immigration au début des années 2000 et avant la crise de 2007. Puis, un taux de chômage passant, entre 2005 à 2012, de 9,16% à 24,60%, selon les données de l’Institut national de statistique espagnol. Un cocktail potentiellement idéal pour une récupération opportuniste de l’extrême-droite.
Mais avec la crise, l’Espagne a aussi perdu de son attractivité. En 2013, 547.890 personnes ont quitté le pays, dont 469.584 étrangers. « En 2012, ce chiffre était de 220.130 », rapportait un article d’El País en octobre 2014. Ces données peuvent donc laisser penser que l’immigration n’a pas été perçue comme une menace ou jugée responsable de la situation économique.
La déception des électeurs face aux formations politiques traditionnelles, incapables d’apporter des réponses sérieuses à la crise et au chômage, a permis à de nouveaux partis « anti-système » et « anti-élites » d’émerger. Le parti des citoyens Ciudadanos, créé en 2006, et la formation anti-austérité Podemos, lancée en 2014, ont réussi à séduire les électeurs.
Mais contrairement à la façon dont il est présenté dans les médias (on le compare d’ailleurs souvent au mouvement En Marche ! d’Emmanuel Macron), le parti Ciudadanos n’est pas qu’un ovni qui réfute le clivage traditionnel gauche-droite. La ligne du parti est très ferme en matière d’immigration (assimilation plus qu’intégration), et cherche manifestement à capter un électorat très à droite. Une technique qui n’est pas sans rappeler celle du Néerlandais Mark Rutte, chef du parti libéral (VVD) de centre-droit, pour glaner des voix au parti anti-immigrés et islamophobe de Geert Wilders.
Dans un article de 2015, le Guardian rappelle qu’ « en Catalogne, les membres du parti ont encouragé la restriction de l’accès aux soins de santé pour les migrants en situation irrégulière ». Ciudadanos dispose de 32 sièges sur 350.
L’Espagne post-franquiste vraiment immunisée ?
Pour l’heure, aucun parti d’extrême-droite affiché comme tel n’est parvenu à mobiliser les électeurs au niveau national, mais les revendications nationalistes et xénophobes existent bien localement. En mai 2011, en Catalogne (pourtant terre d’accueil des immigrés tout au long du XXè siècle), le parti raciste, national-populiste Plataforma per Catalunya (PxC), créé en 2002, avait réalisé une percée aux élections locales, passant alors de 17 à 67 élus.
« L’apparition et la progression de PxC sont le fruit d’une stratégie qui a su à chaque fois tirer profit d’un contexte particulièrement crispé autour de la présence des Maghrébins en Catalogne, mais aussi en Espagne », note un chercheur de l’université Paris VIII, Hassen Guedioura, dans un article intitulé « La forte croissance de Plataforma per Catalunya : à l’aube d’un nouveau national-populisme en Espagne ? ».
En pleine crise économique, un sondage de l’institut Noxa révélait qu’une grosse moitié des 7,5 millions de Catalans (tous partis confondus) jugeaient « excessif » le nombre d’immigrés, selon un article du journal Libération de 2011.
Certes, ces phénomènes ne sont pas révélateurs d’une lame de fond au niveau national -Plataforma per Catalunya (PxC) a d’ailleurs perdu la majorité de ses élus aux municipales de 2015 (8 contre 67)- mais l’Espagne restera-t-elle pour autant épargnée à plus ou moins long terme ?
« Si la crise se poursuit encore un certain temps et si les partis politiques ne parviennent pas à apporter des solutions aux problèmes des gens, cela pourra avoir des conséquences à l’horizon de dix ou quinze ans », analysait, pour le journal français La Croix, Pablo Simon, professeur de sciences politiques à l’université Carlos III à Madrid, en mai 2016.