Le Pr Kamel Bouzid, déplore avec force la mauvaise prise en charge des malades atteints de cancers en Algérie en particulier les enfants.
On célèbre le 7 avril prochain la journée mondiale de la santé. En votre qualité d’oncologue, les cancéreux bénéficient-ils d’une bonne prise en charge en Algérie ?
Il y a eu une amélioration sensible depuis 2010-2011 à la suite de ma première intervention sur la nécessité d’acheter les appareils de radiothérapie, chose qui a été faite par les autorités successives.
En 2010, nous en étions à 10 appareils et aujourd’hui on en a plus d’une cinquantaine, que ce soit dans le secteur public ou privé. Et en théorie, c’est suffisant pour couvrir les besoins de radiothérapie de tous les Algériens.
Ça n’est pas le cas encore pour des raisons liées à la gestion des centres anti-cancer (CAC) qui a été confiée à des bureaucrates au lieu des techniciens du secteur.
De mon point de vue, les seuls qui peuvent juger de l’indication de la radiothérapie et de son urgence sont les médecins-radiothérapeutes qui ont été formés pour cette mission.
Et il y en a suffisamment en Algérie ! Je n’ai pas compris comment on peut confier à des directeurs, qui sont des bureaucrates, la lourde charge de décider qui fait la radiothérapie et qui ne la fait pas.
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Est-ce que cela se répercute négativement sur la prise en charge des malades ?
Clairement. De plus, on introduit le concept totalement aberrant selon lequel ne fait la radiothérapie que les habitants de la wilaya où est implanté le centre anti-cancer.
Plusieurs exemples ont été enregistrés, en particulier à Draâ Ben Khedda (Tizi-Ouzou), à Adrar et à El Oued. De mon point de vue, cela constitue une atteinte à l’unité nationale. Le Centre anti-cancer (CAC) appartient à tous les Algériens, et la grande hypocrisie, c’est que dans le secteur privé on ne vous demande pas où vous êtes né… mais un sachet plein d’argent : 600.000 DA est le prix d’une radiothérapie de la prostate.
On appelle ça de l’hypocrisie. Autre point : depuis 4 ou 5 mois, on vit des ruptures itératives en médicaments, notamment des médicaments de base utilisés dans le traitement du cancer de l’enfant.
C’est d’autant plus inacceptable que les cancers de l’enfant se guérissent à 80 % des cas. Mon attention a été tirée par ma collègue le Pr Boudiaf, chef de service d’oncologie pédiatrique au CHU Mustapha (Alger).
Cela fait deux mois qu’elle a lancé un cri d’alerte, et à ce jour on est toujours en rupture de ce type de médicaments et d’autres. Et on n’a toujours pas compris pourquoi.
L’argument du confinement n’est pas recevable vis-à-vis de nos enfants qui ont des cancers et que je vois mourir. Moi, je les vois, ce que la tutelle et la PCH (Pharmacie centrale des hôpitaux) ne voient pas ! C’est d’autant plus totalement inacceptable que ces cancers se guérissent.
On continue encore à envoyer des malades à l’étranger…
Oui et ce n’est pas acceptable. J’ai fait un courrier, il y a deux ans, disant qu’il n’est pas acceptable que des Algériens se soignent en dehors de l’Algérie. Nous sommes le seul pays du monde qui exporte des malades et des médecins.
Résultat : il y a 20.000 médecins algériens en France. Est-ce normal ? Ces médecins ont été formés en Algérie et ils auraient dû être au service de l’Algérie et des Algériens.
Se soigner à l’étranger est une hérésie (jahl). Le destin de tout individu est de mourir… le plus tard possible.
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Trois syndicats de la santé ont appelé à une journée de grève le 7 avril. Quel est votre avis ?
Je l’ai appris ça par le biais d’un communiqué du Snechu (Syndicat des hospitalo-universitaires). Personnellement je suis contre. Parce qu’un médecin digne de ce nom ne peut pas faire grève.
Il prend en otage d’abord les patients, ce qui est inacceptable, et il prend en otage aussi ses autres collègues. Or, cette grève on nous l’a annoncé du jour en lendemain.
Il y a d’autres façons de régler les problèmes par la négociation avec les différentes autorités de tutelle. Personnellement, je n’ai jamais fait grève.
Les syndicats qui ont appelé à la grève posent des revendications socioprofessionnelles…
Oui, mais elles datent d’une dizaine d’années. On aurait pu les réactualiser et les discuter avec les différentes tutelles.
Je ne pense pas que prendre des patients en otage soit une bonne chose. De plus, ces syndicats représentent uniquement le secteur public. Dans le privé on ne fait jamais grève. Ce qui pose certaines questions.
Évoquons à présent l’épidémie de la Covid. On remarque un relâchement concernant les mesures barrières et pourtant le virus est encore présent.
Il y a trois semaines, j’ai fait la route Alger-El Oued, à quatre dans la voiture, nous étions les seuls à porter les masques. Nos concitoyens nous regardaient comme des êtres anormaux.
Donc il y a un effort à refaire pour le respect des mesures barrières qui sont simples : le respect de la distanciation sociale, le lavage des mains et le port du masque.
À ce jour l’Algérie n’a pas eu le sort des autres pays concernant la Covid-19, c’est peut-être dû au respect des mesures barrières et la fermeture des frontières… Il faut poursuivre les efforts.
Nous sommes redescendus sous la barre des 100 cas (positifs au Covid-19) alors qu’acmé de la pandémie on en était à 600-700 cas. Et que les pays avoisinants ont payé un lourd tribut. Je ne parle même pas de la France qui a le meilleur système de santé du monde, voyez où ils en sont, au 3e confinement.
Avec la baisse des cas de contamination, la vaccination est-elle toujours indiquée ?
La vaccination est fortement indiquée, y compris pour les malades immunodéprimés, c’est-à-dire ceux atteints de cancers qui devraient être prioritaires à la vaccination.
Beaucoup de choses sont dites à propos des vaccins. J’ai été personnellement vacciné il y a deux mois sans effets secondaires. Le vaccin est la meilleure façon de lutter contre ce type de maladie.
Un peu plus de deux mois après son lancement officiel, on constate que la campagne de vaccination anti-Covid en Algérie tourne au ralenti, à peine 100 000 personnes vaccinées. À ce rythme, l’objectif de vacciner 70 % de la population d’ici à la fin de l’année est-il réaliste ?
Il me semble qu’on s’y prit est un peu tard pour l’approvisionnement en vaccins. Le problème de fourniture des vaccins est mondial. L’Algérie s’y pris un peu tard. Les premiers vaccins ont été injectés sur instruction du président de la République, fin janvier.
Si on continue à ce rythme l’objectif de vacciner 70 % de la population, pour obtenir l’immunité collective, ne va pas être atteint.
Que pensez-vous de ce qui se dit autour du vaccin AstraZeneca ?
Personnellement j’ai été vacciné avec le vaccin russe Spoutnik V et il y a des rumeurs qui courent sur la qualité du vaccin AstraZeneca qui aurait provoqué des décès par thrombose et embolie, mais à ce jour il n’y a pas eu de preuves formelles qu’il est délétère.
L’Algérie a acquis 350.000 doses d’AstraZeneca, il faut être très vigilant concernant les informations surtout les fake news du type le coronavirus n’existe pas y compris venant de la part de présidents étrangers.
Il faut être à l’écoute de ce qui se passe s’agissant de ce vaccin et les autres vaccins dont le cubain et personnellement je suis favorable qu’on tente ce dernier. Cuba a une grande expérience en immunologie. Et à ce moment-là, je pense que d’ici à l’été on aura vacciné 70 % de la population.