Renforcer les frontières ou amplifier la collaboration européenne ? Simplifier les expulsions ou raccourcir les délais de traitement des demandes d’asile ? Sur le thème de l’immigration, les deux finalistes de l’élection présidentielle mettent l’accent sur des points bien distincts.
D’un côté, le FN propose plus de durcissement et privilégie les frontières nationales. De l’autre, le candidat d’En Marche ! mise sur une collaboration européenne et une simplification des processus administratifs. Si la thématique est la même, les deux candidats du second tour de la présidentielle proposent, sans surprise, des réponses diamétralement opposées à la question de l’immigration.
France ou Europe : une histoire de frontières
« Retrouver des frontières qui protègent et en finir avec l’immigration incontrôlée. » Si Marine Le Pen a fait de cette thématique l’un des fers de lance de sa campagne, ses propositions en matière d’immigration et de droit d’asile affichent une dimension restrictive importante.
Dans la partie « Une France sûre » de son programme, le Front national entend rétablir les frontières nationales et sortir de l’espace Schengen. Le parti d’extrême droite précise cependant qu’un dispositif particulier pour les travailleurs frontaliers sera mis en place afin « de leur faciliter le passage de la frontière ». Avec cette proposition, 6.000 agents devraient être recrutés sur le quinquennat ce qui permettra de « reconstituer les effectifs supprimés dans les douanes ».
À contrario, dénonçant une « efficacité illusoire » du retour aux frontières nationales, Emmanuel Macron mise gros sur une « action européenne ». Il propose ainsi de renforcer un corps de police des frontières européennes en lui « donnant une capacité de surveillance et de protection durables des frontières extérieures ». Quelque 5.000 hommes seront mobilisables par une « nouvelle Agence européenne de gardes-frontières et garde-côtes ». Le candidat d’En Marche ! veut aussi développer des actions et des projets dans les principaux pays de départ et de transit des migrants : il évoque ainsi « l’installation de points de contrôle avant l’arrivée en UE ».
Intégration, nationalité et naturalisation
Autre proposition du Mouvement bleu marine : « Rendre impossible la régularisation ou la naturalisation des étrangers en situation illégale. » Une mesure qui s’accompagne, dans le programme du FN de la « simplification et de l’automatisation des expulsions ».
Si Marine Le Pen est élue, l’immigration légale serait réduite et limitée à un solde annuel de 10.000 [personnes]. Marine Le Pen entend « mettre fin à l’automaticité du regroupement et du rapprochement familial ainsi qu’à l’acquisition automatique de la nationalité française par mariage ». Le programme stipule juste après, dans une formulation ambivalente et imprécise : « Supprimer les pompes aspirantes de l’immigration. »
La suppression du droit du sol est un autre argument largement exposé par le Front national. Dans son programme, Marine Le Pen précise : « L’acquisition de la nationalité française sera possible uniquement par la filiation ou la naturalisation dont les conditions seront par ailleurs plus exigeantes. » De même, la « double nationalité extra-européenne » sera supprimée.
Pour sa part, Emmanuel Macron fait de l’intégration la principale proposition de son programme sur l’immigration. Le candidat d’En Marche ! indique que celle-ci « passe avant tout par la maîtrise de la langue ». Ainsi, il propose une « formation linguistique suffisante pour atteindre le niveau B1 (niveau qui permet la naturalisation) à chaque étranger en situation régulière arrivant en France ». Cette certification conditionnera l’accès à la carte de résident (valable 10 ans) et « insistera sur les valeurs de la République, la connaissance des services publics et du monde du travail ». Pour finaliser l’intégration, des « programmes locaux d’intégration » seront mis en place et les communes seront incitées à mener des actions complémentaires d’intégration.
Les « talents étrangers » mis à l’honneur dans le programme de Macron
Autre point du programme Macron que l’on ne retrouve pas chez Marine Le Pen : la promotion de l’immigration de la connaissance. Le candidat d’En Marche ! souhaite poursuivre les mesures déjà mises en place telles que « le passeport talents » : cette carte, instaurée en mars 2016, permet le séjour en France pendant 4 ans maximum pour les « talents étrangers » (jeunes diplômés qualifiés, chercheurs, créateurs d’entreprise, investisseurs économiques…)
Dans la continuité, Macron veut alléger les procédures et réduire les délais pour l’obtention de ce « visa talent » mais aussi développer « des visas de circulation pour les professionnels » qui pourraient concerner les entreprises ou les scientifiques.
Enfin, pour les étudiants titulaires d’un master en France, le candidat dit vouloir simplifier les modalités d’accès au travail. Sans pour autant donner plus de précisions.
La question du droit d’asile
Enfin, sur le droit d’asile, le Front national indique vouloir « revenir à [son] esprit initial ». Il ne pourra être accordé qu’à la suite de « demandes déposées dans les ambassades et consulats français, dans les pays d’origine des demandeurs ou dans ceux limitrophes ».
Emmanuel Macron est plus nuancé sur la question. Dans son programme, il résume ses propositions sur le droit d’asile : « La France qui assume sa juste part dans l’accueil des réfugiés tout en reconduisant plus efficacement à la frontière ceux qui ne sont pas acceptés. » Il précise que la France doit être, à la fois « à la hauteur de sa tradition historique d’accueil » mais aussi « inflexible avec les personnages qui ne remplissent pas les conditions de séjour sur le territoire ».
C’est ainsi sur les organismes chargés des procédures d’asile qu’il met l’accent, proposant de réformer les conditions d’examen des demandes d’asile avec, pour objectif, « d’assurer une prise de décision en 8 semaines pour toutes les demandes ». Pour ce faire, il veut qu’une délégation de l’Ofpra (l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides), l’organisme chargé d’instruire les demandes d’asile en première instance, se déploie sur le territoire via des actions dans des antennes locales.
De la même manière, Macron propose de réformer les modalités de recours après les décisions de refus, visant ainsi un délai de 6 à 8 semaines contre 6-7 mois actuellement. Cette proposition contraindrait ainsi la procédure complète (Ofpra + recours devant la Cours nationale des Droits d’Asile, CNDA, l’instance qui statue sur le recours d’un premier refus au droit d’asile) à ne pas excéder 6 mois contre le double actuellement. Pour cela, il propose à nouveau de « déconcentrer l’instance » en permettant de prendre la décision dans les centres d’accueil eux-mêmes.
Les associations, inquiètes du programme de Marine Le Pen
De nombreuses associations et ONG épinglent le programme de Marine Le Pen sur la thématique de l’immigration. Amnesty International a publié une analyse sur les programmes de chaque candidat à la présidentielle en rappelant : « Nous sommes une association indépendante de tout gouvernement et de toute tendance politique et n’appelons donc à voter pour aucun(e) candidat(e) ou parti politique en particulier. »
Ainsi, concernant le Front national : « La proposition relative au contrôle des frontières est contraire aux engagements pris par la France en termes de droit d’asile et d’accueil des personnes réfugiées », note l’organisation dans son rapport. Elle prévient, concernant le rétablissement des frontières nationales et la sortie de l’espace Schengen :
« Cela ne doit pas conduire à refouler des personnes qui auraient des craintes en cas de renvoi dans leur pays, ni à reprocher à des personnes qui veulent venir demander l’asile en France de ne pas avoir de documents pour entrer sur notre territoire ou à placer en détention de façon systématique et automatique les personnes ne pouvant pas entrer sur le territoire. »
Les propositions concernant le droit d’asile inquiètent aussi Amnesty International qui commente : le désir de « revenir à l’esprit initial du droit va à l’encontre de nos recommandations et du droit international ». En obligeant les demandeurs d’asile à effectuer leur demande via des ambassades dans leur pays d’origine, l’ONG craint que « les personnes qui cherchent asile en France et qui se présentent spontanément à ses frontières » soient contraintes, par les autorités, « de repartir dans leur pays pour faire une demande sur place ».
Reconduite à la frontière ou devoir d’accueil : la politique paradoxale de Macron
Dans le programme d’Emmanuel Macron, si l’ONG Amnesty International y relève « une dynamique intéressante », les trop nombreuses imprécisions sont porteuses de craintes. Ainsi, lorsque le candidat d’En Marche ! souhaite que les demandes d’asile soient examinées en moins de 6 mois, recours compris, Amnesty International met en garde. La proposition présente des risques : « Si cette mesure ne s’appuie pas sur une allocation de moyens humains et matériels supplémentaires à l’Ofpra et à la CNDA, des milliers de personnes risquent de ne pas être protégées par la France. »
Et de poursuivre : « La rapidité d’examen d’une demande d’asile ne doit pas entraîner une baisse de la qualité de celui-ci et accélérer la procédure d’asile ne doit pas, non plus, conduire à réduire les droits des personnes. »
Dans une analyse, l’ensemble associatif (Oxfam France, le CCFD-Terre Solidaire et le Secours Catholique) déplore qu’Emmanuel Macron ne s’engage à consacrer 0,7% au Revenu National Brut à la solidarité internationale à partir de 2030 seulement et non avant la fin du mandat. Mais le groupe d’associations souligne aussi un paradoxe : alors que le candidat d’En Marche ! énonce dans son programme le « devoir d’accueil et de solidarité à l’égard des réfugiés et des demandeurs d’asile » et mise sur l’intégration, il est loin de faciliter « les voies légales de migration pour tous ». Et d’ajouter : « Pour les personnes en situation irrégulière et des personnes déboutées du droit d’asile, Emmanuel Macron prône une politique ferme de reconduite à la frontière. »
Plus d’information sur l’économie et la finance sur latribune.fr