L’idée se met en place par petites touches. La tenue de l’élection présidentielle d’ici la fin de l’année fait son chemin, portée aussi bien par des opposants que par des groupes se réclamant de la contestation. Ce choix est en outre présenté comme un compromis raisonnable entre la volonté de l’état-major de l’armée d’aller à un scrutin dans les délais les plus rapides, et l’impossibilité manifeste de le faire à l’échéance initiale, fixée au 4 juillet.
Aussitôt après sa désignation comme président par intérim, M. Abdelkader Bensalah avait annoncé la convocation du corps électoral pour le 4 juillet 2019, dans la limite du délai officiel de 90 jours fixé par la Constitution. Mais organiser une présidentielle avec les mêmes hommes, les mêmes mécanismes et les mêmes structures que celles en place durant l’ère Bouteflika a été rejeté par la contestation, qui exige une période de transition pour changer les règles du jeu.
Entretemps, le chef d’état-major de l’armée, le général Gaïd Salah, affichait une volonté remarquée de s’en tenir à la lettre de la Constitution. Même si, pour lui, « toutes les perspectives possibles restent ouvertes », la présidentielle doit se tenir « dans les plus brefs délais », afin d’éviter au pays un « vide constitutionnel ». Le général Gaïd Salah a cependant soigneusement évité d’évoquer la date du 4 juillet, laissant une ouverture pour le report des élections. Comme l’échéance du 4 juillet est devenue impossible à tenir – absence de candidats crédibles, impossibilité de tenir une campagne électorale, etc.- c’est le délai nécessaire pour organiser le scrutin, et la gestion du processus qui y mène, qui deviennent le principal enjeu politique du moment.
Report forcé
Les partis traditionnels, qui avaient projeté de participer à l’élection du 18 avril, ont été contraints de réviser leur position pour éviter de s’attirer l’hostilité de la rue. Beaucoup étaient partants pour le 4 juillet, une fois levée l’hypothèque d’une candidature de Abdelaziz Bouteflika, mais ils ont été contraints de suivre la rue. A l’exception notable de M. Abdelaziz Belaïd, président du parti El-Moustakbal, qui a affirmé possible un scrutin libre pour le 4 juillet.
Tous les autres partis ont endossé l’idée du report. A commencer par M. Ali Benflis, ancien premier ministre et président de Talai El-Houriate, qui réclame un report « de trois à six mois ». Comme un report de trois mois n’as pas de sens, tant il est impossible de faire quoi que ce soit dans un délai aussi court, il s’agirait donc d’un délai de six mois.
Mohamed Djemaï, nouveau secrétaire général du FLN, appelle de son côté à « innover dans le cadre de la Constitution pour retarder la tenue des présidentielles, mais pas de beaucoup». Selon lui, l’Algérie doit éviter de «s’embourber dans une période de transition aux conséquences imprévisibles».
A son tour, le MSP de Abderrezak Mokri a annoncé mardi, dans un communiqué, qu’il proposait l’organisation de la présidentielle dans un délai de six mois.
La société civile joue le jeu
Plus significative est la demande d’un « Forum civil pour le changement », qui affirme être né du mouvement de contestation. Formé d’une kyrielle d’associations et de militants classés comme modernistes ou laïcs, le Forum souhaite une période de transition ne dépassant pas six mois, à l’issue de laquelle serait organisée une élection présidentielle. Le forum suggère de « designer une personne consensuelle ou un Conseil consensuel tripartite qui présidera le pays pendant une période transitoire ne dépassant pas six mois ». Il affirme que cette formule « est plus efficace, et garantit le retour à la légitimité dans les meilleurs délais ».
Curieusement, la réunion de ce forum a fait l’objet d’un compte-rendu élogieux du quotidien El-Moudjahid. http://bit.ly/2JycfmC
Favorables à l’état-major et à l’opposition traditionnelle.
Cette convergence sur le report de la présidentielle pour un délai de six mois fait le jeu de l’état-major de l’armée et de l’opposition traditionnelle, mais il est difficile d’en saisir l’utilité pour la contestation. Organiser le scrutin à la fin de l’année 2019, cela signifie que le corps électoral sera convoqué dans un délai de trois mois, au plus tard en septembre. Qu’est-ce qui peut être fait en un délai aussi court, alors que le pays ne dispose pas d’institutions, que la confiance est absente, que la société n’est pas structurée et que la représentation politique est aussi indigente que faussée ?
Concrètement, l’ensemble des acteurs concernés, dont le général Gaïd Salah, évoquent une commission électorale, et accessoirement une révision de la loi électorale avant la présidentielle. Comment arriver à de tels résultats, alors que le dialogue n’est même pas ébauché, dans un pays où on ne sait pas négocier et où le compromis est un concept déconsidéré ?
Des textes ou des dispositions à adopter seraient validés par quelle institution ? Par le parlement actuel, totalement disqualifié ? Qui en élaborerait le contenu ?
Visiblement, en trois mois, le résultat ne pourra être que bâclé. Particulièrement dans une période d’instabilité, pleine de tension, marquée par le départ probable de l’actuel président Abdelkader Bensalah et celui, attendu, du premier ministre Noureddine Bedoui.
Dilemme
Par ailleurs, une élection équitable exige des conditions impossibles à réunir en trois mois. Il en est ainsi de la libération du champ politique, de l’accès égal de tous les partenaires aux médias, et de l’installation d’un climat apaisé nécessaire pour garantir une compétition électorale crédible. Une élection libre et équitable exige ainsi un dispositif en amont en mesure de changer la donne politique. A défaut, ce sont les appareils politiques traditionnels, déjà organisés, avec leurs sources de financement, leurs réseaux et leur capacité de nuisance, qui imposeront leur décision. Quand il faudra compter le nombre de voix, la contestation populaire, aussi massive soit-elle, sera désarmée, car elle est plurielle, et ne pourra s’accorder sur un candidat.
Ce dilemme est illustré par un autre exemple : faut-il accepter des élections alors que des oligarques sont détenus par une justice contestée ? Si oui, l’élection perdra forcément de sa crédibilité. Mais s’ils sont libérés, ils pourraient utiliser leur puissance financière pour influer sur le court du vote. Ils seraient alors naturellement enclins à favoriser le maintien d’un système qui les a créés et leur a permis de prospérer.
Au final, le danger pour la contestation viendrait moins du général Gaïd Salah que de solutions assumées par la rue, mais dont la mécanique ne serait pas maîtrisée.