L’essentiel :
· Abdelaziz Rahabi s’exprime sur la présidentielle anticipée du 7 septembre prochain qu’il considère comme un « rendez-vous important », tout en faisant le constat de l’absence de débats en Algérie.
· Abdelaziz Rahabi donne un avis tranché sur la question de la mémoire entre l’Algérie et la France. « Il ne peut y avoir de mémoire commune entre le bourreau et la victime ».
· Abdelaziz Rahabi pointe du doigt les faiblesses de l’action diplomatique de l’Algérie dans la région du Sahel, faute d’une économie et d’un système médiatique faibles.
Le diplomate et ancien ministre, Abdelaziz Rahabi est formel : L’Algérie a besoin de « débats et de consensus » pour transcender toutes les crises qui la secouent depuis l’indépendance et les clivages qui minent la société.
« Tout ce qui est arrivé à Algérie est dû au fait qu’on s’est préoccupé de ce qui divise les Algériens que sur ce qui les réunit, à cause de l’absence de débat et de consensus », soutient-il.
Dans un entretien à la chaîne TV El Watania,diffusé samedi soir, Abdelaziz Rahabi pointe du doigt la prégnance des questions idéologiques, alimentées par ailleurs, dans le discours politique en Algérie.
« Les élections présidentielles en Algérie créent un climat particulier »
« On a érigé des murs idéologiques ; l’idéologie est prégnante dans le discours politique, constate-t-il. Or, on a besoin de débattre de développement, du contrôle des finances publiques et des libertés ».
Abdelaziz Rahabi évoque dans ce contexte l’expérience de Mazafran, en 2014, rassemblement inédit des forces politiques algériennes dans leurs diverses tendances et ayant débouché sur une plate-forme consensuelle, mais qui a été rejetée par le régime du défunt président Abdelaziz Bouteflika.
Pour Abdelaziz Rahabi, qui se rappelle l’époque où il y avait « une vitalité politique dans les universités et dans la société même à l’ombre du parti unique », les débats sur les questions importantes qui intéressent les Algériens doivent être « permanents et toute l’année ».
Et la multiplication des rendez-vous électoraux en Algérie, avec ce que cela suppose comme préparatifs ainsi que « l’absence de liberté » ne sont pas de nature à créer les conditions pour de véritables débats, selon Rahabi.
« Les élections présidentielles en Algérie créent un climat particulier, elles donnent une opportunité aux partis de communiquer avec la population, car la pratique politique n’est pas aisée. Les espaces sont fermés. Nous avons un régime, et ce n’est pas nouveau, qui ouvre les espaces que pendant les élections », poursuit-il.
« Je pense que l’exercice politique et la société sont otages des rendez-vous électoraux. Pendant cinq ans, on prépare les élections, présidentielles, puis locales et parlementaires, et on n’a pas de rendez-vous politiques, ni économiques », regrette-t-il.
Et il est dans l’intérêt du pays, selon lui, d’envisager l’organisation d’élections générales, ce qui va limiter les « dépenses et la sollicitation en permanence des électeurs » et qui pourrait garantir l’émergence d’une certaine homogénéité politique.
Sans se défaire de son jargon diplomatique, Abdelaziz Rahabi considère la présidentielle anticipée du 7 septembre prochain comme un rendez-vous « important », tout comme elle l’aurait été pour les pays à régime « présidentiel », non sans rappeler que les taux de participation faibles enregistrés lors des précédents rendez-vous électoraux sont en lien avec la crédibilité du processus électoral.
« L’action diplomatique a besoin d’un système médiatique fort »
Au chapitre diplomatique, Abdelaziz Rahabi n’hésite pas à pointer du doigt les points faibles de l’action diplomatique algérienne notamment dans son environnement immédiat d’autant que l’Algérie, de par sa position géostratégiques, limitrophe de sept pays et qui lui impose des responsabilités lourdes en raison de la faiblesse de certaines armées de la région, est confronté à la situation de la tension permanente.
Une tension qui confine l’armée à une vigilance permanente avec ce que cela suppose comme « coût » pour le pays.
L’action diplomatique ne peut être plus efficace et plus influente qu’en s’appuyant sur une économie forte et un système médiatique international fort, notamment au Sahel, région pauvre, gangrénée par le tribalisme et les tensions, théâtre de lutte de grandes puissances et objet de convoitises, observe-t-il. « L’influence vient de l’économie et des médias, est-ce que nous sommes influents au Sahel ? », s’interroge-t-il.
« L’armée défend les frontières, mais l’influence et la défense de l’image, la présence, ce sont l’économie et les médias, et ce sont là les points faibles de notre politique étrangère », pointe Abdelaziz Rahabi.
« Si vous fait des sondages au Mali, notre présence est inexistante », relève-t-il encore en rappelant que la « présence d’un pays se mesure au nombre de télévisions et de radios comparés au nombre de la population ».
« On n’a pas de force médiatique, la diplomatie algérienne a besoin de médias internationaux forts », soutient-il.
Par ailleurs, à propos de la commission mixte d’historiens, algéro-français, chargée du dossier de la mémoire de la colonisation, Abdelaziz Rahabi donne un avis tranché. Il soutient qu’il n’est pas de ceux qui pensent qu’il y a une mémoire commune entre la France et l’Algérie.
Algérie – France : « Il ne peut y avoir de mémoire commune »
« Il ne peut y avoir une mémoire commune entre le bourreau et la victime. À chacun sa mémoire. Le colonisateur a son histoire et nous, en tant que colonisés, avons notre mémoire. Chacun va enseigner sa propre histoire chez lui. Il reste qu’on a des intérêts économiques mutuels, compte tenu de l’histoire, de la proximité et de la présence d’une forte communauté algérienne en France », dit-il.
Quant à l’Union du Maghreb arabe (UMA), Abdelaziz Rahabi considère que l’ancien « modèle est terminé » car au Maroc, à l’origine de son blocage, les élites pensent que l’intégration économique et la prospérité se feront avec le nord, et non pas avec le sud.