Karim Tabbou a été placé sous mandat de dépôt moins de 48 heures après sa libération. Comment expliquez-vous cela ?
Mohamed Hennad, politologue. Tout d’abord, il faut préciser que la libération de Karim Tabbou était, déjà « trop » conditionnelle. À sa sortie de la prison de Koléa, il avait déclaré : « on m’a remis un document, on m’interdit tout. Interdit de faire de l’activité politique, de sortir et de parler ». Et le revoilà, moins de vingt-quatre heures après, devant un autre tribunal, celui d’Alger ! Pourquoi, donc cette deuxième arrestation en si peu de temps et cette présentation devant un autre tribunal ? Karim Tabbou a-t-il enfreint les conditions de sa liberté provisoire ? Lesquelles conditions restent, par ailleurs, très sujettes à interprétation puisque même sa déclaration que je viens de citer pourrait ainsi être interprétée ! On est, donc, devant un problème sérieux du point de vue judiciaire : le juge a-t-il commis une erreur en libérant Karim Tabbou ? Pourquoi l’intéressé a-t-il été présenté à un autre tribunal cette fois-ci ? En l’absence d’informations, nous avons toutes les raisons de nous inquiéter à propos de notre justice d’autant plus que l’on ne comprend pas pourquoi Karim Tabbou a été mis et remis sous mandat de dépôt du moment qu’il offrait toutes les garanties de répondre à toute convocation de la justice.
Comment expliquez-vous le changement de ton du chef d’état-major ?
En effet, élection oblige ! Le dernier discours se distingue des précédents par une certaine bienveillance envers le peuple. Gaïd Salah en appelle à son civisme tout en faisant un effort d’explication pour le convaincre de la nécessité du scrutin du 12 décembre. Il en fait même un point d’honneur de faire en sorte que la prochaine élection soit aussi transparente qu’honnête. Mais tout cela ne garantit rien et ne change en rien le fait que le scrutin prévu soit un fait accompli !
Mais, en même temps, le discours contient quelques avertissements sérieux contre ceux que le chef d’état-major qualifie de « horde », c’est-à-dire « Tous ceux qui… œuvrent à faire obstacle à ce processus national vital, sous quelque forme que ce soit… » ! Or, les citoyens devraient, par acquis de conscience, avoir le droit de s’opposer audit processus, pacifiquement.
Comment voyez-vous la suite, c’est-à-dire d’ici le scrutin prévu pour le 12 décembre prochain ?
Ce qui est certain c’est que le haut commandement de l’armée ne fera pas marche arrière, d’autant plus que l’expérience politique qu’a connue le pays depuis son indépendance indique que la question relative à celui qui devrait être président de la république relevait toujours de son ressort. Aussi, il est fort à parier que les chefs militaires ne dérogeront pas à la règle cette fois-ci malgré la force du Hirak, parce que, tout simplement, ils n’accepteront jamais que le pays ait un président voulant trop bousculer l’ordre établi pour l’avènement d’un État civil. L’élection aura lieu donc, même avec un scénario semblable à celui de 1999. Cette élection permettra-t-elle au pays de sortir de l’impasse ? Rien n’est moins sûr !
Que vous inspire les deux candidatures de Tebboune et Benflis ?
Cela n’augure rien de bon de voir des dinosaures se permettre de se porter candidat. Il parait même que les partis de la « bande » vont présenter des candidats! C’est pour cette raison qu’il aurait fallu introduire dans la loi électorale, récemment amendée, une clause empêchant de se porter candidat toute personne ayant occupé une fonction supérieure au sein de l’État, à partir de celle de wali, voire celle de chef de daïra pour que les Algériens puissent y croire vraiment. Bien entendu, tout citoyen remplissant les conditions requises doit avoir le droit de se présenter. Mais la candidature des dinosaures pose un sérieux problème parce qu’ils sont trop vieux pour la fonction, non seulement du point de vue générationnel mais surtout du point de vue de leur culture politique et de leurs compétences.