Louisa Ait Hamadouche est politologue. Elle est maître de conférences à la Faculté des sciences politiques et des relations internationales à Alger 3. Elle est également enseignante associée à l’École nationale d’administration (ENA) à Alger.
Nous sommes à quatre mois à peine des présidentielles et il n’y a toujours pas de candidatures importantes. Comment expliquez-vous cette situation?
L’absence de « candidatures importantes » n’est pas en soi une nouveauté, si par « importante » vous suggérez des personnes pouvant en même temps remporter l’élection présidentielle et constituer une alternative véritable. Cette absence de candidats alternatifs remonte au fameux retrait collectif de 1999 et s’explique aisément par le fait que l’élection présidentielle est un scrutin fermé, avec un candidat destiné à remporter l’élection et des candidats désignés pour légitimer le scrutin et lui donner l’apparence d’une compétition politique pluraliste. La différence avec la situation actuelle est que même les candidats désignés pour jouer ce rôle hésitent à se faire connaître, en raison de l’incertitude qui plane sur le prochain scrutin. En effet, sans doute se demandent-ils à quoi bon investir du temps, de l’argent et de l’énergie à préparer un événement qui risque de ne pas avoir lieu…
À votre avis le président Bouteflika, vu son état de santé, va-t-il se représenter pour 5e mandat ?
Le cinquième mandat du chef de l’État n’est pas une question politique, mais sanitaire. Si son état de santé était comparable à celui de 2014, il est probable que la question du 5e mandat ne se serait pas posée. Dans le même état physique, sa candidature n’aurait peut-être même pas suscitée les oppositions notées à l’époque avec des mouvements de citoyens comme Barakat et Anes Tina (je ne vote pas)…, ou partisans comme l’alliance des partis politiques, appelant au boycott. L’élection présidentielle de 2014 est un tournant décisif dans l’histoire politique de l’Algérie car elle révèle un pays capable d’accepter, d’entériner et de s’adapter au fait d’avoir à sa tête un président extrêmement affaibli, au moment où l’institution présidentielle était devenue hypertrophiée. Les législatives de 2017 puis la crise de l’APN en 2018 mettent à nu, une classe politique capable de prendre part à une procédure normalisant une élection atypique et légitimant les violations du niveau minimum de civisme. Tout cela pour dire que, finalement, ce n’est pas une bataille politique qui décidera du 5e mandat mais le destin. Près de trente ans après l’instauration du pluralisme, et 58 ans après l’indépendance, c’est là un bilan qui laisse perplexe.
On susurre çà et là qu’il n’y a pas de consensus dans les cercles décisionnels sur une personnalité à présenter aux présidentielles d’avril 2019. Qu’en est-il au juste ?
Depuis l’indépendance, la succession du chef de l’État n’est ni transparente, ni prévisible. Aucune succession à la tête de l’État ne s’est faite en fonction de règles connues et qui permettent de déterminer à l’avance le futur chef de l’État. D’aucuns pourront peut-être évoquer la succession de Ahmed Ben Bella par Houari Boumedienne. Mais là encore, être l’homme fort du régime est une chose, en prendre les rênes en est une autre. À chaque fois qu’il a fallu désigner le chef de l’État, ce ne sont jamais les « favoris » qui finissent par être cooptés.
Qu’en est-il du Premier ministre Ahmed Ouyahia, a-t-il les chances d’être désigné comme candidat du système, si Bouteflika se retire de la course ?
L’actuel Premier ministre a des soutiens et des opposants. Sa candidature à la succession devra non seulement faire basculer le rapport des forces en faveur des premiers mais également faire face aux nombreux autres candidats qui aspirent au même poste. À ces deux conditions, s’ajoute l’hypothèse que j’évoquais précédemment, à savoir le « candidat surprise ».
Accordez-vous du crédit à cette hypothèse du report de la présidentielle d’avril prochain ? Et l’idée de la conférence nationale inclusive proposée par Amar Ghoul, a-t-elle des chances d’aboutir ?
La question de déterminer les chances de voir aboutir l’option du report de l’élection présidentielle, la proposition de Amar Ghoul ainsi que toutes celles qui foisonnent y compris en provenance des partis de l’opposition est, selon moi, moins importante que de comprendre le sens politique de ces initiatives. En effet, évoquer le report de l’élection présidentielle, en dehors de tout motif constitutionnellement pertinent, obéit manifestement à un seul objectif : contourner l’incapacité du chef de l’État à accomplir le minimum requis pour être candidat et être réélu. Or, le fait que cette solution soit avancée, dans la place publique, discutée et négociée par les différents partis politiques comme une solution plausible, est en soit symptomatique de l’affaiblissement de la conscience institutionnelle. Elle démontre non seulement que les partis de l’allégeance sont prêts à tout pour perpétuer le statu-quo, ce qui est en soi logique, mais que les partis de l’opposition sont, eux aussi prêts à tout, pour ne pas être exclus. Pour emprunter une image parlante, la banalisation-normalisation de l’idée du report est un peu comme mettre des chaînes et des cadenas sur toute l’armature institutionnelle du pays.
Les puissances étrangères, la France et les États-Unis notamment, pèseront-elles, peu ou prou, dans le choix du prochain président ?
Dans le cas de l’Algérie, comme dans beaucoup d’autres, la règle est simple. Plus le prochain président sera mal élu, moins il aura de légitimité et plus grandes seront les pressions extérieures. Le seul rempart à l’ingérence extérieure est la légitimité intérieure.