La presse électronique a désormais un cadre légal qui la régit. Le décret exécutif 20-332 fixant « les modalités d’exercice de l’activité d’information en ligne et la diffusion de mise au point ou rectification sur le site électronique » est publié au Journal officiel.
Ses dispositions entrent donc en vigueur. Faut-il s’en réjouir ? Sur le principe, une activité reconnue et réglementée par un texte réglementaire est un territoire de gagné sur l’informel, un gage de protection contre les abus, nombreux du reste à cibler ces derniers mois la presse électronique naissante.
Mais à voir la teneur du nouveau texte et la conjoncture de sa promulgation, on ne peut s’empêcher de nourrir des appréhensions, de surcroît dans un pays où n’a pas toujours su dessiner la ligne qui sépare la régulation de la répression.
Sur la forme, il aurait été souhaitable qu’un texte d’une telle importance fasse l’objet d’une loi et non d’un simple décret, par conséquent d’un large débat public, et plus judicieux d’ajourner sa publication jusqu’à la promulgation de la nouvelle constitution à l’esprit de laquelle le décret est censé être conforme.
Dans le fond, des velléités de mise au pas de la presse électronique et de reproduire le modèle désastreux de la presse écrite sont perceptibles et quelques aberrations sautent aux yeux.
Comme pour la presse écrite, la charrue est mise avant les bœufs en faisant d’une autorité inexistante l’organe central de la régulation. Il n’est fait nulle part mention d’échéance ou de modalités de mise sur pied de « l’autorité chargée de la presse électronique », citée pourtant huit fois dans le décret.
L’agrément en vigueur jusque-là pour la presse écrite, est remplacé par « un certificat d’enregistrement », avec des critères clairs ne laissant en théorie aucun pouvoir discrétionnaire à l’administration qui sera chargée de le délivrer en attendant la naissance de l’autorité de régulation.
Même si le décret stipule que tout refus d’accorder le certificat doit être motivé, il reste que toute activité dans le domaine demeure soumise à l’accord de l’administration, du moins tant qu’une autorité indépendante constituée de professionnels n’est pas mise en place. Et on ne peut pas appeler cela une avancée notable par rapport à la loi de 2012 sur l’information qui a acté la liberté de création des sites internet.
L’exigence de domiciliation du site « physiquement et logiquement » en Algérie, avec une extension du nom de domaine « .dz », peut aussi être perçue comme une énième entrave aux sites déjà existants qui, en changeant d’adresse, vont perdre de larges parts d’audience, nonobstant le risque de buter sur d’éventuels obstacles bureaucratiques et au fait du prince. En plus, les capacités de domiciliation sont limitées et la sécurisation non garantie sachant que des secteurs plus stratégiques ne sont pas domiciliés en Algérie.
Une question de volonté politique
Il est aussi fait obligation aux prétendants à la création de sites d’information de justifier les fonds constituant le capital et destinés au financement de l’entreprise.
Une aberration juridique quand on sait que l’enregistrement d’une société commerciale se fait devant un notaire, avec dépôt du montant du capital social sous forme de chèque bancaire, donc sans possibilité de recours à des fonds douteux. De plus, il n’est pas fait mention de la procédure d’une telle justification ni de l’autorité devant laquelle elle devra se faire.
Quelle presse pour l’Algérie ?
Surtout, le texte reste muet sur les suites à donner à la suspension ou au retrait du certificat d’enregistrement prévus en cas de non-conformité à ses dispositions.
Le « blocage » d’accès aux sites, institué dans l’opacité depuis 2017, n’est pas autorisé, mais n’est pas explicitement interdit conformément à l’esprit de la nouvelle constitution.
Néanmoins, et quoi que l’on puisse espérer ou redouter de la teneur du nouveau décret exécutif, on est devant des dispositions d’un décret dont les retombées demeurent tributaires de la manière de leur mise en œuvre et de l’objectif recherché par les autorités à l’origine de son élaboration et de sa promulgation.
Le développement de la presse électronique ou sa mise au pas sont avant tout une question de volonté politique. Hélas, toutes les appréhensions qui pourraient être suscitées n’auraient pas lieu d’être sans les précédents de ces derniers mois et années qui ont traduit l’irrésolution du pouvoir, voire son refus de s’accommoder d’une presse réellement indépendante et épanouie.
Entre une presse forte et influente par sa crédibilité et une presse rentière, docile et inutile, l’Algérie devra trancher et cesser de tâtonner.