Dans le contexte très agité des dernières semaines de l’année, marqué par beaucoup d’annonces gouvernementales, la signature, samedi 23 décembre, d’une « Charte du partenariat public –privé » est présentée par la quasi-totalité des commentateurs nationaux comme une relance, voire un « redémarrage des privatisations des entreprises publiques ».
En réalité il s’agit pour l’instant de beaucoup moins que cela. Le pacte conclu le 23 décembre n’introduit en réalité aucune nouveauté sur le plan juridique dans ce domaine et ne constitue pas non plus un « programme de privatisations » qui supposerait l’élaboration d’une liste d’entreprises à privatiser approuvée par le Conseil des participations de l’État (CPE) qui est le représentant du propriétaire de ces entreprises.
Un « guide pratique » du partenariat
La charte approuvée par le gouvernement, l’UGTA et les organisations patronales se présente en fait comme une sorte de guide pratique du partenariat public- privé qui se fixe seulement pour objectif , dans le cadre, très strict et très contraignant, du dispositif juridique existant, de « réunir dans un seul document les dispositions et procédures y afférentes émises par le Conseil des participations de l’État » .
Il constitue, dans le meilleur des cas, une « invitation » adressée aux entreprises publiques et privées à se rapprocher dans le but de créer des filiales communes.
Ces dernières doivent cependant s’inscrire dans le cadre juridique existant que la charte se contente de rappeler. C’est ainsi que dans le cas où le partenaire privé est algérien « la quote-part de l’entreprise publique ou de sa filiale concernée ne peut être inférieure à 34% du capital social » qu’il s’agisse de l’ouverture du capital d’une entreprise publique existante ou de la création d’une filiale commune. Cette disposition juridique était déjà prévue dans la Loi de finances 2016.
Dans le cas où le partenaire privé est étranger, la charte précise encore que « la quote-part de ce dernier ne peut excéder 49% du capital » ce qui est encore un simple rappel et une confirmation de la règle du 51 /49 édictée par la LFC 2009.
La démarche restera très encadrée et semble devoir être surveillée comme le lait sur le feu par les pouvoirs publics. C’est ainsi que, pour plus de précautions, la Charte rappelle encore que le processus de partenariat sera « géré, suivi et contrôlé » par le Conseil des participations de l’État (CPE), le secrétariat du CPE, le ministère sectoriel chargé de la supervision, l’entreprise publique elle-même, le Conseil d’administration ainsi que le partenaire social.
La « fierté » d’Ali Haddad
Un ensemble de dispositions et de rappels qui semblent donc très loin d’annoncer une relance tous azimuts du processus de privatisation des entreprises publiques dans notre pays. Ce qui n’a pas empêché le président du FCE de saluer, hier , la charte pour la mise en œuvre du partenariat public-privé.
« Je n’ai pas de mots pour décrire ma fierté et ma joie de faire partie des artisans de cette refondation historique du modèle économique algérien », a déclaré Ali Haddad. Pour le président du FCE, désormais « il n’y a plus d’entreprises privées ni d’entreprises publiques mais des entreprises nationales algériennes qui vont cimenter et renforcer le socle de l’économie de notre pays ».
Un feuilleton qui dure depuis un quart de siècle
Pour tenter de fixer les idées à propos d’un sujet qui suscite beaucoup de conjectures, il n’est certainement pas inutile de proposer quelques repères. Fin 1995, Ahmed Ouyahia entamait son premier mandat de premier ministre, l’« ajustement structurel » battait son plein depuis déjà quelques années. On avait fermé les souks el fellah et vendu des entreprises locales. Le débat public tournait autours de la question de savoir s’il fallait ou non engager les réformes de structure et passer au stade d’une privatisation à plus grande échelle des entreprises publiques nationales.
Nous sommes en fin décembre 2017, vingt-deux ans ont passé et on en est exactement au même point. On continue de se demander s’il faut privatiser les entreprises publiques. L’Algérie figure aujourd’hui parmi les 5 ou 6 derniers pays dans le monde où le secteur public occupe une position dominante dans une grande partie de l’industrie, le secteur financier ou encore les télécommunications. Cela aurait-il un rapport avec le fait que notre industrie (hors hydrocarbures) n’exporte presque rien ? Que nos services financiers ( banques, assurances et marchés financiers) sont sous développés et sous dimensionnés et nos télécoms très peu performantes ?
Le secteur public c’est quoi ?
Quel est aujourd’hui le périmètre représenté par les entreprises publiques nationales ? En Algérie, on dénombre environ 1200 entreprises publiques en comptant les filiales de près de 400 « sociétés mères ». Elles emploient environ 400. 000 personnes. On estime que près de 90% de ces entreprises sont des PME et un peu plus de 150 de « grandes entreprises » comptant plusieurs centaines de salariés.
Si on en juge par des données rendues publics régulièrement, la très grande majorité de ces entreprises (plus de 80%), au lieu de créer des richesses et de payer des impôts, accusent des déficits permanents et font appel chaque année un peu plus aux ressources du Trésor et des banques publiques. Le coût financier pour le Trésor public des « assainissements financiers » à répétition des entreprises publiques déficitaires est considérable. Il se mesure en dizaines de milliards de dollars au cours des dernières décennies .
C’est la raison pour laquelle le sujet de leur privatisation revient sur le devant de la scène publique chaque fois que le pays est confronté à une crise financière.
Que dit la loi à propos des privatisations ?
Contrairement à une idée reçue, les privatisations d’entreprises publiques ont été rendues possibles depuis que ces dernières ont été transformées en Sociétés par actions (SPA) par des lois sur les « capitaux marchands de l’État » qui datent de ….1988, déjà dans le sillage de la baisse des prix pétroliers de 1986 qui avait vu le baril descendre sous les 10 dollars . Il suffit donc, depuis cette date, que le Conseil des Participations de l’État (CPE), qui est présidé par le Premier ministre, décide de l’ouverture du capital d’une entreprise publique ou de sa privatisation totale pour que celle-ci devienne effective.
Des privatisations partielles ou totales en Algérie, il y en a déjà eu. Elles ont connu des fortunes diverses. Certaines ont été un échec, comme celle qui a conduit au rachat récent par l’État du complexe sidérurgique d’El Hadjar dans lequel il a décidé de réinvestir près d’un milliard de dollars. D’autres ont eu plus de succès comme par exemple celle de l’ancien ENAD par le groupe allemand Henkel.
Ce que prévoyait déjà la Loi de finance 2016
Avant la publication de la Charte signée samedi, le dernier épisode en date du feuilleton des privatisations en Algérie était constitué par l’adoption de la Loi de finances 2016. L’une des mesures les plus controversées de cette Loi est contenue dans le fameux article 66. Cet article créait pour la première fois une « minorité de blocage » à hauteur de 34% du capital , qui restera entre les mains de l’État en cas de privatisation d’une entreprise publique .
L’article 66 de la Loi de finance 2016 avait, en fait, pour objectif de permettre à l’État algérien de s’assurer, à travers le maintien d’une minorité de blocage, que les objectifs assignés à la privatisation sont bien respectés par le nouveau management des entreprises dont la privatisation serait à l’avenir décidée par le gouvernement.
Pour dire les choses clairement il s’agissait de vérifier que la privatisation s’effectuera conformément à un cahier des charges défini préalablement (qui prévoit en général le maintien de l’activité de l’entreprise, de l’emploi et de nouveaux investissements) et qu’elle ne donnera pas lieu à des opérations spéculatives comme la vente d’actifs immobiliers ou de terrains.
Vers des privatisations tous azimuts ?
Mais le gouvernement n’avait aucun besoin de la Loi de finances 2016 pour privatiser les entreprises publiques. Il n’avait pas non plus besoin de la Charte du partenariat public –privé adoptée hier pour le faire. Cette dernière ne constitue pas un « nouveau programme de privatisation massive des entreprises publiques ».
Le seul programme en cours et adopté formellement par le CPE est celui qui concerne l’ouverture du capital de 8 entreprises publiques par le biais de la Bourse d’Alger .Ce programme est pour l’instant gelé depuis l’échec retentissant de la première tentative d’ouverture, par la Bourse, du capital de la cimenterie de Ain Kébira voici un peu plus d’un an.
Des blocages idéologiques
Est-ce que le gouvernement ira plus loin dans les mois à venir ? C’est ce que suggère a priori l’adoption d’un « guide pratique » . Mais ce processus risque de continuer à se heurter à des blocages aussi bien idéologiques que de nature pratique.
Si on en juge par les déclarations récentes des responsables économiques ainsi que par les textes juridiques sectoriels, en préparation ou adoptés récemment, on peut déjà tenter de faire quelques pronostics sur l’orientation future du processus de privatisation dans notre pays.
Premièrement, il ne concernera pas les « entreprises réputées stratégiques ». Pas de « privatisation de Sonatrach », ni de Sonelgaz ou d’Algérie Télécom en vue .
Une deuxième orientation probable concerne les « grandes entreprises publiques » dont le gouvernement tente désormais en priorité de moderniser le management, en procédant au passage à des recapitalisations coûteuses comme le montrent les décisions récentes concernant le complexe d’El Hadjar ou la SNVI .
Dans le cas de ces « grandes entreprises » industrielles mais aussi du secteur financier ou des services, dont il semble vouloir encore longtemps garder le contrôle, le gouvernement n’exclut cependant pas le recours à des formules de partenariat international dans le cadre du 51/49 ( SNVI, Saidal, ENIE ,etc..) ou à des ouvertures partielles et limitées de capital par la Bourse ( les 8 adoptées par le CPE).
Les PME publiques dans le viseur
La troisième orientation concerne les centaines de PME publiques déficitaires qui semblent être dans le viseur de l’Exécutif à travers la Charte du partenariat public-privé ainsi qu’elles l’étaient déjà dans l’article 66 de la Loi de finances 2016. C’est aussi ce que suggère les déclarations récentes du Premier ministre sur les « hôtels et les minoteries ».
Mais à quel rythme cette privatisation des PME publiques s’effectuerait-elle ? Dans ce domaine, il ne faut sans doute pas se faire d’illusions. Contrairement à une idée encore largement répandue dans l’opinion et les médias nationaux, les PME publiques ne sont pas un « trésor national » sur lequel vont se précipiter goulûment des prédateurs affamés. En dépit de l’enthousiasme, manifesté par Ali Haddad, les « repreneurs » ne vont certainement pas se bousculer pour ces entreprises souvent de taille modeste et en piteux état sur le plan financier.