Francis Perrin, directeur de recherche à l’Iris (Paris) et chercheur associé au Policy center for the New South (Rabat) aborde dans cet entretien à TSA les prix du gaz et du pétrole, la hausse des exportations algériennes de gaz vers l’Europe, les capacités algériennes de répondre à la demande européenne, l’investissement dans le secteur des hydrocarbures en Algérie….
TSA. Après l’Italie, c’est la France qui sollicite l’Algérie pour avoir plus de gaz. Des accords à moyen et long terme sont évoqués, mais l’Algérie n’est pas reliée par gazoduc à la France et le GNL est régi par le marché spot. De quoi s’agit-il exactement ?
Francis Perrin : L’Algérie peut livrer du gaz à la France soit par le gazoduc Medgaz vers l’Espagne, soit sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL) à partir de ses usines de liquéfaction vers les terminaux GNL français.
C’est d’ailleurs déjà le cas mais la question actuelle est de voir s’il est possible d’accroître les livraisons algériennes au marché français. Ce sujet est en cours d’examen par les deux opérateurs gaziers concernés, la Sonatrach et Engie.
La Sonatrach est intéressée à accroître sa participation dans le portefeuille d’approvisionnements du groupe français mais on est effectivement plus dans un horizon de moyen terme que de court terme.
Quant au GNL, il peut très bien faire l’objet de contrats de moyen terme ou de long terme et pas seulement d’échanges spot. Mais il faut que les discussions puissent déboucher sur la conclusion d’un contrat avec des termes acceptables pour les deux parties et cela prend évidemment un peu de temps.
TSA. L’Algérie peut-elle augmenter ses exportations de gaz à la France, sachant qu’elle a pris des engagements avec l’Italie ?
Francis Perrin : Ce serait difficile à court terme compte tenu de l’accord déjà conclu entre la Sonatrach et le groupe Eni au cours du printemps.
Cet accord prévoit que les exportations de gaz algérien vers l’Italie augmenteront dès 2022 et que les volumes supplémentaires atteindront jusqu’à 9 milliards de mètres cubes par an sur 2023-2024.
Par contre, dans un horizon de moyen terme, ce serait possible compte tenu des découvertes récentes et des projets de développement en cours en Algérie.
TSA. Dans quelle mesure les capacités algériennes, en termes de réserves, de production et de transport, permettent-elles de répondre à la demande immédiate et à terme de l’Europe en matière de gaz ?
Francis Perrin : À mon avis, la question clé n’est pas les réserves ou les capacités de transport. C’est la capacité de production. En 2021, la production commercialisée de gaz de l’Algérie était d’environ 103 milliards de mètres cubes, la consommation nationale de près de 49 milliards de mètres cubes et les exportations de 54 milliards de mètres cubes.
Pour exporter plus tout en continuant à satisfaire les besoins nationaux, ce qui est bien sûr la priorité absolue, il faut augmenter la capacité de production.
Ce n’est pas une mission impossible au regard du potentiel gazier du pays et des découvertes gazières qui y sont réalisées mais il faut que les investissements requis soient effectués et, ce, à temps.
Ce qui est certain, c’est que l’Algérie n’a pas aujourd’hui de capacités disponibles significatives d’exportation vers l’Europe compte tenu de l’accord gazier conclu avec l’Italie.
On est plus dans un horizon de moyen terme pour des livraisons supplémentaires vers l’Europe en plus de celles déjà décidées vers le marché italien.
TSA. L’Europe veut du gaz, mais elle est réticente à consentir les investissements nécessaires dans les pays producteurs comme l’Algérie. Globalement, les investissements étrangers qui ont tant fait défaut à l’industrie énergétique algérienne viendront-ils enfin, sachant qu’en plus de la nouvelle donne mondiale, l’Algérie a adopté de nouvelles lois sur les hydrocarbures et les investissements et que les compagnies pétrolières mettent le cap sur la transition énergétique ?
Francis Perrin : La loi sur les hydrocarbures de décembre 2019 est une évolution importante dans les efforts de l’Algérie pour augmenter son attractivité auprès des investisseurs étrangers.
Certes, la pandémie de Covid-19 à partir du début 2020 n’a pas été un facteur favorable mais, depuis 2021, il y a des conséquences positives. Eni a renforcé son implantation en Algérie, Sinopec (Chine) a signé un nouveau contrat et, en juillet 2022, la Sonatrach, Eni, TotalEnergies et Occidental Petroleum ont procédé à une extension sur 25 ans du contrat de partage de production portant sur les blocs 404 et 208 dans le bassin de Berkine.
Il y a donc un intérêt pour l’exploration-production d’hydrocarbures en Algérie de la part de certaines compagnies pétrolières européennes, américaines et asiatiques.
Plusieurs de ces compagnies investissent dans d’autres secteurs, notamment les énergies renouvelables et l’électricité, dans le cadre de la transition énergétique, mais cela ne signifie pas qu’elles abandonnent les hydrocarbures.
TSA. Au printemps dernier, l’Europe a fait part de sa résolution de réduire sa dépendance aux hydrocarbures russes. Où en est-on quatre mois après ?
Francis Perrin : L’Union européenne (UE) a décidé de renoncer complètement au gaz russe d’ici cinq ans et de commencer dès 2022 à réduire ses importations auprès de Gazprom.
Le processus a effectivement commencé. L’UE a conclu des accords avec les États-Unis, l’Égypte et Israël et avec l’Azerbaïdjan pour des livraisons supplémentaires de gaz, l’Italie a conclu un accord avec l’Algérie et l’UE et certains pays européens sont en contact avec d’autres pays gaziers en ce sens.
Les stocks gaziers européens sont remplis à 80 % et ce taux va encore monter avant l’hiver. Les pays européens se sont engagés à réduire leur consommation gazière de 15 % sur la période allant d’août 2022 à fin mars 2023 par rapport aux années précédentes.
Et ils entendent remplacer une partie du gaz consommé en Europe par d’autres énergies, notamment les énergies renouvelables, le nucléaire et, si besoin à court terme, le charbon et le pétrole.
TSA. L’objectif de remplacer tous les volumes russes est-il raisonnable ?
Francis Perrin : C’est très ambitieux mais possible dans un horizon de moyen terme. À court terme, c’est exclu évidemment. La stratégie européenne est bonne car elle est globale et elle repose sur plusieurs piliers complémentaires que je viens de lister en réponse à votre question précédente.
Par ailleurs, revenir en arrière serait désastreux pour la crédibilité de l’UE. Compte tenu de l’importance des hydrocarbures pour l’économie de la Russie, les sanctions contre le pétrole et le gaz naturel sont à terme le moyen le plus efficace de faire pression sur ce pays.
Et il est difficile à présent de considérer Gazprom comme un fournisseur fiable.
TSA. Les Européens risquent-ils de se retrouver sans chauffage cet hiver ?
Francis Perrin : Il y a un risque de pénurie de gaz et d’électricité en Europe cet hiver mais les États européens vont au maximum protéger leurs populations.
S’il doit y avoir en dernier recours des coupures dans les fournitures d’énergie, celles-ci affecteront d’abord les entreprises et les administrations. Les Européens ne seront pas privés de chauffage cet hiver mais ils sont appelés à faire des économies d’énergie dans la mesure du possible.
TSA. Au printemps dernier, certains avaient annoncé un pétrole à 300 dollars, mais cela n’est pas arrivé. Pourquoi ?
Francis Perrin : Depuis le début de la guerre en Ukraine, les prix du gaz et de l’électricité ont flambé. Les prix du pétrole ont fortement augmenté au début de la guerre mais ils n’ont jamais atteint leurs niveaux record à la différence des cours du gaz et de l’électricité en Europe.
Le prix du Brent de la mer du Nord est monté jusqu’à près de 140 $ par baril (le record est de 147 $/b en juillet 2008) au début mars avant de baisser et d’osciller entre 90 $ et 120 $/b.
Le 2 septembre en fin de journée, le Brent dépassait légèrement 93 $/b. Il est donc revenu, pour l’instant, plus ou moins à son niveau juste avant la guerre en Ukraine.
TSA. Les prix du pétrole vont-ils augmenter ou baisser en 2023 ?
Francis Perrin : Le comportement relativement raisonnable des prix du pétrole s’explique par le fait qu’il n’y a pas en 2022 de pénurie de pétrole.
Le marché est certes tendu et la consommation pétrolière mondiale augmente mais l’offre pétrolière suit la progression de la demande grâce aux pays de l’OPEP+ et à certains pays non-OPEP, dont les États-Unis.
TSA. Jusqu’à où l’augmentation des prix du gaz peut-elle aller ?
Francis Perrin : Question très difficile. Il y a des facteurs baissiers, en particulier le ralentissement économique mondial et un éventuel accord entre Téhéran et Washington sur le programme nucléaire de l’Iran, et des facteurs haussiers, notamment la guerre en Ukraine et la croissance de la demande pétrolière mondiale prévue en 2023 (sauf en cas de récession).
La baisse des cours est le scénario le plus probable mais on doit rester très prudent car les incertitudes sont nombreuses.
Au début mars, le prix du gaz sur le marché TTF aux Pays-Bas a atteint 345 euros par mégawattheure, ce qui constitue un record.
Les prix ont ensuite baissé mais ils sont remontés quasiment au même niveau à la fin août avant de chuter d’environ 40 %. Le 2 septembre, le prix était de 212 euros/MWh.
C’est sept fois plus qu’au début septembre 2021 mais c’est nettement moins qu’il y a six mois. La flambée des prix du gaz n’est donc pas une fatalité.
Les facteurs haussiers n’ont cependant pas disparu. Nous sommes en été et la consommation gazière européenne sera évidemment plus élevée en hiver ; la Russie réduit fortement ses livraisons à l’UE, comme le montre la non réouverture du gazoduc Nord Stream après la période de ”maintenance” de trois jours annoncée initialement par Gazprom ; et, si l’hiver prochain devait être rigoureux en Europe, la consommation européenne serait plus importante. Ce sont des éléments qui pourraient à nouveau pousser les cours à la hausse.