Le passage à la barre d’anciens hauts responsables de l’Etat algérien dans les procès publics qui se succèdent depuis près d’une année au tribunal de Sidi M’hamed et la Cour d’Alger, au-delà des chiffres révélés, a levé le voile sur la manière dont ont été gérées les affaires de l’Algérie pendant ces deux dernières décennies, dans une conjoncture de grande aisance financière.
Si le pays n’a pas suffisamment mis à profit l’argent du pétrole qui a coulé à flots, l’opinion publique comprend maintenant mieux pourquoi.
Depuis début décembre 2019, date du premier procès du genre, jusqu’aux derniers en date, ceux de Mme Maya, la prétendue fille cachée de Bouteflika, et de l’affaire Haddad (en appel), les chiffres ont défilé et ont laissé beaucoup incrédules.
Les préjudices estimés pour le Trésor publics se sont à chaque fois élevés à des milliers de milliards de centimes. L’accointance du monde de l’argent avec celui de la politique s’est traduite par des avantages illégaux concédés à des entreprises et hommes d’affaires au détriment d’autres et au mépris de la loi, non sans contrepartie.
Le meilleur exemple a été donné lors du premier procès, celui des usines de montage automobile auquel avait été greffée, non sans raison, l’affaire du financement occulte de la campagne électorale pour le cinquième mandat avorté.
Liaisons dangereuses entre l’argent et la politique
Certains de ceux qui avaient obtenu les autorisations pour installer des unités de montages étaient précisément ceux qui se montreront les plus généreux dans le financement de l’entreprise de l’ancien président de briguer un autre mandat, après vingt ans à la tête de l’Etat et en dépit de sa maladie.
Les procès ont révélé, globalement, deux procédés qui avaient permis à des fortunes colossales de se constituer et à des sommes énormes de quitter le pays : la violation de la loi, comme le Code des marchés publics, ou carrément l’élaboration de textes sur mesure, comme cette obligation faite aux entrepreneurs qui réalisent de grands projets, de s’associer avec des partenaires étrangers sous le prétexte, à première vue louable, de mettre à profit leur expertise, mais qui a in fine facilité le transfert d’importants dividendes en devises vers l’étranger en toute « légalité ».
Au fil des procès, l’opinion publique a découvert, ahurie, la facilité avec laquelle des fonctionnaires et commis de l’Etat, censés veiller à l’application de la loi, ont laissé faire.
Des walis, des ministres, des secrétaires généraux de ministères, des maires, des directeurs d’agences publiques ou simplement de simples fonctionnaires ont été très peu regardants sur le respect de la loi. Un coup de fil du chef hiérarchique direct suffisait pour effacer des piles et des décennies de règlements et de procédures.
Niaiserie et gangstérisme
Certaines affaires ont aussi montré que la cupidité n’a parfois pas de limites. Au procès de l’ancien directeur général de la sûreté nationale, Abdelghani Hamel, et de sa famille, ceux qui attendent un toit décent depuis des décennies, et tous les Algériens avec eux, ont été indignés d’entendre que parmi la soixantaine de biens immobiliers de la famille figuraient des logements sociaux…
Stupidité et gangstérisme
L’affaire de Mme Maya a, elle, dévoilé deux facettes d’une partie du personnel politique qui a géré le pays pendant cette période : la stupidité et le gangstérisme.
Des sommes colossales et des quantités de bijoux ont été découvertes cachées dans une villa de Moretti sur la côte ouest d’Alger, fruit de l’action d’un réseau d’escroquerie dirigé par la dame et dans lequel sont impliqués d’anciens hauts responsables.
A la barre, d’anciens walis et ex-ministres ont avoué avoir mordu pendant de longues années au mensonge de Mme Maya qui se faisait passer pour la fille cachée du président Bouteflika, quand bien même il est vrai qu’ils ont été instruits de la prendre en charge.
Mais le plus incompréhensible reste l’attitude des deux anciens Premiers ministres jugés. Abdelmalek Sellal, connu pour son goût pour la plaisanterie quand il était aux affaires, a transformé les audiences en monologues humoristiques, tout en déclinant toute responsabilité dans ce qui est advenu des affaires de l’Etat sous son autorité.
Ahmed Ouyahia ne savait rien non plus. Ce qu’ils faisaient à la tête de l’Exécutif ? A les entendre, ils exécutaient les décisions du président et de son frère qui, officiellement, n’était que simple conseiller à la Présidence. D’un homme comme Ahmed Ouyahia, énarque, ancien diplomate et chef du gouvernement en 1995 déjà, les Algériens étaient en droit d’attendre mieux.