Le procès qui se déroule au tribunal de Sidi M’hamed, et qui en est ce jeudi 5 décembre à son deuxième jour, vaut peut-être plus par les révélations faites sur le financement de la campagne pour le cinquième mandat que par les détails ésotériques du dossier de l’industrie de montage automobile.
Sur ce dernier volet, on a vu en ce deuxième jour deux accusés s’affronter et se rejeter la balle : Youcef Yousfi déclare à la barre qu’il était, en sa qualité de ministre de l’Industrie, en désaccord avec son chef hiérarchique direct, le Premier ministre Ahmed Ouyahia, sur l’approbation du dossier « non conforme » du groupe Mazouz.
Celui-ci n’avait pas inclus un partenaire étranger dans le capital de son usine d’assemblage de camions comme le stipulait le cahier des charges. Tout ce qui a été dit jusque-là sur les dessous du lancement de la filière automobile n’a pas permis d’établir que les avantages obtenus par les hommes d’affaires incriminés ont été suivis ou précédés de contreparties financières.
Seul Abdelmalek Sellal a été enfoncé par son fils par des arguments tirés par les cheveux. Farès Sellal a expliqué au juge qu’il a pris 23% du capital de l’usine du groupe Mazouz en apportant son seul savoir-faire.
La réponse de l’ancien Premier ministre est tout aussi légère : il n’était pas au courant que son fils détenait le quart des parts dans un groupe qui brasse des milliards en fabriquant des camions de gros tonnage.
Le reste des échanges est une succession de détails techniques, de témoignages sur des manquements aux procédures et de débats sur le bien-fondé même de lancer l’industrie d’assemblage automobile et les milliers de milliards qu’elle a fait perdre au Trésor public en exonérations.
Aussi élevé et choquant soit-il, le chiffre est la résultante d’une politique de l’État algérien qui, du reste, perd annuellement des sommes plus importantes en encouragements divers pour l’investissement, les exportations, l’emploi…
L’odeur nauséabonde de la corruption, la vraie, commence à se sentir lorsque les juges abordent l’autre volet du procès, le financement occulte de la campagne électorale de Bouteflika.
Le bâtonnier d’Alger, Abdelmadjid Sellini, s’était offusqué de la décision du tribunal de juger les deux dossiers dans le même procès, mais tout compte fait, l’idée n’était pas si mauvaise que ça.
Les hommes d’affaires ayant bénéficié de supposées largesses lors du montage de leur investissement comptent également parmi les plus généreux bailleurs de fonds du président en campagne pour un cinquième mandat.
Même si tout le monde évite depuis le début du procès de citer l’ancien président ou son frère, le jumelage des deux dossiers permet, du moins à l’opinion, de suivre le fil.
On ne met pas 39 milliards de centimes sur la table pour les seuls yeux verts de Bouteflika. 39 milliards, c’est la somme par laquelle a contribué un seul des hommes d’affaires poursuivis, Mazouz en l’occurrence.
À la barre, il confirme avoir remis la somme à Ali Haddad dans son bureau de président du Forum des chefs d’entreprise. Celui-ci aurait mis 180 milliards.
Le procédé est d’une légèreté à peine croyable. « On m’a dit que tout le monde a payé, alors moi aussi j’ai payé », explique Ahmed Mazouz.
Du racket, du chantage ou tout simplement de l’excès de zèle et de l’opportunisme ? Il y a sans doute un peu de tout cela. Une partie de la somme a été effectivement retrouvée chez Ali Haddad.
Le système Bouteflika et ses pratiques sont directement mis en cause. Même si personne jusque-là n’a fait part d’une injonction directe de Saïd Bouteflika, Abdelmalek Sellal s’est chargé de tout résumer au premier jour du procès : « J’étais certes le directeur de campagne, mais le volet financier était du ressort du président et de son frère ».