Austérité et rendez-vous électoraux ne font pas bon ménage. Cette règle non écrite du fonctionnement du système de gouvernance en Algérie se vérifie encore à l’approche de l’élection présidentielle du 18 avril.
Le scrutin de cette année tombe très mal, car survenant dans une conjoncture économique difficile avec le recul des recettes pétrolières et l’inéluctabilité de l’érosion totale des réserves de change dans deux ou trois ans, mais entre l’impératif de mesures douloureuses mais salvatrices et le souci de faire passer son plan politique, le pouvoir a vite fait le choix.
Il a pris ses devants dès l’automne avec l’élaboration puis l’adoption d’une loi de finances ne contenant aucune nouvelle taxe ni augmentation des tarifs des prestations publiques et maintenant les transferts sociaux à des niveaux élevés. Le rétablissement des équilibres budgétaires est remis à plus tard, le temps que passe cette présidentielle de toutes les incertitudes.
Alors que la contestation du cinquième mandat de Bouteflika prend de l’ampleur dans la rue et sur les réseaux sociaux, le gouvernement a lui aussi investi le terrain, multipliant annonces et promesses, impensables il y a seulement quelques mois.
À Tizi-Ouzou, le ministre du Travail est allé au-delà des espérances des jeunes promoteurs de l’ANSEJ en leur annonçant, avant même qu’il ne soit interpellé, que le gouvernement est prêt à leur accorder ce qu’ils réclamaient en vain depuis des années : le non-recours aux poursuites judiciaires contre ceux qui ne remboursent pas leur prêt, autrement dit les mauvais payeurs.
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La formule utilisée cache mal le fond de la décision gouvernementale qui ressemble en fait à une amnistie qui ne dit pas son nom. Par quel autre moyen que la justice l’État pourra recouvrer son argent s’il ne se fait pas rembourser ? Le ministre ne le dit pas, car il n’en existe pas. L’urgence de circonscrire la protesta ou encore d’éviter le camouflet d’une forte abstention lui a fait oublier que l’ANSEJ n’est pas une caisse de solidarité, mais un mécanisme destiné à booster l’emploi et la création de richesse dont le moteur premier reste l’effort des promoteurs. Sans la perspective d’échéances à honorer, un tel effort n’est pas garanti et c’est toute l’essence du dispositif qui se trouve remise en cause.
Le plan à faire passer justifie toutes les incuries. C’est ce que la campagne a de magique : elle fait plier d’une manière spectaculaire le gouvernement là où toutes les montées au créneau et tous les arguments d’experts ont échoué.
La règle 51/49 sur l’investissement est farouchement défendue depuis dix ans par tous les Premiers ministres et tous les ministres de l’Industrie. Jusqu’à il y a quelques jours, l’actuel, Youcef Yousfi, s’est fait, face aux protestations des opérateurs économiques et de quelques chancelleries étrangères, l’avocat de cette disposition introduite par la loi de finances 2009.
En décembre dernier, il se félicitait du fait que la règle avait fini par être acceptée de tous et, la semaine passée, sans transition, il décrétait qu’elle ne constituait pas un texte sacré, ouvrant la voie à sa très probable suppression dans les prochains mois.
Le souci de M. Yousfi est vraisemblablement de rallier à la cause du cinquième mandat des soutiens supplémentaires parmi les partenaires étrangers du pays et certains milieux d’affaires et économiques nationaux très critiques à l’égard de cette règle.
Son collègue de l’Intérieur, lui, sillonne le pays pour tenter de convaincre les citoyens que la continuité est le meilleur choix qui s’offre à eux. Ce lundi 18 février, Noureddine Bedoui a tenu à annoncer en personne la bonne nouvelle aux habitants d’Aïn Ouessara : le président de la République, donc le candidat Bouteflika, a décidé d’élever leur daïra au rang de “wilaya déléguée”. On ne sait pas ce que ce néologisme signifie concrètement, mais les populations des grandes daïras du sud et du nord semblent s’en contenter et le pouvoir ne se gêne pas pour s’en servir pour refroidir les ardeurs de protestataires qui soulèvent les vrais problèmes. Aïn Salah fut par exemple décrétée wilaya déléguée lorsque ses habitants s’étaient élevés contre l’exploitation du gaz de schiste dans leur région, en 2015.
Cette tendance du gouvernement à ne se montrer flexible qu’en période électorale est trop flagrante pour échapper aux syndicats et organisations qui portent de vieilles revendications. L’intersyndicale de l’éducation a déjà annoncé une grève de deux jours pour cette semaine et les retraités de l’armée se sont remis à battre le pavé. Les autres doivent faire vite, la générosité prendra fin dans deux mois.