Le constat est fait même au sommet de l’Etat. Des efforts sont consentis pour tirer l’économie vers l’avant, mais l’administration ne suit pas. En à peine une semaine, deux faits sont venus rappeler la triste réalité.
D’abord, la montée au créneau du président de la République Abdelmadjid Tebboune qui y voit la main de la « contre-révolution ». Ensuite, la note par laquelle la Banque d’Algérie a rappelé à l’ordre les banques commerciales qui n’auraient pas appliqué ses précédentes instructions concernant les mesures de soutien aux entreprises économiques impactées par la crise de Covid-19.
Ce n’est pas la première fois que le régulateur se voit contraint de revenir à la charge pour faire suivre d’effet ses décisions et la note peut paraître à première vue routinière.
Sauf qu’elle concerne une orientation prise au sommet de l’Etat et qui remonte à une année, précisément à avril 2020. Les objectifs de la décision étaient clairs et explicités dès le départ. Il s’agissait de permettre aux banques et établissements financiers « d’assurer un accompagnement adéquat des entreprises de production de biens et de services, à l’effet de juguler les effets négatifs de la pandémie, sur l’économie nationale ».
L’orientation était conjoncturelle et comprenait des « assouplissements et allègements exceptionnels », dans l’objectif de soutenir et de préserver la résilience des banques, face aux difficultés auxquelles serait confrontée leur clientèle, impactée par la crise sanitaire.
Une année après, ces assouplissements « conjoncturels » ne sont toujours pas mis en œuvre, à en croire la Banque d’Algérie – qui en passe a franchement tardé pour lancer son avertissement.
Le gendarme monétaire aurait pu faire un bilan trois mois après la mise en place de ces mesures anti-Covid, mais il a pris son temps. Entre temps, des entreprises, qui devaient bénéficier de ces mesures ont certainement payé le prix cher.
Une année de contraintes, de baisse des plans de charge et d’arrêt de l’activité dans certains cas, c’est largement suffisant pour étouffer une entreprise et la contraindre au dépôt de bilan.
C’est la lecture première qu’il faut faire de la note de la BA. Celle-ci déplore clairement que « certaines banques n’aient pas saisi le sens des mesures initiées par la Banque d’Algérie, et continuent à appliquer aux entreprises, affichant des situations de difficulté passagère, des mesures de recouvrement coercitives ».
Les conséquences de cette énième « rébellion » de la « machine bureaucratique » sont sans doute désastreuses. En attendant le bilan officiel de l’impact de la pandémie sur les entreprises, autrement dit le chiffre définitif des sociétés qui ont mis la clé sous le paillasson ou procédé à une importante compression d’effectifs durant cette période, un indicateur est déjà disponible : des centaines de milliers d’emplois ont été perdus, notamment dans le secteur privé.
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Gap entre le discours officiel et l’attitude de l’administration
Au-delà de la crise sanitaire, qui n’est que conjoncturelle et qui n’explique pas, à elle seule, la descente aux enfers de l’économie algérienne, c’est tout l’environnement économique qui appelle des mesures urgentes.
L’économie nationale peine à démarrer et, entre le discours officiel, qui insiste sur la réduction de la dépendance du pays aux hydrocarbures et la relance de l’investissement productif, et l’attitude de l’administration, il y a comme un gap que personne n’arrive à s’expliquer.
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Le constat n’a pas échappé au président Abdelmadjid Tebboune qui a dénoncé, lors de sa dernière interview télévisée, une volonté de torpiller les réformes.
Tebboune a appelé au « changement des mentalités dans l’administration qui bloque parfois les décisions prises par le Président », et promis de lutter farouchement contre ces comportements.
Pour revenir à l’économie, on entend régulièrement des investisseurs et même des exportateurs se plaindre des entraves bureaucratiques, d’une législation désuète.
En outre, beaucoup de dossiers sont restés longtemps en suspens ou restent encore, en dépit du tapage qui les entoure. On citera ceux de l’importation de véhicules d’occasions et neufs, tranchés après plusieurs mois de tergiversations, de l’industrie automobile ou encore celui de la transition énergétique dont le retard a été dénoncé publiquement par le ministre de l’Energie Abdelmadjid Attar qui quittera ses fonctions quelques semaines plus tard à l’occasion du dernier remaniement ministériel.
Globalement, la réforme promise de l’économie attend toujours. La semaine passée, le président a révélé que le très attendu nouveau code des investissements en est encore à sa « première mouture ».
En une année, le gouvernement n’a pas pu préparer un texte pourtant vital pour l’économie algérienne, qui souffre de l’instabilité juridique et de la main invisible, qui continue à bloquer les projets d’investissement.
La dépénalisation de l’acte de gestion attend toujours
Un dossier qui semble tenir à cœur à Abdelmadjid Tebboune. Lors de la même sortie télévisée, il a presque tout mis sur le dos de « la contre-révolution ».
Comprendre, des gens tapis dans les rouages de l’administration et qui s’attellent à entraver la marche du pays vers le développement. Le manque d’investissements, « ce n’est pas normal », a-t-il dit. Les banques « sont des guichets publics, sans esprit commercial », a encore asséné.
Le président de la République a aussi évoqué tout ce qui se dit sur le refus de certains responsables de signer ou d’engager des projets de peur de « se retrouver en prison ».
C’est encore l’œuvre de la contre-révolution pour les empêcher d’agir, selon le chef de l’Etat. Le constat fait, le président et son gouvernement sont appelés à agir en décrétant des mesures fortes pour rassurer et les investisseurs et les gestionnaires publics.
Car quand bien même l’action néfaste de forces occultes ne serait pas une vue de l’esprit, il reste que ce qui s’est passé ces deux dernières années avec l’emprisonnement de nombreux hommes d’affaires, de cadres et de hauts responsables ne pouvait pas ne pas engendrer une sorte de paranoïa collective dans les milieux des affaires et de l’administration.
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La diabolisation systémique des chefs d’entreprises algériens et du capital privé en général n’est pas dans l’intérêt de l’économie.
Le mieux à faire par exemple est de concrétiser cette vieille promesse de « dépénaliser l’acte de gestion ». En août dernier, à l’occasion d’une rencontre avec les opérateurs économiques, le chef de l’Etat avait lui-même ordonné de mettre fin à cette épée de Damoclès qui pend au-dessus de la tête des gestionnaires publics.
« L’acte de gestion doit être régi par le Code du commerce », avait-il soutenu, décrétant la fin de l’ère des « lettres anonymes » dont la destination sera désormais « le broyeur ».
Plus de six mois après, aucun nouveau texte n’est venu lever l’ambigüité et tracer une ligne nette entre l’erreur de gestion et l’acte délictuel, sans doute à cause de résistances au sein même du système.
En revanche, le gouvernement s’est attelé à mettre en place des lois liberticides et prépare un projet de loi controversé sur la déchéance de la nationalité, alors que la trop vague accusation de « dilapidation de deniers publics » a plus que jamais besoin d’être clairement définie.