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Qatar versus Arabie saoudite : David contre Goliath

L’Arabie saoudite et les Emirats voulaient mettre à genoux le petit Etat du Qatar. Mais rien ne s’est déroulé comme prévu. Michel Santi, économiste (*).

Le vrai crime du Qatar? D’avoir conduit une politique étrangère en complète inadéquation avec celle menée par les autres pays du Golfe. Le torchon brûlait sérieusement entre ces divers émirats (et l’Arabie) sous le règne du précédent prince Hamad bin Khalifa Al Thani, parvenu au pouvoir en 1995. Par la suite, les espoirs (infondés) selon lesquels Hamad al-Thani, prince régnant dès 2013, se montrerait plus malléable – voire manipulable ?- furent rapidement douchés. En fait, durant leur règne, ces deux émirs s’employèrent méticuleusement à se soustraire à l’hégémonie grandissante de l’Arabie Saoudite, prédominante depuis la première guerre du Golfe. Conscient de la vulnérabilité d’un autre petit émirat – le Koweit- étouffé par ses grands voisins, le Qatar n’eut donc de cesse de simplement chercher à exister face aux appétits tentaculaires – souvent brouillons – et aux diktats à peine déguisés de l’Arabie.

Étroite collaboration entre le Qatar et l’armée des Etats-Unis

Aujourd’hui, à la faveur de la montée extrême de la tension dans la région, l’Occident ne semble toujours pas avoir compris que l’intransigeance saoudienne n’est en réalité qu’une nouvelle tentative de remettre à sa place le Qatar. Ce dernier ayant en revanche bien intégré que sa vulnérabilité ne pourrait être amoindrie que s’il parvenait à se montrer un partenaire -voire un allié- de valeur face à des nations puissantes et influentes. La création d’Al Jazeera fut à cet égard un jalon majeur de cette influence régionale grandissante du Qatar car cette première chaîne d’informations satellitaire arabe connut un succès phénoménal au sein de la totalité des pays parlant cette langue, au grand dam des rois et émirats voisins comme des présidents égyptiens successifs, tous déstabilisés par un organe d’informations peu docile et pas à la botte du régime.

Toujours dans cet objectif de voler de ses propres ailes et d’entrer de plain-pied dans la cour des grands, la famille régnante Al-Thani fut prompte à accueillir une base militaire américaine à l’Ouest de Doha la capitale, suite à la décision abrupte de l’Arabie de ne plus vouloir abriter de base aérienne US en 2003. Au final, le Qatar accueille aujourd’hui la plus importante base militaire américaine du Moyen-Orient – la seule capable de recevoir les énormes bombardiers B-52 – ainsi que la centrale des opérations CENTCOM capable d’intervenir en Iraq, en Afghanistan et bien-sûr contre Daesh. Ces 11.000 soldats américains domiciliés au Qatar sont à eux seuls un formidable camouflet infligé aux Saoudiens et contribuent très largement à nuancer leur posture agressive. En fait, rien ne s’est déroulé jusque là comme prévu pour l’Arabie et pour les émirats du Golfe. Censé se retrouver très vite à genoux, le Qatar plie mais est très loin de rompre dans cette authentique lutte de David contre Goliath.

Quand Trump retrouve le cap des intérêts vitaux des Etats-Unis

Il faut dire que les erreurs grossières de calculs et le défaut lamentable de stratégie de la part du bloc emmené par les saoudiens furent manifeste dans cette affaire. Ayant parié sur le manque d’expérience de la nouvelle administration américaine, les Saoudiens profitèrent donc du passage dans leur pays de Trump – peu familier des nuances et des pièges de la politique régionale – pour obtenir sa caution et envenimer ainsi cette lutte fratricide contre le Qatar. Ce faisant, persuadés de rouler Trump dans la farine, le clan saoudien se méprit grossièrement car il n’est nullement dans les intérêts américains que le Qatar soit traité de paria ni que ce pays sombre sous le poids de l’embargo. Sous le feu des critiques et des avertissements émanant du Sénat et des Départements d’Etat et de la Défense tous préoccupés des conséquences de telles mesures extrêmes à l’encontre d’un allié fondamental, Trump révisa donc très vite sa copie pour l’aligner sur la défense des intérêts vitaux des Etats-Unis.

Les erreurs de jugement des Saoudiens

Quelle erreur de jugement de la part des Saoudiens que d’avoir fait l’impasse sur la proximité avec le Qatar de deux membres clés du gouvernement Trump ! ExxonMobil – premier investisseur américain au Qatar- fut dirigée par Rex Tillerson qui ne la quitta que pour être nommé secrétaire d’Etat, et qui entretient une relation personnelle avec le prince régnant actuel Tamim bin Hamad Al Thani et avec son père. De surcroît, la CENTCOM conduisant des opérations militaires depuis le centre névralgique qatari fut dirigée jusqu’il y a peu par l’actuel ministre US de la Défense, James Mattis. Comment les Saoudiens ont-ils pu faire l’impasse sur les réactions de ces deux membres éminents de l’administration Trump comptant parmi les architectes de la relation spéciale américaine avec le Qatar ?

Fin manœuvrier, celui-ci ne réagit pas avec agressivité mais – champion ès relations publiques- se posa en victime d’une expédition punitive injuste, en appelant à la communauté internationale face à des mesures prises à son encontre qualifiées d’illégales. Optant même pour la poursuite de l’approvisionnement en gaz à travers des pipelines traversant les Emirats Arabes Unis afin de prouver sa bonne foi.

Mauvais timing pour une telle lutte entre sunnites

Persuadé de la capitulation – qui n’aura évidemment pas lieu – du Qatar en un rien de temps sous l’effet de mesures censées foudroyer cet émirat, le bloc saoudien se retrouve face à sa propre inconséquence car il n’a manifestement pas prévu de plan B. Ayant trouvé la parade – après un temps de panique – pour s’approvisionner en denrées alimentaires depuis la Turquie suite à la clôture unilatérale de leurs frontières communes par l’Arabie, le Qatar génère toujours suffisamment de revenus en devises étrangères lui permettant de maintenir son économie et ses résidents à flots. Cette lutte acharnée entre sunnites vient en outre au plus mauvais moment pour les pays de la région, déjà fragilisés par des prix pétroliers en chute libre les contraignant à des économies budgétaires drastiques. Sans même évoquer l’enlisement du pouvoir saoudien dans une guerre folle menée au Yémen qu’il était convaincu de remporter vite et haut la main.

Quand le piège se referme sur ses instigateurs

Là aussi, aucune stratégie de sortie n’est proposée par cette Arabie Saoudite ayant tout récemment nommé héritier du trône son ancien ministre de la Défense, Mohammed bin Salman, ardent promoteur de cette guerre aux effets désastreux sur la population yéménite. Réputé immature et ombrageux, ce futur souverain – aujourd’hui âgé de 32 ans- participe largement de la posture délicate où se retrouvent l’Arabie et les Emirats, désormais livrés à eux-mêmes face aux carences de leurs jugements. Impossible en effet de faire marche arrière avec le Qatar, sauf à s’humilier et à s’avouer vaincus. Difficile par ailleurs d’adopter une attitude encore plus intransigeante, sauf à achever de s’aliéner l’opinion publique internationale et le soutien de leurs alliés, dans un contexte de difficultés économiques tout à fait inédit pour eux. Bref, il semblerait bien que l’Arabie Saoudite et que les Emirats Arabes Unis soient tombés dans le piège qu’ils croyaient tendre au Qatar.

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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et Directeur Général d’Art Trading & Finance.

Il est également l’auteur de : “Splendeurs et misères du libéralisme“, “Capitalism without conscience“, “L’Europe, chroniques d’un fiasco économique et politique” et de “Misère et opulence”, préface rédigée par Romaric Godin.

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