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Quand la visite de Sarkozy à Alger a failli être annulée en 2007

Quand la visite de Sarkozy à Alger a failli être annulée en 2007

Bernard Bajolet, ancien ambassadeur de France en Algérie et ancien patron de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), révèle dans un livre, qui vient de paraître aux éditions Plon à Paris, que la visite du président Nicolas Sarkozy, en décembre 2007, a failli être annulée.

« Nicolas Sarkozy se voyait, lui, comme un homme nouveau. N’ayant aucune histoire personnelle avec l’Algérie, il pouvait, croyait-il, repartir de zéro, s’affranchir des questions de mémoire (…) C’est au cours de sa visite d’État en décembre 2007 qu’il mesurera le poids des questions mémorielles. Ce déplacement comportait des enjeux très lourds : signature d’une Convention de partenariat (accord de coopération); renouvellement des contrats d’approvisionnement gaziers; coopération dans le domaine du nucléaire civil; relations en matière de défense; questions de circulations, etc. Mais, les augures n’étaient pas favorables», écrit-il dans « Le soleil ne se lève plus à l’Est, mémoires d’Orient d’un ambassadeur peu diplomate ».

Il rappelle que quatre jours avant la visite du président français le ministre des Moudjahidine, Mohamed Chérif Abbas mettait en cause le président Sarkozy « dans des propos antisémites ». Chérif Abbas avait notamment déclaré à El Khabar que le lobby juif avait porté Sarkozy au pouvoir de part son influence sur les centres de décision en France. « J’avais des raisons de penser que cette sortie avait été inspirée par « les services » pour embarrasser le président Bouteflika. A mon instigation, celui-ci appela le président Sarkozy, tandis que son ministre fit marche arrière, s’étonnant des propos qui lui avaient été prêtés. Tous les projets d’accord avaient été bouclés in extremis la veille du déplacement présidentiel, dont la fameuse » Convention de partenariat » , à laquelle le président Sarkozy tenait tout particulièrement. En privé, il l’appelait son « traité d’amitié simplifié ». C’était une petite revanche sur le président Chirac », écrit l’ancien diplomate. Il révèle avoir été convoqué par Mourad Medelci, alors ministre des Affaires étrangères, pour lui annoncer que les Algériens ne signeraient aucun accord.

« La France nous a tout pris »

« Plus de Convention, de partenariat, plus d’accord gazier (qui représentait alors 16 % de nos approvisionnements), plus d’accord en matière de coopération nucléaire civile. A moins que nous n’acceptions d’ouvrir le dossier des essais nucléaires français au Sahara que les Accords d’Evian avaient autorisé la France à poursuivre jusqu’à 1966 (dix sept en tout). Informé de ces contretemps, Nicolas Sarkozy avait décidé de maintenir sa visite, contre l’avis de certains de ses proches. Le soir de son arrivée, le président Bouteflika lui infligea, en ma présence, une véritable scène, qui ne visait pas sa personne, mais le pays qu’il incarnait : « La France, déclara-t-il, au bord des larmes, nous a tout pris : elle nous a volé notre culture,et c’est pourquoi j’ai parlé de « génocide culturel »; elle a dévoyé notre religion, notre identité, nous ne savons plus qui nous sommes, arabes, africains ou européens », rapporte-t-il.

Malgré cela, un accord a été établi durant la nuit sur l’ensemble des sujets avec « les ministres concernés ». « Le lendemain matin, j’arrivais, pas très frais, dans la salles où les deux présidents avaient déjà pris place dans des fauteuils côte à côte. Posté près de l’entrée, Mourad Medelci m’informa que l’Algérie voulait compléter l’accord sur les essais nucléaires par le même dispositif sur les essais dans le domaine chimique et, le cas échéant, biologique. Monsieur le ministre, éclatais-je à haute voix, vous chargez la barque, et à force de la charger, vous allez la faire couler. Que se passe-t-il ? lança Sarkozy du fond de la salle. Je m’approchai des deux présidents pour le leur expliquer. « On a fait des essais chimiques au Sahara, oui ou non? » me demanda Sarkozy. Oui, monsieur le Président, dans les années 1960 et même, je crois, dans les années 1970. Bon, alors les Algériens ont raison. Arrangez moi ça. Puis, se tournant tout sourires vers Abdelaziz Bouteflika : « On a un ambassadeur un peu rugueux ». Ce que , venant de lui, je reçus comme un compliment. Finalement, tous les accords seraient signés», détaille Bernard Bajolet.

« Des mots forts, injustement oubliés »

Selon des historiens et des experts, les essais chimiques et bactériologiques français dans le Sahara algérien se sont poursuivis jusqu’à 1986 avec l’accord de Houari Boumediène et de Chadli Bendjedid (cela a été notamment rapporté dans le livre du général Rachid Benyellès, « Dans les arcanes du pouvoir »). La question a été abordée lors de la visite de François Hollande en Algérie en 2012. Un accord a été signé obligeant le gouvernement français à dépolluer le site B2 Namous (dans la région de la Saoura, dans le sud-ouest algérien). Bernard Bajolet souligne que Nicolas Sarkozy a bien reçu le message « du premier soir » sur les questions de la mémoire. « A Alger, lors du déjeuner officiel, puis à Constantine, devant les étudiants de l’université, il prononça des mots forts, injustement oubliés depuis, pour reconnaître les souffrances causées par la colonisation, sans pour autant tomber dans la repentance », note-t-il. Il rappelle « l’accueil chaleureux » réservé à Sarkozy à Constantine, comme pour Chirac à Oran en 2003.

« Cette visite en Algérie avait amené le président Sarkozy à faire le grand écart puisque, à son retour, il dut présider dans la foulée, non sans courage, la cérémonie nationale d’hommage aux morts de la guerre d’Algérie et des combats au Maroc et en Tunisie. Ce faisant, il tentait de faire le pont entre ces deux mondes qui s’étaient combattus et avaient toujours du mal à se parler », estime-t-il.

Sarkozy préfère la musique à l’échange avec la société civile à Alger

Bajolet revient aussi sur les coulisses de la visite d’État de Sarkozy à Alger en décembre en 2007. « Les Algériens et moi avions prévu un programme excessivement dense. Le deuxième jour de la visite, le protocole algérien nous avait imposé de prendre la route pour aller sur le site antique de Tipaza, refusant l’utilisation de notre hélicoptère (par crainte qu’il ne fût utilisé à des fins d’espionnage?). A la fin de la journée, après avoir reçu la communauté française à la villa des Oliviers, le président Sarkozy était épuisé. « Bon, alors maintenant, c’est fini? » me demanda-t-il. Ah, non monsieur le président. Maintenant, vous avez un dîner avec des représentants de la société civile algérienne.Vous en avez approuvé le principe. Comment ? Moi qui vous prenais pour un mec intelligent. Et vous me foutez un dîner à la con ! T’as raison, Nicolas, intervient Rachida Dati. On n’a qu’aller dîner dans un restaurant », détaille Bajolet.

Il insiste alors pour que Sarkozy rencontre la société civile : « Monsieur le président, vous avez vu des apparatchiks pendant deux jours et vous allez encore en voir d’ici votre départ. Là, vous aurez l’occasion d’entrevoir un autre visage de l’Algérie. Celle de demain. En plus, il y aura l’archevêque Mgr Teissier, que vous aimez bien ». Sarkozy réplique alors : « Ah bon? Teissier est là ? ». « Cette salve d’arguments avait commencé à ébranler le refus présidentiel, sans en avoir eu complètement raison. Il me restait l’ultima ratio: Et puis, il y aura de jolies femmes. « Bon », finit par céder le Président. Alors vingt minutes et pas une de plus. Et puis, pas de dîner assis. Transformez moi ça en buffet », rapporte l’ambassadeur.

Selon lui, Sarkozy, qui était accompagné par le chanteur Didier Barbelivien, a passé une soirée musicale de deux heures et demi à la villa Nedjma. « Le président est parti en me faisant un clin d’œil amical. Les invités algériens étaient déçus de ne pas avoir d’échanges sur le fond avec lui », reconnait-il.

L’affaire Hasseni a provoqué « un quasi-gel » des relations algéro-françaises

Bernard Bajolet évoque aussi l’épisode du diplomate algérien Mohamed Ziane Hasseni, « le numéro 2 du service algérien du protocole», qui a été arrêté le 14 août 2008 à l’aéroport de Marignane (Marseille) pour « complicité d’assassinat » dans l’affaire de l’opposant algérien Ali Meceli, tué à Paris en 1987. Bajolet précise qu’il connaissait bien Ziane Hasseni.

« Il avait aidé l’ambassade à débrouiller une quantité d’affaires compliquées. Il clama son innocence. Il fut autorisé à repartir pour l’Algérie en février 2009. Mais ce ne serait qu’en août 2010 que la Cour d’appel de Paris prononcerait un non-lieu lavant le diplomate de tout soupçon. Sa mise en cause reposait, semble-t-il, sur un témoignage douteux et une homonymie, d’ailleurs approximative, avec le commanditaire de l’assassinat. Cette erreur judiciaire s’est traduite par le quasi-gel des relations bilatérales. J’étais à l’époque coordinateur national du renseignement à l’Élysée et fus envoyé à Alger pour tenter de renouer les fils. Sans résultat . La visite d’État que le président Bouteflika devait faire en France fut reportée (et n’aurait jamais lieu)», avoue Bajolet.

Il révèle que Nicolas Sarkozy avait tenté de joindre par téléphone Abdelaziz Bouteflika, alors à Paris pour des examens médicaux. « Mais, le président algérien refusa de le prendre. La justice français est indépendante, même quand elle se trompe. Globalement, c’est une bonne chose. Mais il est difficile de le faire comprendre à certains de nos partenaires étrangers », souligne-t-il.

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