search-form-close
Quand les télés algériennes s’essaient aux expériences sociales

Quand les télés algériennes s’essaient aux expériences sociales

Après avoir fait des caméras cachées leur cheval de bataille à chaque Ramadan, des chaînes de télévision algériennes s’essaient cette année à une nouvelle forme de divertissement, un concept proche de la caméra cachée mais dont le but est d’émouvoir, de faire réfléchir plutôt que de faire rire. Il s’agit des expériences sociales.

D’abord apparues sur Internet, notamment sur Youtube, puis massivement reprises par les chaînes de télévision, les expériences sociales consistent à placer des inconnus dans des situations particulières pour mettre en avant les réactions ou les valeurs des gens.

C’est ce à quoi se sont essayées Ennahar et El Djazairia One, dans deux émissions d’expériences sociales différentes mais qui ont le même but : montrer que l’Algérien est bon, généreux, solidaire, etc.

« Insane » sur El Djazairia One

Comment réagit un Algérien face à un handicapé qui a besoin de réconfort, d’une fillette en chaise roulante qui souhaite monter dans un manège, un passant qui a besoin en grande urgence de sang pour son fils hospitalisé ou face à une adolescente cireuse de chaussures ? C’est ce que « Insane », une émission d’El Djazairia One a tenté de savoir en montant des expériences sociales dans les rues d’Alger.

Dans le premier numéro de l’émission, un homme présenté par le réalisateur comme ayant « un aspect bizarre », est assis sur l’escalier de la place de l’Emir Abdelkader à Alger-Centre et son complice, un jeune homme aborde les passants en leur demandant de « remonter le moral à l’homme déprimé à cause de sa différence ».

Même si plusieurs passantes refusent de s’arrêter ou de parler au « pauvre homme », probablement à cause la méfiance que l’atmosphère de la rue algéroise, généralement hostile aux femmes, plusieurs autres « piégés » acceptent de s’asseoir à côté du déprimé pour discuter avec lui et le convaincre qu’« il ne lui manque rien ».

Certains piégés mettent leurs enfants en bas âge dans les bras de celui qui a « besoin de réconfort » pour lui prouver qu’il est tout à fait normal.

Des scènes émouvantes et agréables qui rendraient presque l’émission plaisante à regarder si ce n’était les violons agaçants et le couplet de chanson de mauvais rai intercalés entre chaque deux phrases des participants, entre chaque deux séquences.

Dans un autre numéro de l’émission, est mise en scène une adolescente « cireuse de chaussures » installée dans une rue d’Alger pour « travailler et aider ses frères car son père est mort et sa mère est malade ».

L’adolescente propose aux passants d’essuyer leurs chaussures, suscitant à chaque fois des réactions scandalisées de la part des piégés. Tous refusent de se faire essuyer les chaussures et tous, à des degrés différents, proposent leur aide, donnent de l’argent à la fille sans contrepartie et lui donnant des conseils, l’invitant à « trouver un autre travail ».

Ce n’est que vers la fin de l’émission que « le grand héros » de l’expérience fait son apparition. Un jeune homme dont le métier est de proposer aux passants des échantillons de parfums gratuits pour le compte d’une parfumerie d’un centre commercial. Celui-ci n’hésite pas à « partager son travail », en offrant à l’adolescente de travailler avec lui dans le parfum ou dans la vente de ballons aux passants.

« Ne fais pas ce métier, tu peux faire autre chose, ceci n’est pas dans nos traditions, ça n’existe pas dans notre pays », a insisté un passant qui s’est arrêté auprès de l’adolescente, visiblement choqué, non pas par la situation sociale d’enfant pauvre et travailleur de l’adolescente, mais par le métier qu’elle exerce et qui « ne devrait pas exister en Algérie ». Une réaction qui relève plus de l’embarras que de la solidarité ou de la compassion.

Les réactions des passants peuvent être animées par de bonnes intentions mais il est toutefois dommage que la chaîne de télévision et les piégés n’aient mis en avant que le « sale métier qui n’existe pas en Algérie » de cireuse de chaussure dans la rue, et non la situation de l’adolescente, sa non-scolarisation ou le fait qu’elle soit un enfant travailleur.

Encore une fois, une chaîne de télévision algérienne a préféré entretenir un cliché, dans ce cas celui de l’Algérie, « pays sans cireurs de chaussures », plutôt que d’aborder les questions de fond.

« Mazal lkhir » sur Ennahar TV

« Mazal lkhir », qu’on peut traduire par il y a encore de la bonté (dans la société), est l’émission d’expériences sociales diffusée par Ennahar TV ce Ramadan. Basée sur le même principe que l’émission d’El Djazairia One, elle explore les réactions des Algériens face aux mêmes problèmes : misère, maladie, deuil ou encore hogra.

Dans les numéros diffusés jusqu’au samedi 9 juin, l’émission a montré des Algériens défendre un enfant sourd-muet agressé par un complice de l’émission alors qu’il demandait son chemin, d’autres donner leurs manteaux, leur argent ou acheter des vêtements à un sans-abri qui grelotait adossé au mur d’un centre commercial, ou réconforter un jeune homme aveugle qui venait de recevoir par SMS la nouvelle du décès de sa mère.

L’émission d’Ennahar se distingue de celle d’El Djazairia One par une réalisation de meilleure qualité, avec un fond sonore moins anxiogène, et moins de rai qui est remplacé parfois et à plus petites doses par, on ne sait pourquoi, des musiques turques.

Les sujets abordés sonnent moins faux et les séquences que le réalisateur a choisi de diffuser ne sont pas toutes positives, celles montrant des personnes ne manifestant pas de solidarité envers ceux qui en ont besoin sont plus nombreuses. Deux éléments à rajouter au crédit de « Mazal lkhir » et qui en font que l’émission sonne moins faux que « Insane » d’El Djazairia One.

Soupçons de trucage

Sur les réseaux sociaux, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer de supposés trucages de ces expériences sociales, notamment le numéro de « Insane » mettant en scène une cireuse de chaussures.

Le réalisateur de l’émission, la cireuse de chaussures et le jeune homme qui a voulu faire travailler cette dernière dans un autre domaine ont été soupçonnés de se connaître et d’avoir « monté le coup de toutes pièces.

Ces soupçons ont pris une telle ampleur que la chaîne de télévision privée a dû inviter le « héros » de la cireuse de chaussures à une émission diffusée à une heure de grande audience pour défendre l’authenticité de l’expérience.

  • Les derniers articles

close