Le « moment opportun » pour Ouyahia, c’est donc ce mitan de juin 2018, au lendemain du ramadan et de l’aïd, au début de la saison estivale et à dix mois de l’échéance présidentielle de 2019.
Timing bien choisi ou injonction venue d’en-haut, le chef du RND a fini, sans surprise, par appeler le président Bouteflika à briguer un cinquième mandat à la tête du pays.
Fallait-il s’attendre à une autre posture du personnage qui se dit lui-même au service de l’État, comprendre du système dont il a soutenu toutes les initiatives et assumé les décisions les plus impopulaires ?
Sans doute que non, même si son silence jusque-là sur la question avait donné lieu à quelques supputations sur une prétendue absence de consensus dans les cercles du pouvoir sur l’option du cinquième mandat et concernant les réelles intentions du président.
La sortie d’Ouyahia, pas plus que celles du secrétaire général du FLN, n’apporte pas un début de décantation sur la question, même si elle a le mérite de dissiper le flou né des attaques publiques subies par le Premier ministre de la part de Djamel Ould Abbes et, surtout, des interventions de la présidence de la République qui a annulé plus d’une de ses décisions.
La seconde lecture de l’avant-projet de loi de finances 2018 exigée par le chef de l’État et la suppression en Conseil des ministres de la clause prévoyant une forte hausse des taxes sur les documents biométriques étaient considérées comme un cinglant désaveu destiné à ôter à l’homme tout autre ambition que celle de garder son poste.
Or, prêter à Ouyahia des ambitions présidentielles alors que le chef de l’État n’avait pas encore dit son mot, c’est mal connaître la conception qu’a de la politique celui qui a répété plus d’une fois qu’il ne se présentera jamais à la présidentielle contre Abdelaziz Bouteflika.
Ouyahia peut bien avoir été instruit expressément de rédiger et de lire cette « motion de soutien » et de l’adosser au conseil national du parti, comme il peut avoir agi de sa propre initiative. Dans quel but ?
Se positionne-t-il pour ne pas apparaître comme un rallié de dernière minute après avoir compris que le cinquième mandat est l’option définitive ? Ou, au contraire, a-t-il été informé de l’hésitation ou même de la décision de renoncer du chef de l’État qui souhaiterait ainsi laisser l’image d’un président qui est parti de lui-même en dépit de l’insistance de la classe politique et de la société ?
À supposer qu’il ne soit pas dans le secret des dieux, le chef du RND chercherait-il tout au moins à ne pas laisser le champ libre à son homologue du FLN qui ne rate aucune occasion pour le pourfendre ?
Ce sont autant de lectures possibles, et en attendant d’y voir plus clair, tenons-nous à ce que tout le monde sait depuis au moins fin mars dernier, à savoir que le système veut le statu quo et le maintien de Bouteflika à la tête du pays, sauf en cas de dégradation de son état de santé.
Le président devrait rester cinq ans de plus à la tête du pays et le seul élément nouveau qu’apporte la sortie d’Ahmed Ouyahia, c’est que la machine partisane est maintenant officiellement actionnée pour concrétiser la volonté présidentielle.
Officiellement, car les initiatives prématurés et répétées du chef du FLN n’avaient rien de tel, Djamel Ould Abbès ayant lancé tous ses appels au chef de l’État pour « poursuivre son œuvre » en dehors de tout cadre solennel du vieux parti, d’où le peu de crédit accordé à sa démarche par certains, le soupçonnant de chercher juste à brandir l’épouvantail présidentiel à la face de ses adversaires au sein du parti.
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Cela dit, le caractère solennel de l’appel lancé par Ouyahia à l’adresse de Bouteflika ne peut être pris comme un acte de candidature de ce dernier.
Le président sait, et son entourage aussi, que tout dépendra de l’évolution de sa santé. Sa décision, il ne l’annoncera, en fonction de cela, qu’à deux ou trois mois du scrutin, comme en 2014 quand sa candidature n’avait été « assumée » officiellement que le jour où il s’était déplacé au siège du Conseil constitutionnel pour déposer son dossier. À défaut, il pourrait choisir tranquillement son successeur. Dans tous les cas, c’est lui qui devrait trancher.
Quoi qu’il advienne, le système semble avoir pris ses devants et aucune autre option que celle de se succéder à lui-même n’est envisagée. La terrible machine partisane est mise en branle et elle aura à porter son candidat, qu’il s’appelle Bouteflika ou pas.
En insistant dans son discours sur « la continuité » et la « stabilité », Ahmed Ouyahia traduit peut-être ce souci. Reste à savoir si le système n’est pas en train de commettre une grave maladresse en prenant le risque de décourager tout candidat sérieux qui pourrait être issu de l’opposition.
Si personne ne se fait d’illusions raisonnables sur le camp duquel sortira le futur président de l’Algérie, tout le monde espère qu’on attache au moins du prix aux formes et aux apparences et qu’on se soucie de la crédibilité du scrutin. En ce sens qu’un président mal élu n’aura pas la tâche facile dans un environnement extérieur qu’Ouyahia lui-même ne trouve « guère serein ». À plus forte raison lorsque la planche à billets aura atteint ses limites…
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