Trois semaines après le début de la contestation, des députés de la majorité qui réclament son départ, Saïd Bouhadja, le président de l’APN, tient bon. Il dégage même une telle assurance que certains n’hésitent pas à spéculer sur d’occultes soutiens dont bénéficierait l’homme dans les sphères du pouvoir dans le cadre de quelque calcul en lien avec l’échéance électorale cruciale de l’année prochaine.
Jusqu’à preuve du contraire, il n’en est rien, M. Bouhadja ne faisant que s’en tenir à la légalité qui veut que l’action des contestataires n’est prévue par aucun texte.
La Constitution stipule clairement que le président de l’APN est élu pour un mandat de cinq ans. Elle ne prévoit son remplacement qu’en cas de vacance du poste pour cause de décès, de démission ou d’incompatibilité.
Le règlement intérieur de la chambre basse du Parlement ne contient non plus aucun outil légal pour pousser le président vers la porte de sortie. En un mot comme en mille, Bouhadja est dans son bon droit et les députés du FLN, du RND et des autres partis qui réclament sa tête, sont en plein dans l’illégalité.
En vieux briscard de la politique, le président de l’APN, sans commettre l’erreur de s’adresser directement à l’opinion publique, laisse celle-ci juger d’elle-même. En pleine crise, il décide de descendre dans un café au centre d’Alger et échanger avec les citoyens. Un geste à priori anodin mais qui a peut-être lourdement pesé sur la suite des événements. Jouant avec les nerfs des chefs de partis et des députés qui le contestent, Saïd Bouhadja les pousse maintenant à l’erreur fatale, avec cette volonté qu’ils affichent de lui interdire de force l’accès à son bureau au palis de la rue Zighoud-Youcef.
Le bras de fer pourrait prendre fin dans les prochains jours ou semaines avec la victoire de l’une ou de l’autre partie, mais il restera dans les annales comme un épisode qui a vu un homme du système remettre en cause le mode de fonctionnement du régime. Particulièrement les règles de désignation et de limogeage des responsables occupant des fonctions supérieures.
Jusque-là, une règle tacite veut que les responsables partent comme ils ont été nommés, c’est-à-dire sur injonction venue « d’en haut ». Même ceux qui occupent des postes politiques ou qui ont des mandats électifs et même les chefs de partis se soumettent à cette manière de faire et très peu ont osé la remettre en cause.
On peut citer le cas de Kasdi Merbah qui avait tenté de s’accrocher à son poste de chef du gouvernement en 1989 en mettant en avant le fait qu’il n’avait de compte à rendre qu’au Parlement. Après un court bras de fer, Merbah a fini par céder.
En 2003, Ali Benflis avait accepté son limogeage du gouvernement mais il avait refusé de quitter son poste de secrétaire général du FLN. Ce n’est qu’après une âpre bataille judiciaire que l’actuel président du parti Talae el Houriat a cédé les rênes du vieux parti au profit de Abdelaziz Belkhadem. Toujours au FLN, le défunt Abdelhamid Mehri avait aussi tenu tête au pouvoir au milieu des années 1990 et il avait fallu avoir recours au fameux « coup d’Etat scientifique », pour avoir raison de sa ténacité.
Sinon, tous les autres secrétaires généraux qui se sont succédés à la tête du FLN et du RND ont accepté la règle qui veut qu’ils soient désignés et limogés non pas par la base militante mais par les cercles de décision au sein du pouvoir. Ahmed Ouyahia prend la tête du RND et la quitte au gré des humeurs et des agendas et le FLN change de direction tous les trois ou quatre ans dans les mêmes conditions. L’exemple le plus illustratif est sans doute celui de Abdelaziz Belkhadem, humilié publiquement en 2013 par un communiqué présidentiel qui mettait fin à toutes ses activités au sein de l’Etat et du parti et, à ce jour, il n’a pas soufflé mot. Il se confine chez lui dans le silence, attendant son heure. Car il s’agit d’une autre règle de fonctionnement immuable du système algérien. Les responsables limogés finissent souvent par être rappelés aux affaires pour peu qu’ils ne fassent pas de vagues durant leur traversée du désert.
Pour revenir à Saïd Bouhadja, il ne fait pas que remettre en cause une règle vieille comme le système. Par sa ténacité et son exigence d’une intervention directe de la « partie » qui l’a nommé, il met tout le monde dans la gêne, à commencer par la présidence de la République à laquelle il ne laisse pas trop le choix : laisser le bras de fer perdurer ou assumer une ingérence inadmissible dans le pouvoir législatif. En somme, le président de l’APN a piégé tout le système.