Les employés d’Algérie Poste ont observé ce mercredi leur troisième jour de grève, prenant de court les clients en ce début du mois de Ramadhan.
Le ministre de la Poste et des télécoms s’est rendu hier mardi, dans un certain nombre de bureaux de poste de la capitale dans une tentative, visiblement vaine, de convaincre les grévistes de reprendre le travail.
Après un passage éclair dans un bureau de poste du 1er Mai à Alger dans une scène surréaliste, Brahim Boumzar poursuit son périple durant lequel il improvise un tête-à-tête avec des employés en colère. Il s’est vite trouvé devant des grévistes plus déterminés que jamais à défendre leurs revendications.
Comme cet employé qui a, sans mettre de gants, déroulé les quatre vérités à la face du ministre resté comme scotché par le ton tout à fait libre de son interlocuteur. Ce dernier l’a d’ailleurs taclé d’un « vous n’êtes pas un enfant de la boîte », comme pour lui dénier toute légitimité à discuter des points de litige avec l’administration d’Algérie Poste.
La scène est surréaliste. « Vous êtes en train de gérer une situation politique. Demain, vous pourriez vous retrouver à la tête du ministère du Commerce ou des Finances », a chargé d’emblée l’employé.
« Seuls les enfants du secteur de la Poste sont habilités à parler à son sujet », lance-t-il devant le ministre, resté impassible devant ce franc-parler inhabituel. La discussion va à sens unique et l’employé de la Poste semble même dicter au ministre ce qu’il est censé faire.
« Vous êtes censé être impartial », lâche le salarié, signifiant à Boumzar que les employés ne reconnaîtront pas des personnes désignées par la tutelle pour parler en leur nom. Le ministre tente timidement de prendre la parole. « Laissez-moi terminer, M. le ministre », coupe son interlocuteur.
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« Nous ne pouvons pas jouer sur votre terrain, avec votre public et avec votre arbitre ! »
L’employé accuse les anciens syndicalistes d’avoir « trahi » les travailleurs lorsque, en 2013, la direction d’Algérie Poste avait ouvert un dialogue avec les salariés. Ces derniers avaient alors observé une grève de 20 jours.
La Direction a invité les grévistes à déléguer des représentants pour dialoguer, mais les deux émissaires se seraient retournés contre ceux qui les ont désignés.
« Nous avons envoyé deux traîtres », accuse a posteriori cet employé d’Algérie Poste qui reproche à la direction générale de son entreprise de « reporter les problèmes ». « Jusqu’à en arriver à cette situation », déplore-t-il.
« Vous nous reprochez de prendre en otage les citoyens. Et ceux-là (il désigne ses collègues) ils n’ont pas de famille ? Avec quoi vont-ils se nourrir ? », balance le salarié dans un monologue qui interroge tout de même sur la capacité du représentant de l’exécutif à imposer un ton moins emporté. Qu’importe. L’employé se plaint de la baisse du pouvoir d’achat des salariés de la Poste à cause de la dévaluation du dinar.
« La valeur du dinar a baissé de 23 % depuis janvier 2020. Cela signifie que le salarié qui percevait 50 000 DA touche aujourd’hui 33 500 DA », calcule l’interlocuteur du ministre. « Demain, si dialogue il y aura, qu’allons-nous gagner de plus ? Nous toucherons les mêmes salaires qu’avant. Si avec 50 000 DA en 2020 le salarié pouvait tenir un mois, aujourd’hui en 2021 ce ne sera pas plus de 20 jours », dénonce-t-il.
L’homme poursuit de vider son sac, en déniant à la commission de participation le droit de discuter au nom des travailleurs de la prime d’encouragement. Lui et ses collègues ne reconnaissent pas les « représentants » avec lesquels l’administration d’AP souhaite dialoguer.
« Nous ne pouvons pas jouer sur votre terrain, avec votre public et avec votre arbitre et au final vous nous diriez que nous allons remporter le match », lance-t-il à l’adresse du ministre qui ne parvient toujours pas à placer une phrase complète.
Il y parvient finalement, mais sa voix se perd au milieu d’un brouhaha général à cause des nombreuses voix qui s’élèvent et qui comptent bien imposer leur « feuille de route » mais surtout « leurs » représentants.
Un autre employé intervient pour démentir le ministre qui reproche à son premier interlocuteur de vouloir « faire campagne » en vue de l’élection du nouveau syndicat. « Il n’a rien à gagner. Il compte d’ailleurs partir (à la retraite) », lui déclare-t-il.
Excédé et visiblement dépassé, le ministre tente de mettre fin à la discussion. « Le ministre ne veut pas (nous) entendre », reprend le salarié, pendant que Brahim Boumzar se précipite vers la sortie de la salle.
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