Économie

Quatre mégaprojets pour changer le visage du Sahara algérien

Au très vaste Sahara algérien ce n’est plus que du gaz et du pétrole qui font nourrir le pays. La région est aussi en passe de devenir le grenier du pays grâce à l’essor de nombreuses filières agricoles.

Au moins quatre nouveaux mégaprojets dans la production de lait, des tomates cerise, des céréales et l’exploitation de mines comme Gara Djebilet, sont annoncés ou lancés et devraient contribuer à une métamorphose encore plus significative du sud de l’Algérie et une plus grande diversification de ses ressources.

Gisement géant de Gara Djebilet et ligne ferroviaire Tindouf-Béchar

Après des décennies d’hésitation à cause de soucis de financement, de rentabilité et d’accessibilité du site, l’Algérie a enfin entrepris l’exploitation du gisement géant de minerai de fer de Gara Djebilet, près de Tindouf, à 1800 kilomètres d’Alger. Avec des réserves estimées à trois milliards de tonnes, le gisement est l’un des plus importants au monde.

L’exploitation effective a commencé en juillet 2022 avec, dans une première phase, une production de 2 à 3 millions de tonnes par an pour arriver à 40-50 millions de tonnes en 2026.

L’exploitation de la mine est conçue dans le cadre d’un projet intégré incluant l’installation d’usines de traitement à Béchar, une autre ville du sud à 1000 kilomètres d’Alger, et la réalisation de lignes de chemins de fer pour le transport du minerai de Tindouf à Béchar puis vers les ports de l’ouest du pays.

Les travaux de la ligne ferroviaire Tindouf-Béchar sur 900 km ont été entamés fin 2023 sur un tronçon de 500 km par le consortium algéro-chinois composé de Cosider (Algérie) et le groupe CRCC (Chine). Dans la Loi de finances rectificative 2023, le gouvernement a réservé l’équivalent en dinars de trois milliards de dollars à ce projet.

Relier Alger à Tamanrasset par train sur plus de 2.000 km

Un grand impact est attendu du projet sur toute cette région reculée en termes de désenclavement et de création de richesse et d’emploi. Le sud-ouest algérien est appelé à devenir grâce au gisement de Gara Djebilet un pôle mondial de production d’acier.

L’Algérie devrait économiser grâce à ce projet 3 milliards de dollars par an d’importation de minerai de fer, selon les estimations du président de la République Abdelmadjid Tebboune.

Ce projet va profiter à l’Algérie qui veut renforcer son industrie sidérurgique, mais aussi à la Chine qui cherche de nouvelles sources d’approvisionnement en minerai de fer pour ses usines de production d’acier.

Un autre projet longtemps considéré comme utopique est en passe de devenir réalité dans le sud algérien. Il s’agit de la ligne de chemin de fer devant relier Alger à Tamanrasset, sur 2000 kilomètres.

Avec des trains roulant à une vitesse de 220 kilomètres heures, il sera désormais possible de faire le trajet Tamanrasset-Alger en 10 à 12 heures dans les meilleures conditions de confort.

La ligne desservira plusieurs grandes villes se trouvant sur le trajet (Laghouat, Ghardaïa, El Ménéa, In Salah…) et permettra la création de nouveaux centres d’habitation et d’activité. Les travaux ont été lancés sur plusieurs tronçons de cette ligne.

Le gigantisme des projets lancés dans le Sahara algérien

Si le projet paraît gigantesque, il n’est en réalité qu’une partie d’un très vaste programme visant à mailler tout le sud algérien par des lignes de chemin de fer, avec une possible interconnexion avec les pays voisins, notamment le Niger, le Mali et la Libye.

Le programme est constitué de cinq corridors, le premier allant d’Alger à Tamanrasset et jusqu’à la frontière nigérienne sur 2490 kilomètres, le deuxième d’Oran à la frontière malienne sur 2100 kilomètres en passant par Béchar, Adrar et Bordj Badji Mokhtar et le troisième est celui d’Oran-Gara Djebilet (1650 kilomètres),

Deux corridors démarreront de l’est du pays vers le sud, le premier de Jijel à Djanet (2275 Km) et le second d’Annaba à Touggourt sur 780 kilomètres.

Ces lignes permettront de désenclaver tout le sud de l’Algérie et contribueront à son essor économique par le transport des marchandises produites par les nombreux projets, également gigantesques, lancés ou en passe de l’être dans divers secteurs, notamment l’agriculture.

Projet Baladna : une ferme géante aussi « grande que la Martinique »

Celui qui fait parler le plus en Algérie depuis quelques semaines, autant par son gigantisme que par son importance économique, c’est le projet de production de poudre de lait en partenariat avec le groupe Qatari Baladna, pour un investissement tout aussi gigantesque de 3,5 milliards de dollars.

Le contrat a été signé le 24 avril dernier. Il porte sur la création d’une ferme géante dans la région d’Adrar sur 117 000 hectares, abritant 280 000 vaches laitières, avec l’installation d’une grande usine de fabrication de poudre de lait que l’Algérie importe annuellement pour 600 millions de dollars.

À elle seule, cette ferme géante couvrira la moitié des besoins du pays en poudre de lait, en sus de la création de 5 000 emplois directs. Le début effectif de la production de lait est attendu pour 2026.

« C’est le plus grand projet agricole et industriel intégré de production de lait en poudre au monde », a indiqué le délégué du groupe qatari à la cérémonie de signature, Ramez Al Khayyat.

Les fermes intégrées dans le sud sont la nouvelle orientation de l’Algérie afin de réduire les coûts de production grâce à la maîtrise de toute la chaîne de production, a expliqué le ministre algérien de l’Agriculture, Youcef Cheurfa.

Tomates : un mégaprojet algérien pour exporter vers l’Europe

Le projet Baladna n’est en effet pas le seul dans le secteur agricole dans le Sahara algérien qui offre, outre sa vaste superficie (plus de 2 millions de kilomètres carrés), de multiples avantages comme l’ensoleillement permanent et l’eau inépuisable de la nappe albienne.

Le groupe privé algérien Souakri voit encore plus grand. Il veut se lancer à l’assaut du marché européen des produits maraîchers, notamment de la tomate cerise, avec son projet de « serre géante » au milieu du désert. Le groupe a entamé la mise en œuvre de son projet sur une superficie de 1000 hectares.

Les premiers essais devraient être effectués en ce mois de mai et la production effective de tomates cerise débutera en octobre prochain.

Le groupe a déjà mis deux milliards de dinars dans cet investissement qui s’élève au total à 100 milliards de dinars (750 millions de dollars).

Il compte réaliser un chiffre d’affaires de 500 millions de dollars par an à l’export vers l’Europe et les pays du Golfe et créer à terme 10 000 emplois.

L’Algérie veut ainsi se faire une place sur le marché européen des tomates qui est dominé par les Pays-Bas, le Maroc et l’Espagne.

Le Sahara, nouveau pôle céréalier algérien

Depuis les années 1980, la culture du blé se développe dans le grand sud. Les premières expériences ont parfois déçu des investisseurs peu expérimentés.

Mais en 2008, le relèvement des prix à la production a donné un nouveau souffle à cette culture et depuis les surfaces n’ont cessé d’augmenter. Les subventions portant sur le coût de l’énergie électrique, le matériel d’irrigation, les semences et les engrais concourent également à l’attractivité de ce type de production.

Celle-ci est localisée au niveau de concessions agricoles où les autorisations de forage délivrées par les autorités de wilaya permettent aux investisseurs d’installer des rampes-pivots afin d’irriguer des champs circulaires de 30 à 50 hectares.

Pour la récolte, une imposante logistique est mise en place par l’Office algérien des céréales (OAIC) comme le montrent les récents convois comprenant plus d’une centaine de camions envoyés à Adrar et El Menia.

Ce sont 2 millions de quintaux qui sont produits au sud. Outre Adrar et El Menia, la culture du blé se développe à Timimoun, Ouargla, Illizi et au sud de Khenchela.

L’Office national de l’agriculture industrielle (ODAS) prévoit la mise en valeur d’un million d’hectares et a mis en service une plateforme numérique qui permet d’accélérer les attributions de concessions agricoles.

Agriculture dans le désert algérien : des investisseurs privés, publics et étrangers

Les investisseurs s’intéressant à ce type de production de blé dans le sud algérien sont nombreux : jeunes retraités, commerçants, professions libérales ou agriculteurs dont certains viennent du nord du pays.

On compte également des investisseurs publics comme Cosider au sud de Khenchela ou Cevital dans la betterave sucrière à Hassi Lefhal à El Ménéa, pour alimenter ses raffineries et produire du sucre 100 % algérien, comme l’a promis le président Abdelmadjid Tebboune.

C’est également le cas à Gassi Touil (Ouargla) avec la filiale Global AgriFood du holding public Madar et depuis peu avec la Sonatrach.

Récemment sont venus s’ajouter quelques investisseurs étrangers d’origine turque ou saoudienne. La nouveauté vient cependant de l’arrivée future de l’entreprise italienne Bonifiche Ferraresi (BF) qui devrait produire sur 36.000 hectares du blé dur dont une partie sera exportée vers l’Italie.

Un programme ambitieux

Cet ambitieux programme est attentivement suivi par des observateurs étrangers qui signalent l’arrêt de ce type d’agriculture en Arabie Saoudite suite à l’assèchement des principales nappes souterraines du royaume.

Ce type d’agriculture ou Groundwater Economy passe par une irrigation devant assurer les besoins des plantes en milieu aride en compensant la demande climatique annuelle qui peut atteindre les 2.000 mm.

Au nord de l’Algérie, bien que des réserves de productivité existent, la production de céréales reste fluctuante. Près de 40 millions quintaux de blé sont produits les bonnes années tandis qu’au sud les 2 millions de quintaux sont assurés du fait du recours à l’irrigation.

Ces 2 millions de quintaux sont notamment composés de semences qui ont permis, comme en 2023, d’approvisionner les zones céréalières du nord sinistrées suite à la sécheresse.

Pour l’agro-économiste Ali Daoudi qui s’exprimait lors d’un entretien à la Télévision publique algérienne, l’irrigation peut permettre de stabiliser une partie de la production nationale de céréales.

Au sud de l’Algérie, la culture du blé sous irrigation suppose de disposer d’assez d’eau.

Les réserves sont estimées entre 30 et 50 milliards de m3, ce qui n’empêche pas de constater une baisse générale de l’artésianisme.

La question sensible de la gestion de l’eau

Au niveau de certaines concessions agricoles comme à El Menia, des investisseurs indiquent que la nappe d’eau se trouve à une profondeur de 60 mètres, voire à 170 mètres dans le cas d’Adrar. Une profondeur qui renchérit d’autant le coût du pompage de l’eau dont une partie est parfois chargée de sel.

Face à l’aridité du climat, la culture du blé en milieu saharien reste un défi. En mai 2023, lors d’un entretien avec la presse, le président Abdelmadjid Tebboune avait mis l’accent sur la nécessité de l’utilisation de techniques modernes en indiquant que : « L’agriculture est une science et non pas une tradition ».

Déjà, en janvier 2020, lors d’un Conseil des ministres, il avait instruit la création d’un Institut de l’Agriculture saharienne au sud dans le but d’accompagner les projets en cours.

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