CHRONIQUE LIVRESQUE. À l’heure où Gérard Depardieu annonce son désir de s’installer en Algérie que Cantona et son épouse Rachida Brakni y vivent déjà, il nous parait opportun de revenir sur un livre déjà sorti il y a plusieurs mois et passé inaperçu ou presque, qui pose la problématique de la difficulté de vivre en Algérie de certains jeunes algériens qui préfèrent raser les murs clandestinement en France plutôt qu’être libres ici.
Fous Depardieu et les Cantona ? Ou fous nos compatriotes ? La réponse à la question est dans le livre « Quatre nuances de France, quatre passions d’Algérie* » où l’on découvre que le débatteur français est plus épris de notre pays que les Algériens de souche.
Mais n’anticipons pas. Ouvrons le recueil. C’est une rencontre improbable entre deux Français de cœur, de goût et de choix, un Algérien qui rêve d’être français et un Français plus algérien que les Algériens d’origine. Tout les sépare : la condition sociale, l’origine, la trajectoire professionnelles, le niveau d’instruction. Mais le même goût pour le dialogue avec son frère humain si différent soit-il.
Rachid Arhab plus français que Manuel Valls, mais…
Casting. Un journaliste qui a connu des hauts et des bas, un fonctionnaire qui a tâté le chômage, un sans-papiers et un haut fonctionnaire à la carrière bien remplie. Suivons les trois premiers. D’abord Rachid Arhab, ex-journaliste, ex-membre du CSA, né Algérien à Fort-National, a opté pour la nationalité française à 37 ans par choix, par amour.
S’il aime les fières montagnes de son village natal, ce sont les paysages de France qui l’émeuvent. Qui font palpiter son cœur, ce cœur qui ne comprend pas pourquoi on ne lui offre pas de jambon lors d’un dîner à Paris avec un ministre français et qu’on le prive, à Alger durant le mois du Ramadan, de boissons.
Derrière l’anecdote, il y a une revendication d’un choix de vie, d’un style de vie, d’une culture et d’une rupture épistémologique avec les traditions de ses ancêtres. Non pas que Arhab renie tout, non, il ne renie rien, il est fier de ses origines, mais il est Français à part entière. Aurait-il mieux réussi sa carrière, à l’instar d’Anne Hidalgo et Manuel Valls, d’origine ibérique, moins « français » que lui chronologiquement, mais si vite propulsés aux plus hautes fonctions de la république, s’il avait troqué son nom si algérien de Rachid Arhab contre, par exemple, Juan Camacho, nom à consonance espagnole ? Tel a été le débat entre Arhab et le haut fonctionnaire français.
Qu’on nous permet de douter. Même s’il avait pris un nom plus gaulois que Sarkozy, il serait resté « l’Arhab de service », pour reprendre ses propres mots. La vérité, c’est qu’il aura beau changer de nom, la terre du Maghreb lui collera toujours aux semelles, son origine le suivra, la religion dont il s’est affranchi le poursuivra malgré lui.
En fait, le problème n’est pas en Arhab, dont la culture et la maîtrise de la langue de Molière le rendent proche de Charles Trenet et Brassens beaucoup plus que Valls et Hidalgo aux accents espagnols. Le problème est dans le regard de la société français qui a figé pour l’éternité des types et des catégories. Hors ce classement, il n’y a point de salut. Arhab le Français, heureux et fier de l’être, restera pour la majorité des Français un Maghrébin de souche. Tout est là : la souche. Dis-moi quelle est ta souche, je te dirai qui tu es.
Il arrive, parfois, que le talent et la notoriété « gomme » la souche. Exemple Zidane. Mais Zidane est dans le foot, sport de passion. Et Rachid Arhab dans les médias, sport violent et hiérarchisé, très peu pratiqué par les Algériens de souche. Quoi qu’il en soit, Arhab est au chômage après avoir été réduit à faire la pige à TPMP (Touche pas à mon poste) de Cyril Hanouna. Le journaliste a beau avoir la capacité à s’adapter à tous les milieux y compris les plus extrêmes, il ne peut plonger, s’il respecte son métier, dans TPMP sans laisser une part de son âme, de son métier et de sa dignité. Arhab s’est ressaisi de justesse.
Nacer, tout sauf l’Algérie
Le deuxième acteur, Nacer Safer, est un sans-papiers d’une trentaine d’années qui vit clandestinement en France depuis 12 ans. Il représente le jeune Algérien type d’aujourd’hui. Soif de liberté, soif de promotion sociale, soif de culture, soif de vie tout court. Licencié en Orthophonie de l’université algérienne, il est parti en France pour poursuivre son métier. On imagine le choc entre son morne village de Kabylie et les lumières de Paris. Et l’air pur sans pollution du village haut perché, et les cimes qui tutoient les aigles, et la famille, et les amis ?
Oui, très bien. Mais ça ne nourrit pas un jeune homme qui veut mordre dans la vie avec l’appétit de son âge. Il veut mordre, mais vraiment mordre, pour arriver, quitte à mordre d’abord la poussière. À la cité universitaire, il vivait la plus collante promiscuité dans une boîte de sardines, sans eau, sans hygiène, sans horizons, étranger et déclassé dans son propre pays. Comme des milliers de ses compatriotes. Mais écoutons la plaidoirie de celui qui préférait vivre la peur au ventre en France que la peur du vide en Algérie :
« Le lecteur trouvera sans doute que ces descriptions de mon quotidien sont dures (en Algérie), il les trouvera excessives. Il se dira que j’ai baissé les bras alors que j’aurais dû garder l’espoir, que je suis lâche alors que j’aurais dû être fier. Qu’il ne se méprenne pas cependant, il n’y a pas de rejet de l’Algérie que j’ai aimée, que j’aime encore et dont je rêve souvent. Je n’ai pas trouvé ma place dans cette Algérie quittée il y a douze ans et je cherchais simplement une vie meilleure. Je forme un vœu pour ce pays si cher : qu’il donne aux jeunes envie d’y vivre et de s’y épanouir, de construire l’Algérie de demain. »
Émouvantes paroles d’un homme déchiré, mais qui a fait son choix. On peut ne pas être d’accord avec ce choix de tourner le dos au pays qui lui a offert des études gratuites en pensant à la fameuse phrase de J.F Kennedy : « Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays. » Mais peut-être que Nacer n’a que faire de ces discours. Lui n’a qu’une vie à vivre. Et il veut la vivre là où il pense faire son trou.
Sait-il au moins que peu de Maghrébins, fussent-ils animés de la volonté de soulever le monde, réussissent en France ? Pour une réussite, mille échecs. Donnera-t-il tort aux statistiques ? En tout cas, après douze ans de clandestinité, un bon samaritain l’a aidé à régulariser sa situation. C’’est précisément le haut fonctionnaire dont on parlera en dernier.
Karim, Algérien de papiers
Troisième protagoniste, Karim Boussahoun la trentaine assagie. Fils de la banlieue, il fera de brillantes études qui le mèneront à la prestigieuse école de Sciences Po. Né Français, et fier de l’être, fier de ses racines familiales, il a pris la nationalité algérienne pour des raisons pratiques. Il se dit : « algérien de papiers. » Cynisme ? Inconscience ? Cette franchise est insoutenable à ceux qui aiment leur pays au point de sacrifier leur vie.
La position de Arhab et le haut fonctionnaire qui pensent qu’on ne doit pas avoir deux nationalités, car cela ne favorise guère le sentiment d’appartenance, parait hautement plus défendable que celle du hadj Karim. Mais bon, personne n’est à la place de personne. En tout cas, ses mots sonnent juste quand il répond, dans un dialogue instructif, à Nacer qui semble avoir une vision manichéenne des choses : la lumineuse France et la grise Algérie. :
« Ce que je peux te dire sur l’immigration, cher Nacer, c’est qu’il faut éviter le piège des amalgames et des faux-semblants. Au risque de te heurter, je te dirai que les immigrés préféreraient rester chez eux si les conditions étaient meilleures. (…) Si je suis sorti de ma banlieue, c’est pour mieux y retourner. (…) Malheureusement, la misère sociale n’a pas de limite. Et elle existe en France. Elle n’est pas celle qui a pu t’amener à fuir ta Kabylie natale, qui doit être un pays magnifique, et dont je rêve de découvrir les gens, là-bas. »
Xavier l’Algérien
Le quatrième acteur, le Haut fonctionnaire n’est autre que Xavier Driencourt, Inspecteur général au Quai d’Orsay à l’époque de la conception du livre, ex-ambassadeur de France en Algérie et présentement au même poste. C’est lui qui a été à l’origine de la régularisation de la situation de Nacer, lui encore qui est à l’origine de ce livre, lui aussi à qui les trois autres protagonistes vouent un respect sans limite.
Des quatre, c’est lui qui est le plus attaché à l’Algérie. Pourtant, il est Français de souche, pourtant il est Français de culture et de religion. Mais, telle Isabelle Eberhardt, mais tel Etienne Dinet, mais tel Le père Foucauld, ce catholique, cet humaniste, a eu une révélation au milieu des sables du Sahara : la révélation d’une passion mystique pour ce pays et ses hommes et femmes.
Driencourt a la foi, la vraie, celle qui lui fait aimer tout le genre humain, et le prouver avec ses innombrables amitiés avec des Algériens démunis, ou en souffrance, mais aussi avec des prêtres africains, en vérité avec tous les humains. Dans une autre vie, il aurait été une sorte d’apôtre de la paix des cœurs, un recours et un secours. Saint Xavier ? Pour Safer, il l’est. Rappelé à Paris après quatre années où il s’est battu de toutes ses forces pour rapprocher ses deux pays, la France et l’Algérie, il a continué le même travail au quai d’Orsay.
En gardant ses amis et ses relations algériennes. Driencourt est un homme de fidélité, de devoir et de fraternité. Que la paix soit sur lui et ses trois autres compagnons qui nous ont offert une belle leçon d’humanité et d’ouverture.
*Quatre nuances de France, Quatre passions d’Algérie
Rachid Arhab, Karim Bouhassoun, Xavier Driencourt, Nacer Safer
Éditions Frantz Fanon
Prix public : 920 DA