Tribune. La Transition Démocratique doit s’amorcer sans délai. Le changement par la voie constitutionnelle n’est plus possible maintenant. Pour autant, la mise en place d’une Présidence Collégiale, investit de tous les pouvoirs du Président de la République, pourrait permettre de ne pas sombrer dans le vide constitutionnel.De la sorte, l’Armée aura une opportunité unique pour sortir du champ politique.
Les algériennes et les algériens ont entamé depuis 3 mois une Révolution Pacifique, empreinte de nos valeurs multilinéaires, pour rompre totalement avec le système de valeurs autoritaire. Notre peuple réaffirme encore une fois qu’il est souverain et seul maître de son destin. Le Mouvement Citoyen doit perdurer ainsi et sauvegarder la Révolution Pacifique jusqu’à la rupture totale avec le système de valeur autoritaire et la réappropriation de l’État dans le cadre de notre système de valeurs multimillénaire.
Jusqu’à la mi-mars 2019, il était encore possible de trouver une sortie de crise, plus ou moins, constitutionnelle pour rompre totalement avec l’ancien système de valeurs et nous avons été nombreux à faire des propositions pour une Transition DémocratiqueConstitutionnelle (https://www.tsa-algerie.com/une-feuille-de-route-pour-la-reappropriation-de-letat-par-le-peuple-algerien/). Non pas que c’était une fin en soi, mais parce qu’elle pouvait offrir un cadre clair et intelligible, à toutes les parties prenantes,pour assurer le passage vers une nouvelle République.Sans pour autant plonger le pays dans l’incertitude et l’inconnu du vide constitutionnel.
Toutefois, il faut être réaliste et reconnaitre qu’il n’est désormais plus possible d’assurer une Transition Démocratique Constitutionnelle, comme il était possible de le faire, tant bien que mal, à la mi-mars 2019. Pour autant, il n’est pas question non plus de faire un saut dans l’inconnue du vide constitutionnel. Encore plus, la situation de non-transition actuelle ne peut plus durer, car elle ne peut qu’avoir des conséquences politiques, sociales et économiques négatives. Il nous faut donc faire preuve de créativité pour sortir rapidement de cette léthargie.
Transition Démocratique sans l’Armée
En héritière de l’Armée de Libération Nationale (ALN), l’Armée Nationale Populaire (« ANP » ou « Armée » dans le texte) a investi le champs politique depuis l’indépendance. Les trois dernières décennies, avec d’abord la lutte anti-terroriste et ensuite la déliquescence des institutions de la République, l’Armée s’est retrouvée au cœur du champ politique. Depuis, mars 2019 elle est même devenue une partie prenante de la Transition Démocratique.
Dans le contexte de la Transition Démocratique, on ne doit pas se demander ce que l’Armée peut faire pour le Mouvement Citoyen et la Révolution Pacifique. Demandons-nous plutôt ce que le Mouvement Citoyen et la Révolution Pacifique peuvent faire pour l’Armée. Nous devons l’accompagner dans sa modernisation et sa professionnalisation, et lui permettre de sortir immédiatement du champ politique, pour ne plus jamais le réintégrer. Il s’agit avant tout de protéger notre Armée et de préserver l’unité de ses rangs.
L’Armée en tant qu’institution ne doit jouer aucun rôle dans le processus ou les instances de la Transition Démocratique. Aucun militaire en fonction ne doit figurer dans un rôle politique, y compris dans le Gouvernement. En fait l’ANP doit se concentrer sur ses missions régaliennes en ces temps troubles et avec toutes les menaces multiformes dans notre région. C’est même une des conditions nécessaires pour assurer la réussite de la Transition Démocratique.
Nous devons collectivement aider l’armée dans cette entreprise. Plutôt que d’attendre des gages et des assurances de sa part. En tant que peuple, nous devons offrir à l’armée les gages et les assurances qu’elle peut tranquillement se concentrer sur ses missions régaliennes. Mais comment est-il possible le faire ?
Le spectre du vide constitutionnel
Le Commandement de l’ANP a une crainte principale ; le vide constitutionnel. Cette appréhension s’explique à l’examen de notre histoire récente, particulièrement par le coup d’Etat de janvier 1992, l’arrêt du processus électoral, la montée des extrémismes et le vide constitutionnel qui s’en ai suivi avec les conséquences que nous connaissant. Même si toutes les conséquences ne doivent pas être attribués aux décideurs de l’époque.
La responsabilité de la décennie de sang étant commune entre les putschistes et les terroristes qui ont pris les armes et qui ont fauché des vies humaines innombrables. Le monopole de la violence légitime devant toujours rester aux mains exclusives de l’Etat.
On comprend donc bien les craintes que peut avoir le Commandement de l’ANP vis-à-vis des situations d’exception constitutionnelle.
D’autant plus que notre Armée est d’une tradition légaliste et qu’elle doit se consacrer, conformément à l’Article 28 de la Constitution, à « la sauvegarde de l’indépendancenationale et la défense de la souveraineté nationale…la défense de l’unité et de l’intégrité territoriale du pays, ainsi que laprotection de son espace terrestre, de son espace aérien et des différentes zones de son domainemaritime ».
Présidence Collégiale et continuité de l’Etat
La Transition Démocratique peut s’opérer dans un cadre constitutionnel hybride. L’idée d’une Présidence Collégiale a fait beaucoup de chemin. Elle apparait comme l’option la plus viable pour piloter la Transition Démocratique, car elle permet à une majorité d’algériens de s’identifier et d’être rassurer par un de ses leaders, si ce n’est plusieurs. Bien entendu les personnalités choisies doivent être d’une grande probité et d’un sens politique aigu pour assurer le dialogue et fédérer les algériens. Il est aussi bien entendu, que les leaders de la Présidence Collégiale ne doivent avoir aucun lien avec l’ancien régime.
La Présidence Collégiale doit être investie des mêmes pouvoirs que ceux conférer au Président de la République par la constitution actuelle, qui tend vers le pouvoir présidentiel, y compris la pouvoir de nomination au plus hautes fonctions publiques. L’Etat peut ainsi continuer à fonctionner normalement à tous les niveaux. La Présidence Collégiale pourrait aussi légiférer par ordonnance en cas de dissolution du Parlement. En attendant de réaliser les préalables et les conditions nécessaires à l’avènement de la nouvelle République. De la sorteon évitera le vide constitutionnel, même si on est désormais bien sorti de la Constitution !
Dans ce cadre-là il est possible de mener à bien la Transition Démocratique qui connaitra son dénouement avec l’adoption par voie référendaire de la nouvelle Constitution (avec ou sans constituante), la tenue des élections présidentielles et dans la foulée la tenue des élections législatives. Pour en arriver là, il faut donner la parole au peuple avec des consultations, inclusives de toutes les composantes de la société, menée sous l’autorité de la Présidence Collégiale. Il faudra aussi mettre en place une instance indépendante pour la supervision des élections, revoir le découpage des circonscriptions électorales et mettre à jour les listes électorales.
Durant la Transition Démocratique un Gouvernement des Compétences Algériennes, non compromises avec l’ancien régime, doit être nommé pour mener à bien les réformes économiques et sociales urgentes. Il est primordial pour la réussite de la Transition Démocratique, d’assurer le bon fonctionnement de tous les services publiques (notamment l’éducation et lasanté), de favoriser la création d’emploi, de créer de la richesse et de la redistribuer équitablement aux algériens.
Transition Démocratique : une chance pour l’Armée et la Communauté du Renseignement
La doctrine militaire algérienne fait consensus parmi tous les algériens. Sa nature portée quasi-exclusivement sur la sauvegarde de l’indépendancenationale et la défense de la souveraineté nationale. Nous ne sommes pas adeptes de l’interventionnisme et du déploiement de notre Armée à l’extérieur du pays. Durantla Transition Démocratique ce principe cardinal doit être sauvegarder contre vents et marrées.
La Présidence Collégiale et la Gouvernement des Compétences Algériennes doivent prendre leurs responsabilités et jouer leur rôle politique en matière de renseignement et de défense nationale. Le ministre / vice-ministre en charge de la Défense Nationale doit être un politique civil, y compris même parmi les militaires en retraite. De la même manière, les fonctionnaires du ministère de la Défense Nationale doivent être recrutés pour leurs compétences parmi les fonctionnaires civils et les militaires en détachement de l’Armée.
En Algérie, l’Armée a toujours été le cœur de la communauté du renseignement, lorsqu’elle n’avait pas elle-même le monopole du renseignement. Cette situation est encore plus vraie depuis la réintégration totale, courant avril 2019, de l’ex-DRS – Département du Renseignement et de la Sécurité – dans l’ANP / ministère de la Défense Nationale. C’est une situation anormale et pas nécessairement favorable à la Transition Démocratique et à l’avènement de la nouvelle République.
A l’exception du renseignement militaire, tous les autres services de renseignement doivent être sortis immédiatement de l’ANP /ministère de la Défense Nationale, et leurs fonctionnaires doivent progressivement passer au statut civil. En parallèle, de la civilianisation du renseignement, il faut assurer l’indépendance et le cloisonnement entre les services de renseignement, tout en assurant leur coordination et l’arbitrage entre eux par les plus hautes autorités politiques. C’est-à-dire la Présidence Collégiale en période de Transition Démocratique. De la sorte une véritable Communauté du Renseignement pourrait émerger, allant bien au-delà des seuls services de renseignement et de l’autorité politique.
Dissolution du Parlement et renouveau des Partis Politiques
Aux situations exceptionnelles des mesures exceptionnelles. Les deux chambres du Parlement doivent être dissoutes durant la Transition Démocratique. En manque de légitimité, le Parlement ne joue plus ses rôles de législation et de contrôle de l’action du Gouvernement. Il est doncimpératif de renouveler le Parlement à la suite des élections présidentielles, qui suivront l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution.
A l’issue de la Transition Démocratique, le nouveau Parlement doit aussi jouer son rôle en matière de contrôle des politiques publiques de sécurité et de défense nationale, d’approbation des budgets et de leur utilisation, et de validation de certaines nominations aux plus hautes fonctions de l’Armée et des services de renseignement. Le Président de la République devrait aussi consulter les commissions parlementaires pertinentes avant de statuer sur l’engagement dansdes opérations militaires ou de renseignement de nature exceptionnelle.
De la même manière, en période de Transition Démocratique, tous les partis politiques doivent être dissous et de nouveaux partis politiques doivent se constituer loin des coups d’Etat scientifiques et autre manipulation des votes des militants. C’est aussi l’occasion de faire le ménage dans le paysage politique, notamment en prévenant la création de partis politiques« sur une base religieuse, linguistique, raciale, de sexe, corporatiste ou régionale » (Article 52 de la Constitution). C’est aussi l’occasion pour remettre le Front de Libération Nationale (FLN) à tous les algériens et le sortir définitivement du champ politique.
Amorçons la Transition Démocratique sans délais
Le Mouvement Citoyen, à l’image du Mouvement National du siècle dernier, est politique dans son essence. La Transition Démocratique est une affaire exclusivement politique et c’est par des moyens politiques qu’elle connaitra son dénouement. L’Armée doit impérativement et immédiatement sortir du champ politique et ne pas s’impliquer dans la Transition Démocratique. Pour ce faire,la continuité de l’Etat et une certaine forme de légalisme doivent être assurées.
Une Présidence Collégiale,investie des mêmes pouvoirs constitutionnelsque le Président de la République(y compris le pouvoir de nomination et de législation par ordonnance), apparait comme l’option la plus viable pour piloter la Transition Démocratique. La Constitution actuelle, aussi imparfaite qu’elle puisse être, demeure tout de même solide et, pourrait continuer à constituer la base législative du fonctionnement de l’Etat durant la Transition Démocratique.
Le comble est qu’on se retrouverait dans une situation anticonstitutionnelle, sans pour autant être dans le vide constitutionnel ! De quoi nous fédérer tous autour de notre Révolution Pacifique pour la Transition Démocratique vers une nouvelle République.
* Anisse Terai est professeur universitaire, diplômé de l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales (HEC Alger) et de l’Institut d’Etudes Politique de Paris (Sciences Po), ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) et de l’Université d’Harvard
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