Ali Kefaifi est spécialiste en énergie. Dans cet entretien, il revient sur le dernier accord de l’Opep sur la hausse de la production de brut et son impact sur l’Algérie.
Les membres de l’Opep ont convenu avec leurs alliés dont la Russie d’augmenter la production de brut. Cet accord pourrait-il assurer l’équilibre entre l’offre et la demande. Et pour combien de temps ?
Les membres de l’Opep ont décidé de réduire à 100% leur niveau d’engagement, donc de se conformer « globalement » aux décisions prises depuis fin 2016 et appliquées depuis janvier 2017. Cependant, « le diable étant dans les détails », la déclaration annule les quotas imposés à chaque pays de l’Opep et ne retient que le plafond global à respecter dans l’absolu, c’est-à-dire 32 millions barils/jours. Or, ce plafond-ci concerne tous les pays de l’Opep, y compris ceux à qui aucun quota « national » n’était imposé, par exemple la Libye et le Nigéria. C’est cette situation cocasse qui a permis à l’Opep de bluffer (to cheat !) et d’affirmer qu’en avril 2018, elle a atteint une réduction globale de 2,016 millions b/j, soit 171 % de la réduction initialement décidée ou 1,2 million b/j pour les pays de l’Opep. Or, durant les derniers mois ainsi qu’en avril 2018, il n’y a pas eu de productions inférieures aux quotas, à l’exception de l’Irak (4,455 million b/j) et de la Guinée équatoriale (0,13 million b/j).
Ce subterfuge de l’Opep a été rendu possible grâce à, d’une part la baisse considérable de la production du Venezuela (près de 1 million b/j) et de l’Angola, et d’autre part la Libye et le Nigéria, non concernés par la contrainte de quotas mais contribuant à une baisse de l’offre globale Opep.
Ainsi, globalement, les pays Opep plus les autres producteurs non Opep ont réduit la production de 1,8 million b/j (dont Opep 1,2 million b/p et non Opep 0,6 million b/j), et permis de rééquilibrer l’offre et la demande, mais au prix d’une baisse des stocks, lesquels stocks constituent un déterminant sensible dans la fixation des prix qui ont triplé depuis début 2016 pour atteindre les 75 $ le baril actuellement.
Quel est l’impact de la décision de l’Opep d’augmenter la production sur les prix du pétrole ?
En fait, à très court terme, la décision de l’Opep revient à instaurer un statu quo et permettre aux grands producteurs, essentiellement la Russie et l’Arabie saoudite, à augmenter leur production et valoriser leurs capacités disponibles mais auparavant limitées par l’accord Opep.
Pour bénéficier à court terme de prix favorables dans la tranche des 70 – 80 $ le baril, ils pourront probablement compter sur la demande saisonnière du 3e trimestre, accompagnée ultérieurement par une stagnation relative de l’offre américaine en pétrole non conventionnel. Ainsi, l’augmentation attendue de production de ce pétrole, soit presque l’équivalent de la croissance de la demande mondiale, sera sans effet en attendant la disponibilité d’oléoducs texans en construction, prévue pour la mi-2019.
En effet, il est probable que le marché pétrolier entre dans un cycle annuel court, rendu rigide du fait de l’offre. À moyen terme (2019- 2020), ce marché sera plus stable nonobstant les besoins spécifiques à l’Arabie saoudite (prix d’équilibre budgétaire supérieur à 70 $ le baril, ouverture du capital d’Aramco) et la nécessaire relance de la recherche pétrolière mondiale.
Quel est l’impact de cette décision sur l’Algérie ?
Selon l’horizon économique, les intérêts de l’Algérie sont totalement différents. À court et moyen terme, l’Algérie, exportateur pétrolier, aura besoin d’un prix du pétrole supérieur à 60 – 70 $ le baril, qui correspond à son seuil d’équilibre budgétaire pour 2018. À long terme, après 2021-22, l’Algérie risque de rentrer dans une zone de fortes turbulences car il y a risque pour notre économie de connaitre la situation critique des « pays importateurs nets de pétrole », c’est-à-dire dépourvus d’exportations pétrolières, à l’image de l’Indonésie qui avait dû quitter l’Opep. Dans ce cadre, le prochain cycle long qui verra des prix élevés du pétrole (> 100 $ le baril) sera défavorable à l’économie algérienne.
L’Algérie et d’autres pays du cartel étaient opposés à la hausse de la production, mais ils n’ont pas pesé dans la décision finale. Est-ce que l’Arabie saoudite a imposé son choix ?
La décision finale appartenait à l’Arabie saoudite et à la Russie, premiers producteurs mondiaux avec les USA. Ils ont imposé leur décision à l’Iran. Leurs objectifs pour le nouveau cycle pétrolier est d’augmenter leurs parts supplémentaires de marché, soit moins de 1 million bbl/j pour le leader de l’Opep et 0,3 à 0,4 million bbl/j pour le leader des non Opep.
Le monde pourrait être confronté à un déficit d’approvisionnement pouvant atteindre 1,8 million de bpj dans quelques mois. L’accord ne devrait pas être suffisant pour compenser la baisse attendue des exportations du Venezuela et de l’Iran ? Quelle alternative pour répondre aux inquiétudes des consommateurs ?
Ce déficit à court terme sera essentiellement dû à la contrainte d’indisponibilité d’oléoducs pour le pétrole texan (+ de 3000 puits disponibles mais en attente d’oléoducs), aux conséquences des crises régionales (Libye, Irak, Sud Soudan) et de la non gouvernance (Venezuela, Nigéria, Angola, autre pays de la région MENA) et à l’insuffisance des investissements dans l’exploration et le développement pétrolier.
Les autres branches de l’alternative résident dans les fondamentaux (offre, demande, stock), le pétrole « financier » (trading, capacités, géo-économie, etc.), la fin d’un modèle pétrolier marqué par les égoïsmes nationaux des grands pays, et d’autre part le Cartel et son pendant, l’État rentier. La solution du problème réside dans un prix moins instable, rémunérateur et qui permet la relance des investissements, en attendant les diversifications énergétiques (GNC, GNLc, nanocatalyse, EnR) et économique (véhicules électriques, économie digitale, matériaux du 21e siècle, etc.)