Abdelmadjid Tebboune a prêté serment une semaine seulement après son élection. Il est vrai qu’il n’y a pas eu de recours des autres candidats, mais il reste que les choses ont été faites dans une précipitation qui découle de la conviction que la situation est d’une telle complexité qu’elle ne permet pas davantage de perte de temps.
Beaucoup prédisent de ce fait que le nouveau gouvernement sera constitué avec la même célérité pour s’attaquer sans tarder aux nombreux chantiers de réformes que le chef de l’État a promis d’ouvrir. En tout cas, estime-t-on, le scénario de Bouteflika, qui avait mis huit mois en 1999 pour constituer sa première équipe, a très peu de chances de se reproduire.
En attendant, les spéculations vont bon train, que ce soit sur la manière de former l’exécutif, sa nature ou sa composante. Se voulant l’homme de la rupture avec les pratiques de son prédécesseur, Abdelmadjid Tebboune respectera-t-il les dispositions de la Constitution qui prévoient des consultations avec les partis majoritaires au Parlement ? Bouteflika n’en a jamais pris compte, donnant plusieurs fois la chefferie du gouvernement au RND au moment où le FLN dominait les deux chambres, sans jamais recevoir les responsables des partis concernés.
Consultations : avec qui ?
Néanmoins, quand bien même il le souhaiterait, il serait difficile pour le président, en l’état actuel des choses, de rompre avec la tradition bouteflikienne dans ce registre. Appliquer strictement les dispositions de la constitution impliquerait des consultations avec le FLN et le RND en premier, puis nommer un Premier ministre issu de l’ex-parti unique, ou du moins accepté par celui-ci. Le premier casse-tête qui se poserait au chef de l’État et son entourage, c’est le fait qu’aucun des deux partis majoritaires ne dispose de secrétaire général, étant tous les deux dirigés par des intérimaires.
Selon nos informations, les consultations pourraient être menées avec leurs chefs de groupes parlementaires respectifs. Mais le problème de la légitimité demeurerait entier. Non seulement les deux partis sont rejetés par la rue depuis le début du hirak en février –la dissolution du FLN est même réclamée- mais les résultats de la dernière présidentielle ont aussi mis à nu le véritable poids des deux formations dont le candidat, Azzedine Mihoubi, n’a récolté que 600 000 voix. Le fait qu’aucun des deux partis n’a apporté son soutien au président pendant la campagne est une autre raison qui devrait leur ôter toute chance de jouer les premiers rôles sous sa conduite.
En attendant d’éventuelles élections législatives, qu’il n’a pas annoncées mais n’a pas exclues non plus, Tebboune pourrait opter pour un gouvernement mosaïque avec un Premier ministre « neutre » et des ministres issus de tous les partis qui souhaiteraient y siéger, y compris ceux de l’opposition qui ont fait part de leur disposition à accepter sa « main tendue ». Mais cela reste tributaire de l’apaisement du climat général, réclamé par tous.
Boukadoum bien parti pour rester
Dans ce contexte, un gouvernement de technocrates a également toutes les chances d’être constitué pour mener les chantiers les plus urgents du président, dont le règlement de la crise politique en cours, la révision de la Constitution et, surtout, la relance de la machine économique.
Le jour même de sa prestation de serment, le président a reçu la démission du Premier ministre Noureddine Bedoui et mis fin aux fonctions du ministre de l’Intérieur Salah Eddine Dahmoune. Si certains lient ces premiers changements au rôle qu’auraient joué les deux responsables durant la campagne en défaveur du futur président, d’autres y voient un geste de ce dernier en direction du hirak étant donné que le départ du premier était réclamé depuis avril et le second s’est distingué par un grave dérapage verbal pendant la campagne.
Quoi qu’il en soit, le profil choisi pour remplacer temporairement Bedoui à la tête de l’exécutif laisse deviner les intentions de Tebboune. Sabri Boukadoum, le nouveau Premier ministre par intérim, est sans attache partisane et surtout un diplomate de carrière, au ton mesuré. Le profil est tout indiqué pour engager des tractations avec la classe politique pour la constitution du gouvernement et éventuellement pour prendre attache directement avec le hirak.
La nomination dans la foulée d’un autre diplomate, Noureddine Ayadi, comme chef de cabinet de la présidence s’inscrit sans doute dans cette optique. On se souvient, en mars dernier, le président Bouteflika avait fait appel aux deux meilleurs diplomates du pays, Lakhdar Brahimi et Ramtane Lamamra, pour tenter de désamorcer la crise née de sa contestation par la rue.
Sabri Boukadoum a donc toutes les chances d’être plus qu’un intérimaire et de se voir confirmé à la nomination du prochain gouvernement. Quant à l’équipe actuelle, chargée de continuer à gérer les affaires courantes, elle devrait plier bagages et seul Belkacem Zeghmati devrait garder son portefeuille de ministre de la Justice.