Au salon des produits de la recherche qui se tient du lundi 2 au mercredi 4 juillet à la Safex d’Alger, les innovations réelles se font rares et même les « trouvailles » exposées par des entités étatiques reconnues ont du mal à convaincre.
Toutefois, quelques lueurs d’espoir ont jailli de talents jeunes et moins jeunes, appartenant aux universités et écoles supérieures algériennes, égayant l’horizon scientifique national.
Ces hommes et ces femmes qu’il faut appeler inventeurs sans hésitation, arrivent, en travaillant avec des moyens limités, dans un environnement peu propice à l’innovation, à proposer des concepts prometteurs.
Parmi ces inventeurs, des étudiants et professeurs d’universités qui ont conçu des imprimantes 3D, des drones, des prothèses bioniques, des médicaments, des dispositifs de filtration d’eau ou encore, des techniques pour recycler et valoriser des déchets de l’industrie.
Une fusée clouée au sol par la loi algérienne
Dans un coin d’un des deux pavillons abritant le salon trône une fusée noire et blanche, posée sur son support métallique. L’appareil haut de trois mètres a été créé par une équipe de l’Institut d’aéronautique et d’études spatiales (IAES) de Blida.
« C’est un lanceur de micro-satellites », explique Hachache Hacene étudiant de l’institut ayant participé au projet. Selon lui, le lanceur permet d’envoyer à une altitude de 11 kilomètres un micro-satellite qui peut peser jusqu’à 5 kilogrammes.
Intérêt d’un tel lancement ? Résoudre le problème de pollution engendré par les milliers de satellites envoyés en orbite autour de la terre et qui ont poussé les États et les agences spatiales à remplacer une partie des satellites traditionnels par des micro-satellites.
Ceux-ci « montent jusqu’à une certaine altitude, prennent des mesures de l’atmosphère, des photographies du sol et retournent sur terre pour être récupérés », détaille l’étudiant.
La fusée a été conçue et réalisée par l’équipe de l’IAES de Blida. Elle est faite en matériau composite, insiste fièrement l’étudiant qui explique que ce matériau offre au lanceur une grande résistance à la traction, à l’écrasement et à la chute tout en restant léger.
Khaoula Mazari, étudiante en master 1 en avionique à l’IAES de Blida a participé au projet de lanceur de micro-satellites avec lequel elle a pris part l’année passée à un concours interuniversitaire. Optimiste et fière de sa participation au projet, elle regrette que la fusée, même opérationnelle, n’ait jamais pu décoller.
Deux freins clouent au sol le lanceur : l’absence de moteurs qui sont interdits d’importation et impossible à fabriquer en Algérie et l’impossibilité de faire des tests réels.
« Il est interdit de faire des essais de fusées en Algérie et l’année passée, nous avions voulu faire des essais en Tunisie mais il est également interdit de faire sortir le lanceur du pays », raconte Khaoula avec amertume.
L’étudiante compte participer cette année à la deuxième édition du concours interuniversitaire de fusées et elle espère que l’engin de l’IAES de Blida décrochera une des trois premières places au classement, car, explique-t-elle, « ceux qui seront classés parmi les trois premiers emmèneront leurs fusées aux États-Unis pour faire des essais réels ».
D’ici là, la fusée qui pourrait décoller et lancer un micro-satellite et battre ainsi la loi de la gravité, reste clouée au sol par la loi algérienne.
Les chercheurs qui valorisent les matières premières locales
S’il y a un point fort indéniable à la recherche scientifique en Algérie, c’est la volonté des chercheurs nationaux de valoriser les matières premières locales et cette idée a inspiré de nombreux concepts et produits exposés depuis lundi à la Safex.
Une « bio-pommade » pour traiter les brûlures et cicatrices et fabriquée à partir d’une plante médicinale répandue en Algérie, c’est ce que propose Sarah Ben Bensilakhal, étudiante en génie chimique à l’Université de Médéa.
« J’ai fait une bio-pommade à base de racines de bleuet, elle ne contient aucun composé chimique synthétique. Elle est utilisée pour traiter les brûlures au premier et au deuxième degré dont le traitement peut nécessiter des opérations chirurgicales », détaille-t-elle, ajoutant qu’« avec cette pommade, nous pouvons éviter ces opérations ».
Bounab Leila et Souda Ibtihadj sont deux étudiantes de l’Université de Skikda qui ont étudié l’effet de l’écorce de grenade, autre matière première locale, sur les infections du pied diabétique et les résultats de leurs recherches sont enthousiasmants.
« Nous avons travaillé sur l’activité antibactérienne de l’écorce de Punica granatum (grenadier commun) sur huit souches isolées à partir de pieds diabétiques infectés et on a trouvé qu’ils ont une très forte activité antibactérienne », explique Bounab Leila pour qui l’utilisation de ce produit pourrait apporter de grandes améliorations dans le traitement du pied diabétique souvent sujet aux infections.
« Nous avons travaillé sur huit souches de bactéries dont deux étaient multi-résistantes aux antibiotiques, toutes les souches ont répondu à notre poudre », poursuit l’étudiante chercheuse, en insistant sur l’opportunité qu’offre le produit de valoriser les écorces de grenade, une matière disponible localement en grandes quantités et qui est surtout un déchet inexploité.
En plus de son activité antibactérienne, la poudre développée par les deux étudiantes a des propriétés astringentes, c’est-à-dire « qu’elle resserre les tissus », améliorant ainsi la protection offerte par la peau contre les infections et facilitant la cicatrisation. Un avantage certain qu’a l’écorce de grenade sur les antibiotiques, selon l’étudiante.
Le lait tourné en textile
Keytex technologies est une start-up domiciliée au niveau de l’incubateur de l’Université de Tlemcen. Elle a été fondée par deux étudiantes et leur encadreur Chiali Anis, chercheur associé à l’université et directeur adjoint des relations extérieures à l’école des sciences appliquées à Tlemcen. À eux trois, ils activent dans la recherche sur la valorisation des déchets de l’industrie laitière.
« Nous avons développé deux produits grâce à ces deux étudiantes, le premier process est le recyclage des dérivés (déchets) de l’industrie laitière pour en fabriquer des bio-polymères recyclables et biodégradables », détaille le chercheur qui se réjouit de l’intérêt écologique et économique de cette innovation.
« Ce qui est bien c’est que le déchet, le lactosérum, est jeté dans la nature, ce qui pose un problème environnemental majeur, donc nous proposons de le récupérer et de lui donner de la valeur ajoutée », explique-t-il.
Plusieurs applications possibles du process ont été développées par les trois chercheurs. La première est la fabrication à partir de lactosérum des semelles orthopédiques qui seront, selon M. Chiali, particulièrement utiles aux diabétiques car « c’est un matériau qui respecte la peau et ne cause pas de dégâts sur le plan dermique ».
La protection thermique est une autre application possible du procédé. « Nous avons développé, et c’est breveté, un tissu qui peut résister jusqu’à 420 degrés pendant cinq minutes », affirme le chercheur
Le concept a été proposé à la protection civile pour l’utiliser « comme couverture thermique d’urgence, pour, qu’en cas d’incendie, la personne en danger puisse s’en couvrir le temps de sortir des lieux en flammes », ajoute-t-il.
Le chercheur a également indiqué que ces concepts ont déjà été brevetés par Keytex et sont en cours de réalisation pour être concrétisés dès le mois de janvier 2019.
Autre produit développé par la start-up de l’ouate fabriquée à base de déchets de l’industrie laitière, un procédé qui existe depuis un siècle mais qui a été remis au goût du jour et adapté au marché algérien, selon M. Chiali.
« Nous avons décidé de relancer ce procédé et, chimiquement, nous avons réussi à fabriquer de la ouate à partir de dérivés de lait. Cette ouate n’est pas anodine, elle est naturellement hypoallergénique, donc elle est parfaite pour les peaux sensibles et les bébés », explique, enthousiaste, le chercheur.
De l’eau purifiée par le kaolin du Djebel Debbagh
C’est dans un des stands les plus tristes et les moins fréquentés que l’une des innovations les plus brillantes a été trouvée : un dispositif de filtration d’eau avec un filtre tubulaire fait principalement en kaolin, minéral répandu en Algérie.
Abdelhamid Harabi, inventeur du filtre est professeur d’université et chercheur au laboratoire de céramiques de l’Université de Constantine 1 et c’est avec une grande fierté mais aussi une pointe d’amertume qu’il explique les détails concernant son filtre.
L’invention pourrait résoudre le problème épineux et universel du filtrage d’eaux polluées pour les rendre potables. « Nous savons qu’obtenir de l’eau pure et potable est très difficile mais avec ce filtre, nous y arrivons facilement et très rapidement », explique le professeur dont l’enthousiasme est retombé brusquement dès qu’il rappelle le manque d’intérêt porté par la société et les autorités à son invention. « Hed ma samaâ bina » (personne n’entend parler de nous), se plaint-il.
« Pour faire de la recherche, nous agissons comme des guerriers, nous avons besoin d’armes, et les nôtres sont les matières premières alors, nous avons choisi celles qui sont disponibles localement », affirme le professeur qui a choisi, pour développer son filtre, « le kaolin présent en fortes quantités au Djebel Debbagh à Sétif et le carbonate de calcium très répandu à El Khroub ».
Le filtre qui se présente sous forme de tube large de moins d’un centimètre a été conçu selon « les mêmes techniques utilisées aux États-Unis et en Grande Bretagne », détaille le chercheur qui insiste néanmoins sur les améliorations apportées à ces techniques, notamment celles qui diminuent leur coût en utilisant des matières premières moins coûteuses et largement disponibles en Algérie.
« La matière première utilisée chez eux est très chère, elle coûte 6000 dinars le kilogramme alors que celle que nous utilisons, le kaolin ne coûte que 20 dinars le kilogramme, elle est 300 fois moins chère », compare M. Harabi qui assure que « le filtre permet d’obtenir de l’eau potable rapidement même à partir des eaux les plus polluées ».
Chose qu’il a prouvée en actionnant sa machine qui a filtré une eau saumâtre et malodorante contenue dans un bidon d’eau minérale pour en faire une eau cristalline dont il a bu une bonne rasade.