Cela fait près de six mois que Djamel Ould Abbès s’égosille à en perdre le souffle, suppliant le président Bouteflika de ne pas quitter le navire. Des discours rébarbatifs, faits de louanges à n’en plus finir à l’égard du chef de l’État, mais paradoxalement loin d’être lassants. Le secrétaire général du FLN fait même le buzz à chacune de ses sorties grâce à ses piques et attaques qui n’épargnent presque personne.
Sans exagérer, il est l’un des hommes politiques les plus médiatisés et les plus attendus du pays. Stratégie de communication finement élaborée ou limites d’un homme venu à la politique tardivement, quoi qu’il en soit, Djamel Ould Abbès étonne et déroute les observateurs par son style et surtout par sa tendance à brouiller les pistes en prenant pour cible ceux qui sont censés être ses alliés.
Ahmed Ouyahia, Amara Benyounès, Amar Ghoul, personne parmi les autres soutiens traditionnels du président n’est épargné. Pendant de longs mois, le chef du RND sera le souffre-douleur préféré du patron du parti majoritaire, mais Ahmed Ouyahia adoptera une posture qui frise le mépris. Il ne répondra à aucune de ses attaques. Même lorsqu’il l’a accusé publiquement d’être malhonnête et de lorgner la place du chef de l’Etat, le Premier ministre s’est contenté d’une réplique laconique et très diplomatique : « La confiance du président du FLN (Bouteflika, ndlr) me suffit. » C’était en mai 2017.
La nomination d’Ouyahia au poste de Premier ministre, en août de la même année, ne changera rien à l’inimitié que lui voue Djamel Ould Abbès. En octobre, il le critiquera publiquement pour avoir déclaré qu’il croyait à l’innocence de l’ancien ministre de l’Energie Chakib Khelil. En janvier 2018, le chef du FLN passera aux actes en organisant une tripartite parallèle avec le patronat et l’UGTA sur le partenariat public-privé. Ces attaques répétées contre le chef de l’Exécutif avaient donné lieu à moult interprétations, certains y voyant même un signe que rien ne va plus au sommet de l’Etat, ou encore la preuve que l’option du cinquième mandat n’est pas définitivement tranchée.
Les mêmes supputations suivront l’attaque frontale de Ould Abbès contre une autre personnalité avec laquelle il partage le soutien au président. Amara Benyounès, président du Mouvement populaire algérien, fidèle parmi les fidèles de Bouteflika, se fait publiquement traiter d’aghyoul, mulet, pour avoir rechigné devant les velléités du FLN de s’imposer en locomotive et de reléguer les autres partis proches du pouvoir au rôle de seconds couteaux.
Même le très effacé Amar Ghoul, président de TAJ, n’échappera pas à la diatribe verbale de Djamel Ould Abbès pour avoir « osé » demander au président Bouteflika de répondre aux questions qui agitent la scène nationale. « Est ce que Amar Ghoul sait ce qui se passe dans la tête de Bouteflika ? Moi, en tant que SG du parti, je ne peux me permettre de demander au président de parler de tel ou tel sujet (…) Amar Ghoul va passer devant le FLN ? C’est mon ami et je l’aime bien, mais entre Amar Ghoul et le FLN, il y a une révolution, une Histoire », déclare sans ambages le patron du parti majoritaire.
Au président contesté de l’APN, Saïda Bouhadja, pourtant membre du FLN, il conseille de démissionner « pour préserver sa dignité ».
Même quand le chef du FLN n’a pas de griefs à reprocher à ses amis, les journalistes, de plus en plus nombreux à couvrir ses conférences, ont toujours quelque chose à se mettre sous la dent. Car le bonhomme a d’autres jeux préférés, comme s’inventer un passé révolutionnaire homérique ou un parcours académique de premier ordre.
Ainsi, il aurait été condamné à mort durant la guerre de Libération nationale et aurait eu comme camarade de classe à la faculté de médecine en Allemagne une certaine Angela Merkel dans les années 1950, c’est-à-dire quand l’actuelle chancelière allemande avait tout au plus 5 ans, relèvent les internautes. Il a beau devenir la risée du web, le patron du FLN ne rate aucune occasion pour éclipser tout le monde.
Un ancien ambassadeur d’un pays étranger se mêle de la santé du président et ironise sur la momification du régime algérien ? Ould Abbès est là pour le remettre à sa place, « au fond d’un puits », et lui rappeler ce qu’il est à ses yeux : « un petit barbouze et un petit mercenaire ». Bernard Bajolet, ancien ambassadeur de France en Algérie et dans plusieurs pays du Moyen-Orient, n’aurait jamais dû se défaire de son langage diplomatique le temps d’un entretien à un journal de son pays, car sur ce terrain-là, il semble qu’il y a bien plus fort que lui.
C’est le style Ould Abbès, cru, acéré et sans détours. Un style que l’on ne connaissait pas au FLN dont les secrétaires généraux successifs excellaient par-dessus tout dans la langue de bois, mis à part peut-être Amar Saâdani qui, durant les trois ans qu’il a passés à la tête du vieux parti (2013-2016), avait malmené bien du monde, dont le très puissant chef du DRS à l’époque, Mohamed Mediene.
Mais jamais Saâdani ne s’était attaqué à ses alliés, encore moins aux soutiens du président de la République. Son successeur, lui, dégaine à tout-va et, par de petits mots désobligeants, s’offre une visibilité médiatique inégalée. Qui a dit que Djamel Ould Abbès avait un pois chiche à la place du cerveau ?