Maurice Audin a été porté disparu depuis 1957. Officiellement, il s’était évadé de prison. Il a fallu attendre 61 ans et 3 mois pour que la France reconnaisse le crime d’État à l’égard de ce militant communiste anti-colonialiste.
« Le mensonge d’État qui durait 61 ans tombe. C’est une grande émotion pour Josette Audin et sa famille, pour le PCF qui a tant donné dans la lutte anticoloniale, pour les communistes et tous les militants anticolonialistes », a écrit, sur son compte Twitter, Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste français (PCF). Mais qui est donc Maurice Audin qui, ce jeudi 13 septembre 2018, fait la Une des médias et provoque l’ouverture des tiroirs de l’Histoire de la présence coloniale française en Algérie ?
En 1932, naissait Maurice Audin à Béja en Tunisie. Son père, Louis Audin était militaire en Tunisie puis en Algérie et sa mère Alphonsine Fort était fille d’une famille de paysans qui habitaient la Mitidja, au sud d’Alger. Au début, Louis Audin voulait que son fils fasse carrière au sein de l’armée en l’inscrivant à l’École de Hammam Righa dans les années 1940. En 1946, Maurice Audin entrait à l’École militaire préparatoire d’Autun (devenue Lycée de la Défense), en Bourgogne, à l’Est de la France.
Adhésion au PCA en 1953
Non convaincu par la carrière militaire, Maurice Audin revenait à Alger, vers 1948, pour des études en mathématiques, son premier amour.
Il entrait alors au lycée Felix Gautier (Omar Racim actuellement) à Alger-centre. Diplômé de l’université d’Alger, en juillet 1953, il assistait René de Possel-Deydier qui enseignait depuis 1941 au sein de cette université.
René de Possel-Deydier est célèbre dans les milieux scientifiques pour ses travaux sur la reconnaissance optique des caractères (traduire les images de textes imprimés en fichiers de texte sur un ordinateur). Encouragé par René de Poussel, Maurice Audin travaillait sur une thèse de doctorat qu’il allait consacrer aux équations linéaires.
Deux ans avant de se marier avec Josette Sempé (rencontrée à l’université), Maurice Audin adhérait à l’Union des étudiants communistes en 1951. En 1953, il devenait membre du Parti communiste algérien (PCA). Il comptait beaucoup d’amis au sein de l’UGEMA, l’Union générale des étudiants musulmans algériens.
George Hadjadj a cité Audin sous la torture
Partageant ses idées anticolonialistes, Josette aidait son époux dans son engagement en faveur de l’indépendance de l’Algérie. L’interdiction du PCA en septembre 1955 imposait une meilleure organisation pour s’adapter à l’action clandestine. Aidé par son beau-frère Christian Buono, Maurice Audin avait organisé le départ à l’étranger (vers la Tchécoslovaquie) de Larbi Bouhali, membre fondateur et secrétaire général du PCA.
À l’époque, Bouhali était recherché par les militaires français surtout après la dissolution du parti. Maurice et Josette Audin hébergeaient chez eux des militants anticolonialistes comme Paul Caballero, un ouvrier espagnol. Membre du PCA, le pneumologue Georges Hadjadj soignait parfois ces militants chez les Audin, à la rue Flaubert au Champ-de-Manœuvre (Place du 1 Mai actuellement) à Alger.
Arrêté début juin 1957, après un attentat à l’explosif contre le Casino de la corniche dont les sous-sols étaient un lieu de torture utilisés par les militaires français, Georges Hadjadj a cité le nom de Maurice Audin après trois jours de torture (les militaires auraient menacé de soumettre son épouse à la torture à sa place).
Le 11 juin 1957, vers 23h, Maurice Audin est arrêté par le capitaine Devis du 1er Régiment des chasseurs parachutistes (RCP), après l’instauration du couvre-feu, des biens d’algériens ayant été pris pour cible après l’attentat du Casino.
« Des interrogatoires un peu musclés »
« Votre mari reviendra dans une heure, s’il est raisonnable », a lancé l’officier à Josette Audin. Elle ne le reverra jamais. « Je me souviens d’une invasion dans l’appartement, tout s’est passé très vite. J’ai été enfermée dans une pièce et n’en suis sortie que pour dire au revoir à mon mari. Quand, plus tard, j’ai demandé des renseignements au bureau des militaires, on m’a répondu d’un ton patelin : « Il y a des interrogatoires un peu musclés, mais ne vous en faites pas » », a confié, plus tard, Josette Audin, à l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur (OBS).
Transféré vers un immeuble en construction à El Biar, siège du 1er RCP (appelé « Centre de triage »), le mathématicien devait subir des actes de torture menés par un certain lieutenant André Charbonnier. Henri Alleg, directeur d’Alger-Républicain, militant communiste arrêté le 12 juin 1957, fut la dernière personne à avoir aperçu Maurice Audin vivant.
« J’ai vu son visage blême, défait. Il m’a lâché, dans un souffle : « C’est dur, Henri ». J’ai compris qu’il avait été torturé. Voilà la dernière image que j’ai de lui », devait écrire Henri Alleg qui était parmi les premiers à dénoncer les maltraitances et la torture systématique des soldats du général Jacques Massu dans son livre « La Question », paru en 1958. L’historien Pierre Vidal Naquet a souligné dans son livre « L’affaire Audin », paru en mai 1958 à Paris, que les militaires français menés par le colonel Yves Godard ont annoncé à Josette Audin que son mari s’était évadé le 21 juin 1957, soit dix jours après son arrestation.
« Secret défense »
Un rapport notait que Maurice Audin aurait sauté d’une jeep conduite par Yves Cuomo accompagné du sergent Pierre Misiri, adjoint de l’officier de renseignements du RCP, lors d’un transfert. Yves Cuomo a avoué, des dizaines d’année après, que l’évasion était un simulacre ( Maurice Audin était déjà mort lors et n’a jamais été mis en voiture).
Michel Charbonnier, fils d’André Charbonnier, a reconnu à France 3, en 2001, que son père lui a avoué que Maurice Audin était mort « entre les mains des parachutistes ». En juillet 1957, Josette Audin déposait une plainte « contre X ». La justice française n’ouvrira jamais d’enquête prétextant « l’amnistie » décidée au début des années 1960 pour toutes « les infractions » commises à partir de 1954, début du déclenchement de la Guerre de libération nationale, et jusqu’au début juillet 1962, date de l’indépendance.
Début 2000, les historiens Mohamed Harbi et Benjamin Stora ont exigé la levée du « secret défense » sur tous les documents relatifs à la mort de Maurice Audin. Selon Pierre Vidal-Naquet, Maurice Audin aurait été étranglé par André Charbonnier, comme Larbi Ben M’hidi le fut par Paul Aussaresses (chef du service de renseignements) ou l’un de ses hommes.
Maurice Audin, qui est mort à 25 ans laissant trois enfants, aurait été enterré dans une fosse commune, quelque part à Alger (probablement au Fort Moulay Hassan), avec une centaine d’autres algériens, morts sous la torture ou victimes d’exécutions sommaires par les soldats des généraux Jacques Massu et Marcel Bigeard. Paul Aussaresses a reconnu l’exécution extrajudiciaire de 3000 Algériens, la plupart après des actes de torture massive.