Le phénomène de la harga ou l’émigration clandestine a fait un nouveau drame. Selon plusieurs sources, onze migrants algériens sont morts noyés lundi 16 mai, au large de Tipaza, après le naufrage de leur embarcation, lundi matin.
Ce énième drame jette à nouveau la lumière sur un fléau qui ne cesse de prendre de l’ampleur et dont les solutions tardent à venir. Le sociologue Rabeh Sebaa analyse les facteurs qui poussent ces candidats à l’émigration clandestine à risquer leur vie en mer à la recherche d’une vie meilleure.
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Toutes les catégories sociales sont touchées
Il estime d’emblée que le fléau n’est pas pris en charge comme il se doit. « On n’a jamais voulu prendre les taureaux par les cornes. En d’autres termes, essayer de trouver des solutions idoines (à la harga). Les règles juridiques (peines de prison, amendes), c’est de la poudre aux yeux », expose le Pr Sebaa qui cite le cas d’un jeune qui a entrepris pas moins de 17 tentatives d’émigrer clandestinement.
« Cela pour dire que les mesures de prison et de sanctions ne sont pas dissuasives », proclame le sociologue qui fait le constat que le phénomène de l’émigration clandestine touche toutes les catégories sociales.
« Ce n’est plus lié à une classe d’âge 17- 30 ans ou les jeunes chômeurs, etc. », fait-il remarquer. Il y a même un aspect nouveau dans ce phénomène de harga : à savoir qu’il est un moyen de contourner les refus de visa, fait observer le sociologue, qui cite le cas récent d’une chanteuse de rai bien connue sur la scène artistique partie à bord de ce qu’on appelle ironiquement le « sariî » (des embarcations très rapides).
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« Ce genre d’embarcations sont destinés à des gens relativement fortunés, le voyage coûte environ un million de dinars algériens. Avec une telle somme, on est pratiquement assuré d’arriver, avec plus de rapidité et des conditions de voyage confortables », relève Rabeh Sebaa.
La harga, « une autre forme d’exode »
Le sociologue analyse la harga comme « une autre forme d’exode ». Et, dit-il, dans tout exode se pose le problème de la fixation des populations. Comment les fixer ? « Cela diffère évidemment d’un type d’exode à un autre. Dans ce cas en l’occurrence, il s’agit tout simplement de donner aux gens les moyens pour une vie décente : un emploi, un logement, mais aussi un peu d’espoir », détaille le sociologue pour qui l’aspect matériel n’explique pas tout.
« Quand un jeune voit son avenir complètement bouché, c’est normal qu’il songe à partir. La harga ne devient pas qu’un problème d’ordre logistique et matériel. Il y a des gens bien nantis qui prennent le chemin de la harga. Même s’ils n’ont pas un emploi conventionnel, ils ont de quoi gagner aisément leur vie », note le Pr Sebaa. La réduction des quotas de visas par la France pour les Algériens a poussé certains dont des cadres à prendre le chemin de l’émigration clandestine, signale le sociologue. Cet aspect ne constitue pas la raison principale, mais le fait est que « les gens partent avec l’idée de rester », souligne-t-il.
Une solution est-elle possible ? « Bien sûr qu’il y en a mais est-ce que la volonté politique existe ? », se demande le sociologue qui plaide en faveur d’un « plan rationnel de fixation » des populations « qui sont dans un état de désemparement ».
Cela suppose un plan de prise en charge concret, conditionne le Pr Sebaa qui précise qu’il ne s’agit pas de lancer des promesses sans lendemain. « On forme ceux qui n’ont pas de formation, on offre un travail aux diplômés au chômage, etc. », résume-t-il. « On ne va pas réinventer la poudre : il y a eu des pays qui ont connu des exodes ruraux extrêmement massifs et qui sont parvenus à fixer leurs populations, que ce soit en Europe, en Afrique ou dans d’autres pays. S’ils y sont parvenus, cela veut dire qu’il y a moyen de le faire », conclut le Pr Rabeh Sebaa.