En rappelant Ramtane Lamamra, le pouvoir se cherchait une voix crédible dans cette conjoncture de crise. Nommé vice-Premier ministre lundi soir, le diplomate de carrière était ce mercredi l’invité du forum de la Chaine 3 de la radio nationale pour ce qui constitue sa deuxième sortie médiatique après l’interview accordée à la radio française RFI.
Demain jeudi, il sera de nouveau face à la presse en compagnie de son chef hiérarchique, le Premier ministre Noureddine Bedoui.
Devant un panel de journalistes du secteur public, Lamamra s’est donc efforcé de convaincre du bien-fondé de la démarche du président de la République, mais l’exercice s’est avéré difficile même pour l’expérimenté diplomate qu’il est.
Interpellé sur l’inconstitutionnalité de la décision de Bouteflika de rester en poste après l’expiration de son mandat, Lamamra ne nie pas qu’une telle situation n’est prévue par aucun texte, mais tente tout de même de la justifier. « Le message du président est un développement de portée historique. Il a répondu de manière pressante à la demande de larges franges de la population qui se sont exprimées pacifiquement à travers des marches populaires », juge Lamamra.
L’exemple de Liamine Zeroual
« L’Algérie assume pour elle-même, pour son voisinage et pour la communauté internationale des responsabilités concernant la sécurité nationale, le développement et la stabilité de la région. C’est au nom de la permanence de l’État, de la légitimité que le président tient du suffrage populaire, de la nécessité de prévenir tout risque de difficulté qui viendrait compliquer plutôt que compliquer cette phase de préparation et de conduite des réformes, que tout naturellement, le président Bouteflika a indiqué que toutes les institutions de la République continueront à fonctionner normalement, y compris l’institution présidentielle jusqu’à ce que le peuple algérien ait choisi librement son successeur », développe-t-il.
« Il ne faut pas concevoir le droit comme un obstacle », estime le vice-premier ministre qui fait le parallèle avec la décision du président Liamine Zeroual d’écouter son mandat en 1998, une procédure qui n’était pas prévue par la constitution de l’époque. La stabilité passe avant tout. « Si la patrie perd, personne ne gagne », lâche-t-il.
« La proposition du président peut être enrichie »
Invité à développer les aspects du processus à venir, Ramtane Lamamra s’est montré plus à l’aise, mais sans fixer d’échéance. Il a annoncé que la proposition du président, qui « n’est pas une feuille de route, mais un plan de travail », « pourra être enrichie ».
« Il y aura des consultations, mais le fait est que les sept éléments constitutifs de la proposition constituent un paquet, il est donc difficile pour l’équilibre de la démarche de prendre un élément au détriment des autres. (…) En tant que gouvernement on a le devoir de dialoguer. Il appartient aux uns et aux autres de formuler des propositions », dit-il.
La conférence nationale sera « inclusive » et décidera de tout, réitère Lamamra, mais il ne lève pas les appréhensions liées à l’absence d’échéances précises dans la proposition du président. Il n’exclut même pas l’éventualité de survenue de blocages qui feront que ses travaux aillent au-delà de 2019.
« La conférence doit s’efforcer de terminer ses travaux avant la fin 2019, mais elle pourrait terminer avant. Plus tôt elle se forme, mieux ce sera », a-t-il dit.
Il n’exclut pas non plus un refus de l’opposition d’accepter la nouvelle feuille de route, mais il se montre optimiste. « Le pire n’est jamais sûr, nous sommes optimistes, il faut faire la maximum pour ce grand contrat social que nous sommes en train de renouveler », dit-il.
« L’opposition est invitée à rejoindre le gouvernement »
Concernant la composante du nouveau gouvernement, le vice-premier ministre a émis le souhait que soient intégrés des ministres issus de l’opposition : « Il est souhaitable d’avoir des ministres de l’opposition et de la société civile dans le nouveau gouvernement. Il n’y a pas encore de tractations, mais des invites, des appels à manifestation d’intérêt. Si des éléments de l’opposition ou de la société civile veulent y participer, ils sont les bienvenus. On sait qu’il sera plus facile à l’opposition d’intégrer le gouvernement après avoir participé à la conférence. Maintenant il lui est peut-être difficile de le faire, mais elle y est cordialement invitée. Un certain nombre de ministres vont partir, mais ça ne veut pas dire qu’ils ont failli. Ce sera une rotation pour permettre à la société de voir de nouveau visages ».
Des changements substantiels seront apportés à la composante du gouvernement qui ne se contentera pas d’expédier les affaires courantes mais qui aura à « prendre des décisions importante » notamment dans le domaine économique, révèle Lamamra.
« Les erreurs des Syriens et des Libyens »
Vis-à-vis de la contestation populaire, il a tenu des propos rassurants qui tranchent nettement avec le Premier ministre sortant Ahmed Ouyahia. « Les manifestants sont parfaitement respectables, nous sommes admiratifs devant cette capacité d’organisation et cette maitrise extraordinaire. Par le passé, ça n’a pas pu se faire de cette manière. La principale réalisation de Bouteflika, c’est cette jeunesse, c’est un capital précieux pour la nation algérienne », dit-il, avant d’assurer que le scénario syrien ne se rééditera pas en Algérie.
« Il faut être responsables mais il ne faut pas s’inquiéter. Nous sommes l’Algérie, nous avons notre histoire, notre peuple. La Syrie et la Libye ont fait des erreurs que nous ne faisons pas, que nous ne ferons pas ».
« Je ne suis pas vice-président »
A retenir aussi cette précision que Lamamra a tenu à faire : « Je ne suis pas vice-président de la République, un poste qui ne peut exister que par la constitution, mais vice-premier ministre ».
Ou encore cette révélation : « Toutes les institutions de la république continueront à fonctionner, y compris les deux chambres du parlement », ce qui met fin aux rumeurs annonçant la dissolution de l’APN et du Conseil de la nation.
Et enfin cette mise au point : « Si j’ai donné la première interview à RFI, c’est parce que le média par excellence qui permet de communiquer avec l’Afrique, qui est notre profondeur naturelle et stratégique et qu’il fallait rassurer. »