Encore un rapport du FMI, encore des perspectives sombres pour l’économie algérienne. Cela n’a certes rien de nouveau puisque ce n’est pas la première fois que l’institution de Bretton Woods affiche son désaccord avec la démarche économique des autorités algériennes, mais le rapport dressé cette semaine par ses experts sonne comme une sérieuse mise en garde.
Un avertissement qu’il serait hasardeux d’ignorer comme cela fut le cas avec les précédents. Les conséquences d’une fuite en avant risquent cette fois d’être dramatiques car le gouvernement n’aura plus dans peu de temps autant de cartes sous la manche qu’il n’en avait il y a quelques années : les cours du pétrole sont volatiles, les réserves de change fondent comme neige au soleil et la planche à billets a déjà atteint ses limites.
Étant du domaine public ou émanant des institutions algériennes, les chiffres qui ont servi de base à l’analyse du FMI sont incontestables. Le prix du baril a certes repris des couleurs ces derniers mois mais il demeure loin du record absolu de 143 dollars atteint en 2008. Non seulement la moyenne actuelle de 75 dollars le baril est très en-deçà du seuil nécessaire pour garantir l’équilibre budgétaire, mais aussi rien ne garantit son maintien dans les prochains mois. Autrement dit, une autre chute brutale des cours n’est pas à écarter, les prix étant déterminés par les performances des grandes économies mondiales, la rentabilité du schiste et des facteurs géopolitiques sur lesquels l’Algérie n’a aucune emprise.
Corollairement, les réserves de change sont déjà passées de près de 200 à moins de 100 milliards de dollars en cinq ans. 94,2 milliards précisément, selon le dernier bulletin sur la situation financière et monétaire de la Banque d’Algérie, publié cette semaine. 2,8 milliards en trois mois, l’érosion est régulière et nul n’est en mesure de la contester.
Dans le même bulletin, la BA révélait les montants astronomiques prêtés au Trésor (5723,1 milliards de dinars à fin mars 2018), conséquence directe du recours à la planche à billets.
Certes, la poussée inflationniste redoutée n’a pas (encore) eu lieu et même la croissance devrait connaitre un net rebond cette année à 3%, contre 1,6% en 2017, mais des jours plus sombres attendent l’économie algérienne. Pas dans très longtemps, prévoient les analystes du FMI. A partir de 2020, le matelas des réserves de change ne sera plus aussi sécurisant qu’il l’était. En 2023, il permettra à peine de garantir trois mois d’importations.
Représentant déjà 23% du PIB, le financement non conventionnel aura aussi atteint ses limites à partir de 2020 avec des taux d’inflation record. Le FMI est formel : les politiques actuelles affaiblissent la résilience de l’économie au lieu de la renforcer.
Comme dans ses précédents rapports, il accompagne ses constats de solutions envisageables, efficaces et moins douloureuses, comme l’endettement interne, le partenariat public-privé ou la cessions d’actifs détenus par l’État.
Ce n’est pas la première fois que le FMI prodigue de tels conseils, hélas ignorés par les autorités algériennes. Pour ne citer qu’un exemple, la signature de la charte sur le partenariat public-privé fin 2017 était suivie d’une large levée de boucliers et de l’enterrement du projet.
La cession d’actifs n’est pas non plus dans l’agenda et les entreprises publiques, très peu performantes, continuent de constituer un tonneau des danaïdes pour la bourse publique. Là encore ce sont les chiffres de la Banque d’Algérie et non ceux du FMI qui le confirment : au premier trimestre 2018, 48% des crédits à l’économie ont été phagocytés par le secteur public, le reste étant partagé entre les entreprises privées et les ménages.
Pour résumer et faire plus simple, les gouvernements qui se sont succédé à la gestion des affaires du pays depuis le début des années 2000 ont toujours fait l’exact contraire des recommandations des institutions financières internationales. Pourtant, les précédents rapports, que ce soit du FMI ou de la Banque mondiale, sont là et il suffit de les consulter pour se rendre compte qu’ils se sont rarement trompés.
Sans doute que cette fuite en avant a pour explication le souci de ne pas contrarier le front social, sur fond d’un raisonnement tout simple : le pire qui puisse nous arriver est d’être contraints de suivre ces recommandations et de recourir le cas échéant à l’endettement extérieur, tout en croisant les doigts pour une embellie forte et durable des prix des hydrocarbures.
Dans le contexte de l’aisance financière des années 2008-2014, le pays avait déjà raté l’occasion d’engager des réformes structurelles salvatrices, sans contrainte extérieure et sans retombées sur le plan social. Les marges de manœuvre dont dispose encore le gouvernement, soit le montant relativement confortable des réserves de change et les niveaux pas tout à fait bas des cours du pétrole, se présentent donc comme une dernière chance pour aller vers une réforme de l’économie moins douloureuse et surtout moins risquée.
Le faire sous la dictée du FMI lorsque les sombres prévisions de ce dernier se seraient réalisées, c’est-à-dire dans une conjoncture marquée par un fort taux de chômage, une inflation élevée et des caisses vides, ce serait prendre le risque d’aller droit vers un chaos généralisé.