Novembre dernier, à Belassel (Relizane), Bouabdallah Houmari est satisfait de l’arrivée de la pluie. Il peut enfin semer du blé. Sur la parcelle de cet agriculteur, un tracteur retourne le sol, aussitôt suivi de plusieurs ouvriers qui sèment manuellement le blé à la volée.
En Algérie, les techniques rudimentaires persistent et les importations comblent le manque à gagner.
Les chiffres de la dernière campagne sont décevants, seulement 13 millions de quintaux de blé contre 39 millions de quintaux auparavant. Les meilleures années, la production de céréales de l’Algérie atteint 60 millions de quintaux ; selon les experts, le potentiel local est de 100 millions de quintaux.
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Au ministère de l’Agriculture et du Développement rural, ces piètres performances sont attribuées au seul manque de pluie. Or, l’Algérie n’est pas l’unique pays à souffrir de ce handicap naturel. Un pays au climat semi-aride comme l’Australie arrive à de meilleurs résultats.
Céréales, faiblesse des marges bénéficiaires
L’agriculteur algérien n’est pas moins capable d’innovations que ses homologues étrangers. Les résultats obtenus au niveau de la culture de pastèque irriguée au goutte à goutte ou de la tomate primeur l’attestent. Pour ces cultures, l’innovation mise en œuvre est impressionnante et les marges bénéficiaires suivent.
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En mai 2016, un investisseur de M’Zirâa (Biskra) révélait au mensuel Le Monde Diplomatique avoir dégagé un bénéfice net de 600 millions de DA, ajoutant : “En une saison, j’ai quasiment remboursé mon investissement.” Un autre ajoutait : “On peut y gagner vraiment beaucoup d’argent. L’Etat propose des aides, et en plus il ne réclame aucun impôt.”
Pour les services agricoles le challenge est donc de susciter le même engouement pour les céréales. Dans ce but sont utilisés prêts à taux réduit, semences certifiées, engrais et matériel agricole subventionné.
Manifestement cela ne suffit pas. Les céréaliers se plaignent du prix élevé des engrais et du manque de disponibilité des semences d’orge, d’avoine et de blé.
Dans les bonnes terres à blé de la région de Constantine, un agriculteur fait remarquer qu’il lui faut produire un rendement minimum de 20 quintaux par hectare pour commencer à dégager des bénéfices.
Tout miser sur l’irrigation?
Les services agricoles misent tout sur l’irrigation. Ainsi, en 2020, face au retard des pluies automnales sur 3,5 millions d’hectares, le directeur de l’Institut National des Sols de l’irrigation et du Drainage (Insid) suggérait tout simplement aux agriculteurs d’avoir recours à l’irrigation. Mais irriguer ne s’improvise pas.
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Le grand sud est vu comme un nouvel eldorado céréalier. D’immenses pivots irriguent en continu les cultures. Bénéficiant de subventions sur le matériel d’irrigation et de tarifs préférentiels pour leurs factures d’électricité, de gros investisseurs y déploient des moyens considérables.
A Timimoune, sous pivot, une partie des semis se font avec un semoir géant à distribution pneumatique. L’engin équivaut à 4 semoirs ordinaires et ne se rencontre habituellement que dans les grandes plaines céréalières du Canada ou d’Australie.
Cette débauche de moyens nécessite cependant un savoir-faire face à l’aridité du climat, faute de quoi les rendements plafonnent à 40 quintaux par hectare contre le double attendu. Les sols sableux ne retiennent ni l’eau ni les engrais dont les doses doivent être doublées.
Un encadrement insuffisant
Avec l’arrivée des pluies de novembre, à Belassel, Bouabdallah Houmari confie à Ennahar TV que tous ses voisins se sont mis à semer : “celui qui avait prévu de semer un hectare en sème quatre.”
Mais les pluies tant attendues ont continué à tomber en décembre et les semis ont pris un retard considérable. Un technicien témoigne : “les blés semés en novembre sont bien installés, mais ceux de décembre sont chétifs et auront du mal à supporter l’actuelle période de froid”.
Des semis en sec auraient permis de pallier à cette incertitude des pluies. Sur les blés de novembre, le désherbage permettrait de réduire les mauvaises herbes qui ont levé avec les pluies. Mais le retard technique est tel que les services agricoles en sont encore à devoir justifier aux agriculteurs de l’intérêt du désherbage. Seuls 25% des surfaces sont désherbées. C’est à dire les réserves de productivité existantes.
A Belassel, l’agriculteur ajoute : “il pleut, on est confiant. On sème en s’en remettant à Dieu”. En Algérie, sur les 8 millions d’hectares de terres à blé, seule la moitié est travaillée. Le reste est laissé en jachère et sert au pâturage pour les moutons. Ils rapportent plus que le blé.
Certes, d’autres agriculteurs ont un bon niveau technique et adoptent un itinéraire cultural intensif. Ils sont souvent suivis par des techniciens de firmes de produits phytosanitaires ou de l’Institut des Grandes Cultures (ITGC). Au sud sous pivot, avec force de produits chimiques, la société Profert propose un itinéraire technique clé en main aux nouveaux venus dans le métier. A Constantine, la société Axium développe la culture de lentilles en alternance avec le blé et prodigue un suivi de qualité aux agriculteurs sous contrat.
Si à Guelma, les semis de lentilles progressent, à Mila en décembre dernier ils étaient au point mort. Les agriculteurs ne trouvaient plus de semences. Pour la CCLS locale, la faute incombait aux agriculteurs n’ayant pas fait part de leur intention de semis.
Différentes approches s’affrontent donc : dynamisme commercial contre conformisme administratif. L’équation est d’arriver à semer plus de céréales dans un laps de temps limité tout en intensifiant le mode de culture. Le système actuel des Coopératives de Céréales et de Légumes Secs suffira-t-il à assurer seul ce challenge ?