Politique

Récupération de l’argent détourné : un casse-tête pour le gouvernement

Une petite ligne glissée dans le plan d’action du gouvernement d’Aïmene Benabderrahmane a fait l’effet d’une bombe en Algérie.

Dans le chapitre lié à la lutte et la prévention contre la corruption, il est prévu, entre autres actions à mener dans ce cadre, « l’adoption d’un mode de règlement à l’amiable garantissant la récupération des biens détournés ». L’effet est instantané et un débat s’est aussitôt enclenché dans la presse et sur les réseaux sociaux.

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C’est que la première interprétation qui en est faite est que le gouvernement songe à négocier avec les oligarques du temps de Bouteflika, condamnés à de lourdes peines de prison pour avoir détourné des sommes colossales en marchés publics illégaux et surfacturés. Est-ce réellement l’intention des pouvoirs publics ? L’énoncé de la proposition est trop ambigu, donnant lieu à moult interprétations.

Adopter un nouveau mode pour le règlement de ce type de situation se fera nécessairement par l’élaboration de nouveaux outils juridiques, donc des textes de loi. Si les nouvelles dispositions concernent les futurs détournements, l’idée ne passe pas. C’est une manière de garantir une impunité préalable pour ce genre d’actes. On détourne l’argent public et le pire qu’on puisse risquer c’est de le restituer.

Pour les actes antérieurs, il n’est pas facile juridiquement de leur appliquer de nouvelles dispositions d’une manière rétroactive. A moins que l’intention des pouvoirs publics est justement de mettre en place un cadre juridique explicitement destiné à traiter le sort des hommes d’affaires emprisonnés depuis le printemps 2019.

Autrement dit, négocier avec eux et parvenir à un deal où tout le monde trouvera son compte : argent contre remise de peine. Voilà en gros sur quoi tourne le débat depuis la présentation du plan d’action du gouvernement à l’APN.

Jusqu’à ce que le Premier ministre apporte une mise au point de nature à mettre fin aux spéculations. Dans sa réponse ce jeudi 16 septembre aux remarques des députés, Aïmene Benabderrahmane a exclu les hommes d’affaires emprisonnés de la mesure envisagée.

L’arrangement à l’amiable ne concernera que les personnes morales, donc les sociétés impliquées dans des malversations, particulièrement celles de droit étranger, les entités nationales n’ayant aucune possibilité de ne pas obtempérer à toute décision que prendraient les autorités. Ce qui constitue une discrimination entre les sociétés algériennes et étrangères.

Les exemples tunisien et saoudien

A défaut de clore le débat, la précision du Premier ministre, au contraire le relance. Car l’action envisagée ne concerne qu’une partie des sommes transférées à l’étranger.

Que compte faire le gouvernement pour mettre la main sur les fonds colossaux (on parle de milliards de dollars) que les « personnes physiques », exclues d’une éventuelle solution à « l’amiable », ont pu faire sortir du territoire national, sachant la complexité des procédures ?

L’idée d’un arrangement n’est pas tout à fait nouvelle. Abdelaziz Belaïd, chef de parti politique et candidat à la présidentielle de décembre 2019, en a fait la proposition publiquement en avril dernier.

La déclaration, pourtant réitérée au moins deux fois, n’a pas suscité un large débat à cause peut-être de la qualité de son auteur. Abdelaziz Belaïd n’est pas un officiel. D’autres voix moins porteuses ont régulièrement émis l’idée, avançant deux arguments : la situation économique difficile de l’Algérie et les difficultés pratiques de récupérer les fonds détournés, en grande partie transférés à l’étranger.

Si l’Algérie opte un jour pour l’arrangement à l’amiable, elle ne serait pas la première à le faire. Pour ne citer que les exemples les plus récents et proches de nous, la Tunisie a adopté la loi sur « la réconciliation économique » après la révolution de 2011, privilégiant la récupération des biens détournés sous le président Benali plutôt que la punition des coupables.

Sans constituer un exemple à suivre, le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salmane a rendu leur liberté à 200 hommes d’affaires princes et ministres retenus pendant deux mois fin 2017 dans un hôtel de luxe en contrepartie de la restitution de sommes qu’il les accusait d’avoir détournées. Cette opération à la hussarde avait choqué le monde, mais elle avait permis de récupérer 88 milliards de dollars.

En somme, la remise de peine contre la repentance et la collaboration est une pratique courante de la justice dans plusieurs pays.

Cette question de récupération des biens indûment acquis et qui ont quitté le territoire national constitue un véritable casse-tête pour le gouvernement, pris entre la pression de l’opinion publique et la complexité des procédures.

Lors de la campagne électorale pour la présidentielle de 2019, le futur président Abdelmadjid Tebboune était interrogé sur la question. Sa réponse était qu’il avait son plan pour le rapatrier. Mais en près de deux ans d’exercice, le chef de l’Etat n’a pas pu faire avancer le dossier sensiblement.

Le dur choix entre la justice et l’intérêt du pays 

Relancé en avril dernier lors d’une entrevue télévisée avec les représentants de la presse nationale, le président de la République a évoqué l’attente des « jugements définitifs » et le fait que « des sociétés européennes sont impliquées et les fonds qui ont été détournés ont été investis en Europe et non en Algérie ».

Néanmoins, il a assuré que « les premiers contacts avec ces pays nous ont permis de percevoir une disposition à nous aider dans cette démarche », annonçant même de prochaines « bonnes nouvelles ».

Selon le chef de l’Etat, l’ambassadeur d’Algérie à Paris avait déjà réussi à récupérer « 44 biens immobiliers de l’Algérie, dont des appartements et des châteaux ».

C’est l’unique chiffre officiel communiqué à propos des biens détenus à l’étranger par les oligarques déchus. Même l’évaluation des montants transférés n’est pas facile à effectuer, les transferts ne se faisant pas par les voies légales.

En revanche, les autorités algériennes ont pu récupérer beaucoup de biens indûment acquis et restés en Algérie. En mai dernier, et c’était peut-être la bonne nouvelle dont parlait le président un mois plus tôt, le ministère de la Justice rendait public le bilan des saisies effectuées en Algérie : 52 milliards de dinars, 213 millions de dollars et près de 2 millions d’euros, en plus de milliers de véhicules, des bateaux, des terrains, des biens immobiliers…

Or, les autorités algériennes ne sont pas sans savoir que le gros des détournements a été converti en monnaies étrangères et en investissements en Europe, aux Amériques et dans le Golfe, et c’est de devises qu’elles ont précisément besoin dans cette conjoncture difficile.

La récupération de quelques milliards de dollars (au bas mot) et le redémarrage des entreprises des oligarques emprisonnés valent-ils la contrepartie d’accorder des remises de peine ou même la libération à des personnages publics déclarés par la justice  coupables d’actes très graves ? Le gouvernement a jugé que non.

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