Les convocations devant la justice, les mises sous mandat de dépôt et les enquêtes pour corruption, infractions à la législation concernant les transferts de fonds se multiplient, touchant de plus en plus d’oligarques, élus et hauts responsables de l’État, dont certains sont encore en exercice.
Ces poursuites sont menées alors que le chef de l’État-major Ahmed Gaid Salah promet de « récupérer l’argent du peuple », ce que demandent également les manifestants. Or, une telle tâche n’est pas si aisée qu’il n’y paraît.
Il existe dans l’histoire, même récente, et dans des pays voisins, des exemples où, après d’importants chamboulements politiques, les nouvelles autorités ont engagé des processus en vue de récupérer l’argent volé par d’anciens dictateurs et leurs proches, ainsi que par des hommes d’affaires véreux. Mais pour nombre de ces pays, l’argent volé et caché à l’étranger, souvent dans des paradis fiscaux, n’a pas été récupéré ou alors en partie seulement et au bout de procédures longues et complexes.
L’échec tunisien
Après la fuite du dictateur tunisien Zine El Abidine Ben Ali en 2011, la Troïka qui a assuré la transition entre 2011 et 2014 a désigné un avocat, Salim Ben Hamidane, à la tête du ministère des domaines de l’État et des affaires foncières, département chargé de la récupération de l’argent volé et des biens mal acquis sous Ben Ali.
Des procédures ont été engagées pour récupérer les fonds dissimulés à l’étranger par l’ancien président et sa famille, notamment la famille Trabelsi. En avril 2013, soit deux ans plus tard, le président de l’époque, Moncef Marzouki, recevra un chèque de plus de 28 millions de dollars saisis sur un compte au Liban de Leila Trabelsi, l’épouse du président déchu. Cette première restitution ne sera pas suivie d’autres, du moins, pas de sommes aussi « importantes ».
Les fonds détournés par l’ancien président tunisien et son entourage se chiffrent, selon diverses sources, à plusieurs centaines de millions de dollars. Rien que dans les banques suisses, 60 millions de francs suisses ont été identifiés comme étant de l’argent public tunisien détourné avant 2011. Sur cette somme gelée dans les banques helvétiques, seuls 4 millions de francs ont été restitués à la Tunisie jusqu’à fin février 2019.
Le blocage se situe des deux côtés, à en croire l’avocat Ben Hamidane. « S’il y avait eu une réelle volonté de récupérer les biens mal acquis de Ben Ali, en un à deux ans, c’était plié. La lenteur administrative et les manœuvres dilatoires sont patentes dans ce dossier », a-t-il déclaré fin février au journal suisse Le Courrier. Le porte-parole du département fédéral des affaires étrangères suisse a, quant à lui, justifié ce retard par « l’absence de décisions de justice établissant l’origine illicite des fonds pour que la Suisse puisse procéder à des restitutions d’avoirs ».
Même constat pour les fonds dissimulés dans des pays européens, dans des émirats du Golfe ou au Canada. Les enquêtes pour localiser les fonds détournés, les identifier et prouver leur origine frauduleuse sont longues et complexes. Plusieurs de ces procédures ont été entamées dans ces pays mais jusqu’à ce jour, aucun fonds n’a été restitué par eux à la Tunisie.