Après une semaine abracadabrantesque, la compagnie aérienne française doit, selon des proches du dossier, se déclarer ce lundi en cessation de paiement et être placée dans la foulée en redressement judiciaire assorti d’une période d’observation pour permettre le maintien de l’activité et la formalisation des offres de reprise.
Lundi noir pour Aigle Azur et ses 1.150 salariés. Après une semaine complètement folle marquée par le putsch lundi 26 août de Gérard Houa, l’un des trois actionnaires de la compagnie avec 19% du capital, qui prit possession du siège de la compagnie pour s’autoproclamer Président et écarter le PDG Frantz Yvelin puis, deux jours plus tard, mercredi 28 août, son évacuation des lieux en présence des forces de police à la suite de la désignation d’un administrateur provisoire pour diriger la compagnie, Aigle Azur va déposer le bilan.
L’administratrice provisoire, Maître Bourbouloux, a convoqué ce lundi le comité d’entreprise pour une réunion extraordinaire dont l’ordre du jour communiqué par le SNPNC, un syndicat représentant les hôtesses et stewards, est sans équivoque : « Information-consultation sur l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ». Le SNPNC a appelé tous les salariés à venir ce lundi au siège d’Aigle Azur.
Cessation de paiements
Selon plusieurs proches du dossier, Aigle Azur doit se déclarer en cessation de paiements ce lundi avec, dans la foulée, son placement en redressement judiciaire et la nomination de deux administrateurs judiciaires. Le juge va accorder une période d’observation (de un mois et demi à deux mois selon certaines sources) pour permettre le maintien de l’activité et la reprise de tout ou partie de la compagnie par d’éventuels repreneurs.
Le redressement judiciaire met la compagnie à l’abri de ses créanciers, au premier rang desquels l’Etat qui va faire une croix sur plus de 30 millions d’euros de cotisations diverses non payées. La dette totale s’élevait il y a quelques semaines à 40 millions d’euros.
Le niveau de trésorerie est capital pour aboutir à une reprise de la compagnie. Pour ne pas l’entamer, les salaires du mois d’août n’ont pas été payés. Ils seront pris en charge en fin de semaine par les AGS (le régime de garantie des salaires) qui intervient dans les procédures collectives. Mi-août, Frantz Yvelin avait assuré qu’il restait 25 millions d’euros dans les caisses. Selon certaines sources, Frantz Yvelin quitterait Aigle Azur dans la semaine.
Des positions stratégiques à Orly
Et maintenant? Aigle Azur ne va pas manquer d’offres. Outre ses fortes positions sur l’axe franco-algérien, la compagnie possède surtout 10.000 créneaux horaires de décollage et d’atterrissage à Orly. L’aéroport du sud parisien étant plafonné à 250.000 mouvements annuels, de tels créneaux sont très précieux en raison de leur rareté. D’ailleurs, pour sauver la compagnie à court terme, Frantz Yvelin avait conclu un accord avec la compagnie à bas coût espagnole Vueling pour lui vendre pour une vingtaine de millions d’euros ses vols vers le Portugal, une activité représentant 35% de son portefeuille de créneaux. Ce faisant, Frantz Yvelin prévoyait le transfert d’une partie de l’activité d’Orly vers Roissy-Charles de Gaulle. Une mesure refusée par les syndicats et Richard Houa qui ont dénoncé un démantèlement de l’entreprise.
Plusieurs candidats à la reprise
Gérard Houa est sur les rangs. Jeudi soir, il a exposé son plan au Ciri, le comité interministériel de restructuration industrielle. Ce dimanche, il a encore confirmé sa candidature dans une interview au Journal du Dimanche. Dans un courrier aux salariés diffusé la semaine dernière, il assurait avoir réuni 15 millions d’euros, comme il l’avait dit depuis plusieurs mois aux deux autres actionnaires, le groupe chinois HNA (49% du capital) et l’homme d’affaires américano-brésilien David Neeleman (32%). Selon plusieurs sources, les besoins d’Aigle Azur sont bien plus élevés : autour de 20 à 25 millions d’euros “pour uniquement faire tourner l’entreprise”.
Comme indiqué dans nos colonnes vendredi dernier, Lionel Guérin et Philippe Micouleau, respectivement ancien directeur général délégué d’Air France et PDG de HOP, travaillent sur un projet de reprise d’Aigle Azur. Ils présenteront leur dossier au CIRI ce lundi. Ces deux personnalités du transport aérien français sont en discussion avec des fonds d’investissement spécialisés dans les retournements d’entreprise bien connus du Ciri.
Sur le papier, Aigle Azur peut susciter l’intérêt de tous ceux qui veulent se développer ou se protéger à Orly. Ils sont nombreux. Parmi les plus importants d’entre eux figurent le groupe IAG (Vueling, British Airways, Level, Iberia, Aer Lingus), Easyjet, le groupe Dubreuil, propriétaire d’Air Caraïbes et de French Bee, toutes les deux en croissance, voire Ryanair qui a plusieurs fois étudié dans le passé la possibilité de s’installer à Orly avant d’y renoncer faute de créneaux disponibles.
Air France suit de près le dossier
En embuscade, Air France suit de près le dossier. Plusieurs sources indiquent que la compagnie a été sondée récemment par les autorités françaises. Pour autant, la direction n’est pas très chaude à se lancer dans un tel dossier en raison des difficultés d’intégration des pilotes d’Aigle Azur dans l’échelle de carrière des pilotes d’Air France, alors même que l’intégration des pilotes de Transavia (et de HOP) provoquent des remous sociaux au sein du groupe. Les pilotes de Transavia entament en effet ce lundi une grève de six semaines.
“On ne veut pas aller à Air France en tant que copilote A320”, prévient déjà un commandant de bord d’Aigle Azur.
La problématique est un peu la même pour tous les candidats éventuels. Or, pour avoir les créneaux, il faut reprendre l’activité et les moyens de production qui y sont attachée. Et aussi importants soient ces créneaux, ils ne représentent que l’équivalent de 13 à 14 vols par jour.
Pour le gouvernement, Aigle Azur sera donc le premier dossier industriel très chaud de la rentrée.