Le président de la République a de nouveau exclu le recours à l’endettement extérieur et à la planche à billets pour faire face aux retombées de la chute des prix du pétrole.
« Nous n’irons ni au Fonds monétaire international ni à la Banque mondiale car l’endettement porte atteinte la souveraineté nationale, une expérience que nous avons vécu au début des années 1990 (…) Lorsqu’on emprunte auprès de banques étrangères, on ne peut parler ni de la Palestine ni du Sahara Occidental », a déclaré Abdelmadjid Tebboune lors de l’interview accordée à des médias nationaux, diffusée vendredi sur l’ENTV.
« L’endettement extérieur demeure une possibilité pour les projets économiques à haute rentabilité, comme la construction d’un port commercial », concède-t-il.
Si on opte pour la planche à billets, « qui va payer cette dette au final ? », s’est interrogé le chef de l’État, expliquant qu’une telle démarche « entrainera une hausse du taux d’inflation alors que le revenu restera stable ».
En lieu et place, Tebboune suggère l’emprunt interne, « auprès des citoyens ». Il s’agit, a-t-il expliqué, de récupérer les fonds qui circulent dans la sphère informelle.
Pour le Président, reprenant les différentes estimations, il y aurait entre 6 000 et 10 000 milliards Da qui circulent en dehors des banques. Il a assuré que des garanties et des facilitations seront accordées aux propriétaires de fonds pour contribuer à l’économie nationale. Le Président n’a pas précisé la nature de ces garanties, ou la forme de cet emprunt auprès des Algériens.
L’intégration de l’informel dans l’économie peut en effet constituer la solution qui bouchera un énorme trou dans les finances publiques. En théorie du moins, c’est une option meilleure que la planche à billets qui a été testée sans succès.
Même sans la crise actuelle et la chute des prix de pétrole, la régularisation de l’informel est vitale pour l’économie nationale, confrontée à la baisse drastique des recettes pétrolières.
Ce chantier colossal a été annoncé comme une priorité par plusieurs des gouvernements qui se sont succédé aux affaires ces dernières années, mais il n’a jamais été entamé, si l’on excepte quelques actions sans suite.
Comme la décision prise en 2015 –au lendemain d’une autre chute des prix des hydrocarbures- de lancer « l’opération de mise en conformité fiscale volontaire », qui consistait à permettre aux gros bonnets de l’informel de déposer leurs fonds en banque sans avoir à justifier leur origine, moyennant une petite taxe de 7%. Une sorte d’amnistie fiscale partielle.
Pour des raisons qui restent à expliquer, l’opération n’avait pas connu le succès escompté, permettant la bancarisation d’à peine quelques milliards de dinars. Cinq ans après, on parle de 10 000 milliards de Da toujours dans la nature.
Les précédentes tentatives d’imposer la généralisation du chèque avaient toutes aussi échoué, sous la pression des barons de l’informel, devenus puissants et influents.
Une partie de ceux qui rechignent à placer leur argent en banque le font pour des considérations religieuses, les intérêts appliqués par les banques sont considérés comme de l’usure, illicite en Islam. Un aspect qui semble avoir été pris en compte, puisque le président a annoncé simultanément des facilités pour le développement de la finance islamique.
« Si quelqu’un demande l’ouverture d’une banque islamique sans intérêts, la porte est ouverte et la Banque centrale est prête à accorder l’agrément », a-t-il dit. Le scrupule religieux n’explique néanmoins pas tout. Beaucoup préfèrent le confort de l’informel à cause notamment du système fiscal en vigueur, considéré comme très contraignant.
Une étude réalisée en 2017 par un cabinet spécialisé (PwC) en partenariat avec la Banque mondiale avait conclu qu’en Algérie, entre taxes, impôts et charges sociales, l’entreprise était taxée à 65,6%, pour une moyenne de 46,6% à l’échelle mondiale, de 60% en Tunisie, 49% au Maroc et 32% en Libye.
Des décisions sont en outre régulièrement prises pour exclure de la liste des charges déductibles au plan fiscal de certaines dépenses, comme les bons de carburant, l’entretien du parc automobile, accentuant ainsi la charge fiscale sur les opérateurs qui déclarent leurs revenus et paiement leurs impôts, ce qui profite à l’économie informelle et ses barons qui s’enrichissent au détriment de la collectivité.
Une réforme profonde du système fiscal actuel est donc plus que nécessaire pour réussir même en partie l’opération de conversion des activités informelles vers la sphère légale.
Dans son intervention vendredi, le président de la République a insinué qu’il faut changer les choses, expliquant que la meilleure façon d’augmenter les recettes de l’État c’est de réduire le taux d’imposition et d’élargir l’assiette fiscale. Des mesures qui devraient figurer dans la future Loi de finances complémentaires 2020, dont l’avant-projet de loi sera adopté ce dimanche en Conseil des ministres.
Le système fiscal est contraignant certes, mais il n’explique pas à lui seul l’ampleur prise par l’économie parallèle dans le pays. L’informel est le réceptacle de toutes les activités liées au blanchiment d’argent et un outil puissant pour propager la corruption devenue endémique, influer sur les décisions politiques pour échapper au fisc. Sa régularisation est un chantier colossal, et le chemin est semé d’embuches.