L’Algérie a rejeté, mercredi 10 octobre, « globalement et dans le détail » les déclarations de Felipe Gonzalez Morales, rapporteur spécial du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU sur les droits des migrants, fait cette semaine au Niger.
Pour Alger, Felipe Gonzalez Morales a « outrepassé les limites de son mandat » et a pris « pour vérités, les allégations des personnes reconduites à la frontière pour séjour illégal ».
Après une mission au Niger, entre le 1 et le 8 octobre 2018, le responsable onusien a établi un rapport dans lequel il a appelé l’Algérie à « cesser immédiatement les expulsions » de migrants africains vers le Niger. « Les migrants sont raflés à leurs domiciles en pleine nuit, sans même avoir le temps de s’habiller, de prendre leurs affaires et leurs économies. Ils sont emmenés dans des postes de police, battus, puis déportés par bus vers la frontière du Niger où ils doivent marcher pour rejoindre la ville la plus proche », est-il écrit dans le rapport.
Felipe Gonzalez Morales n’est pas le premier à mettre en cause l’Algérie dans ce dossier. En juin 2018, l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) se disait très « préoccupée » par la situation de migrants bloqués à la frontière entre l’Algérie et le Niger. « Des migrants irréguliers, y compris de nombreux mineurs et femmes enceintes, ne doivent pas être laissés sans eau ni nourriture ou contraints de marcher des kilomètres sous un soleil de plomb pour se mettre en sécurité dans le désert », écrivait William Lacy Swing, directeur général de l’OIM.
Plus de 35.000 migrants expulsés vers le Niger
Selon l’OIM, qui se réfère à des médias, des milliers de migrants traversent une bande de désert de 15 kilomètres, entre l’Algérie et le Niger « en direction de l’établissement humain d’Assamaka ». « L’OIM envoie régulièrement des missions de recherche et de sauvetage pour récupérer des migrants déshydratés et désorientés qui cherchent un abri pendant des jours », a souligné l’organisation. D’après l’OIM, l’Algérie aurait expulsé vers le Niger plus de 35.000 nigériens en quatre ans. Ce mouvement se serait accéléré depuis septembre 2017.
Interrogé, ce jeudi 11 octobre, par TSA Arabi, Hassan Kacimi, responsable chargé du dossier de la migration au ministère de l’intérieur, a annoncé que l’Algérie a reconduit aux frontières « 35.000 personnes dont 16.000 femmes et enfants ». Ces reconduites ont été effectuées « en accord avec les pays voisins et dans le cadre de conventions internationales ».
« Il faut noter que 99 % d’entre eux étaient « recrutés » par des réseaux de mendicité. L’Algérie enregistre l’entrée quotidienne de 400 migrants clandestins à partir des frontières Sud. Certains de ces migrants constituent un danger pour l’ordre public et un grand nombre d’entre eux est porteur de maladies graves et contagieuses comme le Sida et la tuberculose qui marque un retour en Algérie après son éradication dans le pays », a ajouté le responsable algérien.
Selon Felipe Gonzalez Morales, de nombreux migrants expulsés travaillaient et vivaient en famille depuis des années en Algérie.
« L’Algérie n’accepte pas d’être un centre de rétention de migrants »
Selon l’Agence de presse nigérienne (ANP), le nombre de personnes qui ont traversé le Niger pour se rendre en Europe (à travers l’Algérie ou la Libye) est en baisse sensible. Il est passé de 330.000 en 2016 à 10.000 pour les premiers mois de 2018. Cette chute du flux n’est pas expliquée. L’ANP rapporte que Felipe Gonzalez Morales s’est déplacé au Niger pour « évaluer les lois, les politiques, les pratiques et les accords migratoires actuels » et leur impact sur les migrants.
En juin 2018, l’agence américaine Associated Press (AP) a diffusé sur ses réseaux un reportage sur la situation des migrants expulsés d’Algérie aux frontières avec le Niger. A la même période, Human Rights Watch (HRW) a publié un rapport dans lequel elle dénonçait, entre autres, l’expulsion en plein désert de migrants, « sans eau ni nourriture », d’arrestations arbitraires « sans vérification de statut légal des personnes arrêtées », de « dépossession des effets personnels » et de « refus d’accès à des procédures d’appel équitables », pour les migrants.
En février 2018, Amnesty International a, dans son rapport annuel, accusé l’Algérie de pratiquer « le profilage ethnique » en arrêtant les migrants avant de les accompagner aux frontières. « Parce que l’Algérie n’accepte pas d’être un centre de rétention de migrants africains au bénéfice de l’Europe, elle est la cible d’attaques d’organisations extérieures qui osent même l’accuser de racisme », a répliqué le premier ministre Ahmed Ouyahia, en juin 2018. Une année auparavant, Ahmed Ouyahia, qui s’était exprimé en tant que secrétaire général du RND, a parlé de migrants entrés « d’une manière illégale en Algérie ». « Parmi eux, il y a la criminalité, la drogue et d’autres fléaux. On ne dit pas aux autorités algériennes de jeter tous ces gens à la mer ou au-delà du désert, mais la résidence en Algérie obéit à des considérations légales. On ne veut pas que le peuple algérien souffre d’anarchie. On nous parle de droits de l’homme, et bien, nous disons que nous sommes souverains chez nous », a-t-il dit.
« Une ligne dure »
Depuis 2014, Alger et Niamey sont liés par un accord de reconduite aux frontières de migrants en situation irrégulière. Niamey a évoqué, à l’époque, l’existence de « réseaux criminels » qui exploitent les femmes et les enfants, en situation irrégulière en Algérie. Mais en février 2018, Mohamed Bazoum, ministre de l’intérieur du Niger, a demandé à l’Algérie de ne pas expulser vers son pays des non nigériens.
Souvent les responsables algériens accusent les migrants clandestins de s’adonner à des pratiques illégales comme « le trafic de drogue » et « la fausse monnaie ». En juillet 2018, Abdelkader Messahel, ministre des Affaires étrangères, a parlé de « manipulations » en répondant aux attaques sur les mauvais traitements infligés aux migrants en Algérie.
En Algérie, des militants pour les droits de l’homme ont reproché à l’état d’adopter « une ligne dure » à l’égard des migrants qui ressemble à celle de certains pays européens. Dans une précédente déclaration à TSA, Moumene Khelil, engagé dans la défense des droits des migrants, a parlé de « politique agressive ». « Une politique indigne qui consiste à expulser collectivement les migrants. Pour que l’Algérie soit crédible dans sa quête de protection de ses ressortissants à l’étranger, elle doit cesser cette politique et adopter une approche multilatérale et globale dans le traitement de la question migratoire », a-t-il plaidé.
L’Algérie peine, selon les experts, à avoir une réelle politique migratoire alors que beaucoup de migrants, non régularisés, compensent déjà le manque de main d’œuvre dans les secteurs de l’agriculture, des travaux publics et du bâtiment.
Le flux migratoire est toujours géré d’une manière sécuritaire faisant oublier les autres aspects comme la régularisation de migrants qui peut être bénéfique pour l’économie du pays. Avoir un permis de travail en Algérie relève presque de l’impossible.