De Batna à Berlin, le parcours du paysagiste algérien Kamel Louafi est fait d’aventures, d’ambitions, de réussite, de consécration mais aussi de déceptions.
«Le voyage des arabesques », c’est l’intitulé de son exposition qui se tient depuis le 20 mai à la bibliothèque régionale au boulevard Hamou Boutlelis à Oran.
L’exposition, qui dure jusqu’au 5 juin prochain, retrace plus de trente années de paysagisme de Kamel Louafi en Europe, en Orient et en Algérie d’où a commencé l’incroyable parcours de cet artiste qui a beaucoup voyagé à travers le monde depuis le début de sa carrière.
Kamel Louafi décoré en Allemagne
C’est d’ailleurs, au cours de cette exposition la semaine dernière que Kamel Louafi a appris en même temps que le public présent à la bibliothèque régionale d’Oran qu’il a été fait titulaire de la croix fédérale du mérite de la République Allemande. C’est l’ambassadrice d’Allemagne en Algérie Elisabeth Wolbers qui a annoncé la nouvelle sur place.
« Je suis très heureux de recevoir cette distinction car je représente cette catégorie de gens arabes et de musulmans qui travaillent pour le bien de la planète », réagit fièrement Kamel Louafi.
Bien qu’il vive en Allemagne depuis une trentaine d’années, Kamel Louafie est resté attaché à l’Algérie et sa ville natale Batna où il a vu le jour en 1952. Un lien fort qui ressort de sa voix quand il parle de Batna, de sa famille, de ses études…
Ayant obtenu le diplôme de topographie à Batna en 1973, Kamel Louafi travaille dans la Direction des forêts jusqu’à 1979.
« Ma mère disait de moi que j’étais jardinier et me comparait à mon frère architecte. Sans avoir fait des études, elle a abordé le conflit qui existe dans le monde entier entre les architectes et les architectes paysagistes », confie à TSA Kamel Louafi.
C’est à l’occasion d’un stage au sud de l’Allemagne que Kamel Louafi a découvert ce pays. Après un retour en Algérie où il a travaillé dans le bureau d’architecture de son frère, Kamel Louafi est parti s’installer en Allemagne en 1980.
« J’ai étudié l’allemand pour pouvoir intégrer l’université que j’ai fréquenté jusqu’en 1986», raconte Kamel Louafi.
1994, l’année du grand saut pour Kamel Louafi
Après une carrière professionnelle au sein de bureaux d’études allemands, Kamel Louafi décide de lancer en 1994 avec succès son propre bureau d’études en Allemagne.
« J’ai décidé de tenter ma chance en participant à un concours d’architecture de paysage de 1,5 millions de mètres carrés de jardins et parcs à l’occasion de l’exposition universelle de Hanovre (Allemagne). Quand on m’a appelé pour me dire que j’ai remporté le concours j’ai failli m’écrouler. J’étais jeune, je venais de me lancer », relate-t-il.
Depuis, Kamel Louafi a enchaîné les projets en Allemagne au Luxembourg mais aussi aux Emirats Arabes Unis. En 2019, Kamel Louafi décide d’orienter son travail vers l’expression artistique.
L’exposition « Le voyage des arabesques », qui se tient actuellement à Oran est, selon Kamel Louafi, un voyage de plus de 30 ans de carrière dans le paysagisme en Europe, en Orient et en Algérie.
L’exposition, déjà présentée en Tunisie, sera à Béchar en novembre 2023, à Hanovre en mars 2024 puis à Grenade en Espagne à l’automne de l’année prochaine.
« Le voyage des arabesques » se veut être la rencontre de l’Orient et de l’Occident et la représentation de la vie à laquelle aspirent les gens quelles que soient leur couleur ou leur religion, selon Kamel Louafi. L’exposition est aussi une réflexion sur la protection de la nature pour Kamel Louafi qui a représenté des paysages détruits de l’autre côté des jardins et parcs merveilleux qu’il a eu à réaliser partout dans le monde.
Kamel Louafi et l’Algérie, une histoire faite de regrets
Reconnu mondialement, Kamel Louafi n’a pas eu beaucoup d’occasion de montrer son savoir-faire artistique en Algérie. « Je suis venu en Algérie proposer mes archives de projets à des institutions. A chaque fois, on ne répondait : « Qu’est- ce qu’on va faire avec des jardins ? » » », regrette l’architecte paysagiste.
Kamel Louafi est revenu sur une étude qu’il a réalisée au début des années 2000 sur la baie d’Alger et qui est restée dans les tiroirs à ce jour. L’idée était de réaliser des infrastructures souterraines comme le métro.
Kamel Louafi a été sollcité par la wilaya d’Alger, avec d’autres architectes paysagistes algériens, à travailler comme conseiller, mais ses propositions sur le Jardin d’essai, la Casbah, les places publiques de la capitale, la plage des Sablettes d’Alger sont restées en l’état.
Kamel Louafi revient aussi avec amertume sur un concours d’architecture de paysage sur l’exploitation de la surface située en face de la grande mosquée d’Alger.
Après avoir obtenu avec son équipe formée d’architectes de renommée, dont Akli Amrouche, le plus grand nombre de points, Kamel Louafi révèle que ses propositions n’ont pas été retenues par la commission qui leur a préféré une autre offre car elle était moins chère.
« On a fait un boustane (jardin) dans la continuité du jardin d’essai algérienne avec une touche algérienne. On a rendu un projet extraordinaire mais c’est le moins disant qui a été retenu. Si vous allez maintenant en face de la mosquée, c’est une honte ce qui s’y passe. J’ai été sidéré », raconte Kamel Louafi.
Abordant l’anarchie urbaine qui règne en Algérie, Kamel Louafi impute cet état de fait au fait de ne pas « laisser le soin aux gens qui ont de la créativité de faire les parcs et jardins ».
« Quand vous mettez des palmiers à Alger, à Batna, vous donnez un message que ça va être le désert. Le paysage algérien, il ne lui manque rien. Il est extraordinaire. Ce qui lui manque c’est le développement des infrastructures existantes, en créer d’autres. On ne fait pas en sorte que les gens se sentent bien dans leur mode de vie », ajoute-t-il.