Économie

Reportage. Dans les entrailles du chantier du métro d’Alger

Le métro d’Alger s’étend. Aux dix-huit kilomètres actuellement en service, viendront s’ajouter d’autres lignes, dont celle qui reliera El Harrach à l’aéroport international d’Alger, sur 9 stations supplémentaires.

« La ligne sera opérationnelle vers fin 2025, début 2026. Les travaux avancent à la cadence prévue et nous sommes dans les délais contractuels », affirme à TSA le chef du projet, Mahieddine Issad, rencontré sur le site, une trentaine de mètres sous terre.

le chef du projet, Mahieddine Issad

Il veille au grain avec sa « task force », trois jeunes ingénieurs, comme lui pur produit de l’école algérienne.  C’est eux qui pilotent l’un des projets les plus gigantesques en cours de réalisation en Algérie.

Sous leurs ordres, près de 2000 ouvriers et techniciens, dont 90 ingénieurs. D’abord, il y a comme une incompréhension. Sur le site et sur la base qui sert de direction, au centre de Bab Ezzouar dans l’est d’Alger, il n’y a presque pas d’étrangers.

L’explication est vite donnée : le projet est réalisé par une entreprise algérienne, avec sa propre ingénierie et son propre management.

Le groupe Cosider a travaillé sur les anciennes lignes avec l’entreprise allemande Dywidag et vole maintenant de ses propres ailes. Le savoir-faire acquis lui a permis d’obtenir le lot « gros œuvres » de la ligne de l’aéroport d’Alger et il espère exécuter aussi les travaux d’aménagement.

Et plus vite sera attribué le lot, mieux ce sera pour l’entreprise publique algérienne. « Cela nous permettra de nous organiser et de mettre en place notre plan de travail », appuie Mahieddine Issad.

Pour cette équipe, tout est question de méthode. Celle qu’elle a adoptée pour le projet en cours est d’une efficacité remarquable : gain de temps et d’argent (27 milliards de dinars économisés, 40 % moins cher) et très peu d’accidents graves.

Gigantisme

Cosider a obtenu le lot « gros œuvres » comprenant le creusement du tunnel et la réalisation de neuf stations et dix puits d’aération. Pour que les travaux ne stoppent pas l’avancée du tunnelier, les stations ont été réalisées en premier avec la méthode dite « top down » (de haut en bas), avec un passage prévu pour le glissement de la grosse machine d’un tronçon à l’autre pendant que les travaux de la station se poursuivent.

Pour le moment, tout se passe comme prévu et le chantier de réalisation du tronçon El Harrach-aéroport d’Alger avance à une cadence satisfaisante malgré beaucoup d’aléas : nature difficile du sol, deux niveaux de nappes souterraines, passage sous une zone urbaine à forte densité démographique et pandémie de covid. La profondeur de la ligne est comprise entre 15 et 45 mètres.

Le chantier a démarré en 2015 et le creusement du tunnel a commencé en 2020. En ce mois de mai 2022, « la machine » a atteint l’aéroport, soit 5680 mètres creusés.

À la fin de l’année, les 2/3 du tronçon allant de Oued Smar à l’aéroport (tube, stations et puits) seront réalisés. Il restera le creusement du tube entre El Harrach et Oued Smar, soit 3,7 kilomètres.

Le tunnelier, appelé TBM (tunnel boring machine) et baptisé pour l’occasion « la Kahena », avance à la cadence de 240 mètres linéaires par mois. Ses dimensions sont à la mesure du gigantisme du projet : d’une longueur totale de 85 mètres, son poids est de plus 800 tonnes.

La roue de coupe, faite en aciers spéciaux adaptés à la nature du sol, pèse à elle seule 230 tonnes et fait 10 mètres de diamètre. Alimentée par des générateurs, elle consomme l’équivalent des besoins de 33 000 foyers en électricité.

Bien entendu, l’Algérie ne dispose pas de ce type de technologie. Il a fallu l’acquérir en leasing auprès d’une entreprise chinoise. Ceux qui la pilotent comptent parmi les rares techniciens étrangers qui interviennent sur le chantier. Le pilote de ce tunnelier a à son actif 100 kilomètres de tunnels.

Pour le reste, Cosider sait faire. Pour ce projet, elle a déployé une logistique impressionnante, avec un site dit des « ateliers généraux », comprenant une usine de fabrication de voussoirs (blocs de béton pour couvrir les parois du tunnel), 2 centrales à béton et plusieurs zones de stockage (agrégats, ciment, acier…).

Projet utile, savoir-faire inestimable

Ce sont tout de même 20 chantiers (stations et puis) à alimenter simultanément. Outre les voussoirs pour les tunnels, 93 000 tonnes d’acier et 1 million de mètres cubes de béton sont nécessaires pour la réalisation du projet. Le volume total de terre à extraire est de 1,8 million de mètres cubes.

Ce n’est pas une extravagance car le projet est d’une importance vitale pour la capitale. Avec les autres extensions prévues, la ville d’Alger aura une boucle d’une soixantaine de kilomètres et 58 stations de métro.

La ligne El Harrach-aéroport en compte 9 qui desserviront les quartiers à forte densité de population de la banlieue est, de grands centres universitaires comme l’USTHB, l’École d’architecture et les résidences universitaires de Bab Ezzouar, le centre des affaires du même quartier et bien entendu les aérogares internationale et domestique.

La ligne contribuera au désengorgement de toute la capitale puisque les voyageurs en provenance de l’est du pays ne seront plus contraints d’entrer en ville en bus ou en voiture.

Pour Cosider, ce n’est qu’une étape vers encore plus de maîtrise. L’objectif immédiat est de livrer le lot gros œuvres et de pouvoir réaliser aussi celui de l’aménagement.

L’Algérie est appelée à devenir un immense chantier et un tel savoir-faire lui sera à coup sûr utile. Rien qu’à Alger, le programme prévu est d’atteindre 60 kilomètres de métro. D’autres villes en seront peut-être dotées et il y a également, pourquoi pas, les débouchés à l’international.

Dans le contrat de leasing du tunnelier, une clause pour son achat est d’ailleurs prévue. Pour Mahieddine Issad, le souci est aussi de transmettre ce qu’il a appris en « 32 ans sous terre ».

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