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REPORTAGE – La grenade de Messaâd, une merveille en quête de reconnaissance

REPORTAGE – La grenade de Messaâd, une merveille en quête de reconnaissance

Virée dans un marché d’Alger, un jour d’octobre. Tous les étals de fruits proposent des grenades, fruit de saison. Les prix varient entre 150 et 250 dinars, suivant un critère unique : le calibre.

La qualité ? Le refrain habituel. Chaque commerçant approché jure tous ses saints que c’est ce qu’il y a de mieux, sans plus. Pas de nom de la variété, encore moins l’origine du produit.

La labellisation et la traçabilité ne sont pas le fort de l’agriculture algérienne.

La grenade de Messaâd, par exemple, seuls de rares fins connaisseurs la recherchent, à Alger, et dans les autres grandes villes du pays. Pourtant dans toute la région des hauts-plateaux, à Djelfa, Laghouat, Boussaâda, tout le monde se l’arrache.

Un produit du terroir des Ouled Naïl

La wilaya de Djelfa, au cœur des hauts-plateaux algériens, est d’abord à vocation pastorale. Elle compte près de 5 millions de têtes d’ovins, soit près du cinquième de la totalité du cheptel national estimé à 28 millions de têtes.

En 2017, elle a produit 540 000 tonnes de viandes rouges, surclassant toutes les autres wilayas du pays en la matière. Outre son agneau, Djelfa est aussi connue pour ses métiers à tisser traditionnels, qui fabriquent le Burnous et la célèbre Kechabia, la longue robe en poils de dromadaire ou en laine de mouton indispensable dans cette région où le froid s’installe, dès le mitan de l’automne.

L’agriculture porte essentiellement sur la céréaliculture et l’arboriculture avec trois variétés prédominantes : l’abricotier, l’olivier et le grenadier. La grenade est l’autre produit du terroir des Ouled Naïl, même s’il est moins connu que l’agneau et la Kechabia.

C’est connu, les nutritionnistes du monde entier conseillent la consommation de la grenade qui protège des maladies cardiovasculaires, réduit le risque de cancer… Récemment, un médecin français très sérieux, du nom de Michel Cymes, a même proposé que ce fruit soit remboursé par la sécurité sociale, comme un médicament !

Mais la grenade de Djelfa a d’autres atouts. Elle se distingue par son goût exquis, sa forte teneur en jus et ses pépins tendres. Elle est cultivée essentiellement dans la région de Messaâd, à une soixantaine de kilomètres? au sud du chef-lieu de la wilaya.

Selon le chef de la subdivision agricole locale, Ahmed Nouari, 950 sur les 1200 hectares consacrés à la culture du grenadier dans la wilaya de Djelfa se trouvent à Messaâd. Les régions de Deldoul, Amoura et Zakar comptent aussi des vergers de grenadiers et produisent les mêmes variétés, mais en moindres quantités.

© TSA


Une culture ancestrale

Les vergers de Messaâd produisent chaque année jusqu’à 120 000 quintaux de grenades, lorsque les conditions sont optimales. « Cette année, nous n’attendons pas une production record. Le froid et la grêle de la fin du printemps passé ont quelque peu affecté la floraison. La production devrait néanmoins se situer aux alentours de 115 000 quintaux », prévoit M. Nouari.

A Messaâd, la culture du grenadier est ancestrale. Cet arbre originaire du nord de l’Inde a été introduit dans la région par les Romains et il s’est parfaitement adapté au sol et au climat de la région. Depuis, Messaâd n’a jamais cessé de cultiver le grenadier, dans les jardins notamment, mais aussi dans beaucoup de vergers que des agriculteurs se sont transmis de père en fils.

Depuis le début des années 2000, cette culture a connu un véritable essor à Messaâd à la faveur du lancement du fameux PNDRA, le plan national du développement agricole. L’aide et le soutien de l’État et les facilités dans l’accès au foncier agricole ont permis à de nombreux jeunes d’exploiter de vastes surfaces. La plupart ont opté pour le grenadier, l’abricotier et l’olivier, les arbres les plus adaptés à la région. Le grenadier est particulièrement productif avec un rendement qui peut atteindre les 120 quintaux à l’hectare.

L’expansion continue et le subdivisionnaire de l’agriculture prévoit d’atteindre une surface de 1200 hectares consacrés au grenadier d’ici l’année prochaine.

Si de nombreux agriculteurs sont pour ainsi dire des « novices » dans la filière, pour certains, c’est un héritage familial. C’est le cas de El Hadj Mohamed Aït Fettane. Comme la connotation de son nom le laisse deviner, ce sexagénaire est issu d’une famille originaire de Kabylie. « Mon grand-père est venu de Michelet, dans la wilaya de Tizi Ouzou, pour exercer comme instituteur à Messaâd au début du siècle dernier. Depuis, il s’est installé ici. J’ai été une seule fois dans notre village d’origine », dit-il. El Hadj Mohamed est un Messaâdi « à part entière ».

Parallèlement à son travail de chauffeur de bus qui l’a mené « une trentaine de fois à la Mecque », il a toujours pris soin de ses grenadiers. Aujourd’hui à la retraite, il s’occupe d’un verger de deux hectares de grenadiers et d’abricotiers. On y trouve toutes les espèces de grenadiers propres à la région.

« Nous avons El Hamraoui (rougeâtre), El Khedraoui (vert), El Karess (acidulé), Ettounsi et Snin Laâloudj », égrène-t-il. Cette dernière variété, qu’on peut traduire par dents d’agneau, est la plus prisée de toutes. Son nom, elle le doit à ses pépins, légèrement rougeâtres, virant au blanc, très tendres et parfaitement alignés. Dans toute la région de Djelfa, elle est très recherchée. On y vient même de certaines villes du Nord pour Snin Laâloudj et les autres variétés. Les Djelfaouis, connus pour leur générosité et leur sens de l’hospitalité, l’offrent volontiers à leurs hôtes.

En automne, à partir de la mi-octobre, la grenade de Messaâd devient la reine des étals de fruits dans les localités situées sur la RN1 qui traverse le pays du Nord au Sud : Ksar Boukhari, Boughezoul, Hassi Bahbah, Aïn Ouessara, Aïn Maâbed, Messaâd…

Les prix ? Ils sont plutôt abordables, puisqu’ils dépassent rarement les 150 dinars. Le petit calibre est même bradé entre 60 et 80 dinars. « Au tout début de la saison, les premières grenades cueillies coûtent un peu cher, jusqu’à 250 dinars, mais au fil des jours les prix descendent jusqu’à se stabiliser aux alentours de 150 dinars », affirme El Hadj Mohamed.

Mais combien ça lui rapporte ? « Pas une fortune », se précipite-t-il de répondre. Car si son produit est vendu à 150 dinars le kilogramme, c’est à cause de la multiplication des intermédiaires qui prennent en plus des marges importantes. La grenade de Messaâd sort en effet des vergers à 60-80 dinars le kilo.

© TSA


Aussi, entretenir un champ de grenadiers nécessite beaucoup d’efforts et d’investissement. Le principal problème ici c’est l’eau. Or, pour porter de beaux fruits, le grenadier a besoin de beaucoup d’eau. « Nous puisons l’eau de 100 mètres sous terre. Il est vrai que l’État nous aide pour les forages, mais la facture d’électricité est souvent excessivement élevée. En été, elle atteint parfois 30 ou 40 millions de centimes », se désole l’agriculteur, qui se plaint aussi de ne pas toujours trouver des bras pour les différents travaux, comme l’élagage et la cueillette. « On paye les saisonniers entre 1000 et 1500 dinars la journée, on ne peut pas aller au-delà», ajoute-t-il.

L’élagage, ou la taille, est une tâche importante qui doit être faite par des connaisseurs car, explique El Hadj Mohamed, le rameau du grenadier a cette particularité de ne fructifier qu’une seule fois. Dès qu’il donne des fruits, il devient systématiquement stérile.

Devant toutes les embûches qui se dressent devant eux, les agriculteurs se débrouillent comme ils peuvent. Pour El Hadj Abdelkader, qui possède 12 hectares de vergers dont deux hectares de grenadiers du côté de Zakar, à 30 kilomètres plus au nord, la solution pour réduire la facture d’électricité c’est de ne pas mettre en marche les pompes durant la plage horaire où la facturation est trop élevée, c’est-à-dire entre 16 et 22 heures. Le sexagénaire a introduit dans la région un nouveau concept, l’agrotourisme.

Possédant un hôtel, le Naïli, au chef-lieu de la wilaya, il a acquis une ferme de 12 hectares à Zakar pour produire de l’huile, des olives de table, des abricots et des grenades bio qui finiront au restaurant gastronomique de l’hôtel. Il n’utilise ni engrais chimiques ni pesticides.

En plus donc des vertus reconnues de la grenade, on a un fruit au goût exquis et bio. « Il en est de même pour nos autres produits. J’aurais aimé vous gouttiez nos abricots », nous dit El Hadj Abdelkader qui nous donne rendez-vous pour la fin du printemps pour nous faire découvrir une autre merveille.

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Une marque déposée et une réputation mondiale

A Djelfa, la grenade de Messaàd, Deldoul et Amoura, des régions agricoles du Sud de la wilaya, est considérée comme une marque déposée, dont les fins connaisseurs, de tous bords, s’accordent sur l’excellence.

En effet, tous les spécialistes en la matière s’accordent sur l’excellence de la qualité de la grenade de Messaàd et Deldoul, mais aussi celle de Amoura, sur les hauteurs du mont Boukhil, des régions où ce fruit pousse en abondance, mais surtout avec une qualité inégalée nulle part ailleurs.

La meilleure preuve en est la multitude de commerçants, qui convergent vers ces régions, en saison de la récolte de ce fruit succulent, dont l’abondance de la production demeure toutefois tributaire de la « bonne santé des arbres », selon les experts du domaine.

Les jardins de grenadier, à Djelfa, occupent une surface de près de 1.239 ha, dont un taux de 60% est concentré, dans le sud de la wilaya, une région réputée pour la qualité et l’abondance de son produit, qui s’est admirablement adapté à son climat semi-aride, selon des experts agricoles locaux, qui citent en exemple les jardins de grenadiers de Messaàd.

« La grenade de Messaàd est une marque déposée de renommée mondiale, sur le double plan de la qualité du goût et de la multitude de ses variétés », a expliqué récemment à l’APS le secrétaire général de la chambre d’agriculture de la wilaya, Belkhiri Abdelkader.

Le responsable a tenu à citer parmi ces variétés de grenade de renommée mondiale, « Lhamraoui » (rougeâtre), « Snin Laàloudj », « El Karess » (citronné), « Tounsi », « L’khadraoui » (vert), signalant, également, un « engouement » de la part de pépiniéristes de nombreuses wilayas voisines, pour l’acquisition de plants de grenadiers locaux.

Il a, en outre, fait part d’efforts en cours en vue de l’extension de cette culture arboricole vers le Nord de Djelfa, où sont concentrés le tiers des grenadiers de la wilaya.

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Selon Cheikh El Mostfa, propriétaire d’une grande surface de grenadiers à Messaàd, sa production n’est pas seulement sollicitée par des commerçants, mais aussi par les enfants de la région, qui en acquièrent de grandes quantités pour leur consommation personnelle, mais aussi pour en offrir à des amis car ils s’agit vraiment d’ « un fruit très cher à leur cœur », a-t-il souligné.

En dépit de son âge avancé, cet agriculteur, dont le métier est un héritage légué de père en fils, dit continuer toujours à s’occuper personnellement de ses arbres, car il s’agit d’une espèce requérant beaucoup d’attention et d’entretien, à cause des multiples parasites qui l’attaquent, mais dont la maîtrise est toutefois possible grâce à des méthodes rodées qui lui permettent, à la fin, d’obtenir l’un des meilleurs fruits que Dieu a créé et qui, plus est, cité dans le saint Coran, ajoute-t-il, sur un ton fier.

Ainsi, chaque automne à Djelfa est synonyme de tables garnies de bonnes grenades au goût succulent, d’autant plus que les prix de ce fruit demeurent relativement stables, depuis des années, soit entre 80 et 150 DA le kg. Toutefois certaines variétés, réputées pour leur excellente qualité, peuvent atteindre les 250 DA le kg, en début de saison.


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