Organiser un mariage nécessite un grand budget. Souvent, des économies de plusieurs années sont nécessaires pour mener à bien ce projet.
Salle de fête, traiteur, gâteaux, bijoux, tenues… le budget destiné à la cérémonie est colossal. À l’heure où tous les secteurs d’activités subissent de plein fouet les effets de la crise économique, nous avons voulu prendre le pouls de l’industrie du mariage. Les salles des fêtes ont-elles connu une baisse de fréquentation ? Les familles ont-elles réduit le budget destiné au mariage ? Reportage.
À la rue Ahmed Bouzrina (ex- rue de la Lyre), la célèbre Znikat Laârayesse (ruelle des mariées) grouille de monde. Toutefois, la fréquentation des boutiques d’étoffes et de robes de fête demeure très timide.
Anis Tifaoui tient une boutique de trousseaux de mariée depuis plusieurs années. Son chiffre d’affaire a baissé de manière drastique depuis le début du ‘hirak’ comme il nous le dit : « C’est mort par ici. Les clientes rentrent, regardent et tournent les talons sans rien acheter. Depuis le 22 février, les ventes des robes traditionnelles et d’accessoires ont chuté. Même lorsqu’elles font un achat, les futures mariées misent sur une tenue au lieu des trois ou quatre habituelles. En tant que commerçant, je ressens vraiment les effets de cette crise économique ».
L’or ne fait plus recette
À deux pas de là, dans la bijouterie Chekchak, les clients ne se bousculent pas. Le magasin est anormalement vide. Ali son propriétaire confirme la tendance : « Depuis le début de l’année ma bijouterie vivote. Les gens n’ont pas la tête à acheter des bijoux. Les parures de 400.000 da qui se vendaient toutes les semaines prennent la poussière dans la vitrine ».
Même constat à la bijouterie Rehi située près de la Grande Poste dans le centre-ville d’Alger. « Le prix de l’or s’est envolé. À 9000 da le gramme, il ne trouve pas preneur.Par ces temps d’incertitudes, les gens préfèrent garder leur argent chez eux. Et dire qu’en 2018, les clients affluaient de partout : de l’Est, de l’Ouest et même de l’étranger ! Depuis le début de l’année, c’est le coma. Avec la chute du dinar et la situation politique que nous vivons, personne n’a envie de mettre 150.000 da dans une bague ou 400.000 da dans une parure de 50 grammes ».
Petites salles des fêtes désertées
El Djamel, est une salle des fêtes au quartier de Soustara (basse Casbah). La gérante nous y accueille et confirme l’essoufflement des réservations.
« À titre d’exemple, je n’ai aucun mariage de programmé pour le mois de novembre, dit- elle. Il y a à peine 2 ans, c’était complet chaque jour, surtout durant l’été. Même à 70.000 da, les jeunes mariés ne peuvent plus se permettre de louer une salle des fêtes. En ce temps de crise, tous les prix se sont envolés. La vie est tellement chère ! Alors, les familles se contentent d’offrir un dîner à leurs invités, à la maison. Sale temps pour le business. C’est la crise ! »
À proximité de la salle des fêtes El Djamel se trouve un commerce de location de chaises et de matériel de fêtes (marmites, vaisselle, guirlandes lumineuses…).
Mohamed Merabet, son gérant ne cache pas son inquiétude : « Mon commerce bat de l’aile. Ces derniers mois sont difficiles. Avant, je gagnais 70.000 da par semaine pour ce genre de location contre seulement 10.000 da actuellement ».
Voyage de noces ou non ?
Qu’en est-il des voyages de noces ? Les couples ont-ils sacrifié ce voyage si cher à leur cœur ? Pour en savoir plus, nous avons poussé la porte d’Infinity Travel, une agence de voyages située place Audin.
Noureddine Yassad, son directeur est catastrophé : « La crise est palpable depuis début 2018. Avant cette date, j’organisais 300 voyages de noces par an. À l’heure où je vous parle, j’ai à peine vendu 16 voyages pour des lunes de miel. Depuis le 22 février, tout tourne au ralenti. Je reçois plus de gens qui cherchent des visas pour fuir l’Algérie que pour des voyages. Le tourisme est mort ».
La crise ? Quelle crise ?
La crise économique n’est pas passée partout. À Dounia Parc, (Dely Ibrahim) les trois salles de fêtes de cette enseigne privée affichent complet. Lors de notre passage, l’une d’entre elle abritait un repas de noces. Nous avons rencontré Malek, le jeune marié.
« J’ai invité une centaine de personnes. Cela m’a coûté 3000 da le repas, par tête. Toute la famille a été mise à contribution pour financer mon mariage car cela coûte un bras de convoler en justes noces de nos jours ».
Le chanteur kabyle Koceila, chargé de l’animation de cette fête, était présent sur place. Interrogé, il a assuré ne pas trop ressentir la crise. « Je n’ai pratiquement pas été touché par la récession économique. Juste une petite baisse de l’ordre de 30%, confie-t-il. Les familles continuent à offrir de belles fêtes à leurs enfants à l’occasion de leur mariage ».
Des prix qui donnent le vertige
Côté réservations, le téléphone des salles des fêtes « Dounia Parc » n’arrête pas de sonner. Les prix pratiqués par ces salles ne semblent pas décourager les clients. Les deux petites salles d’une capacité d’accueil de 300 personnes chacune affichent 210.000 da en après-midi et 260.000 da en soirée.
Quant à la grande salle d’une capacité de 500 personnes, elle coûte 400.000 da en après-midi et 500.000 da en soirée. Cette enseigne propose également un service traiteur, entre 2000 et 3500 da le repas, par personne.
« Nous n’avons pas été touchés par la crise, affirme Yacine Adjer le gérant. Les gens réservent jusqu’ à 6 mois à l’avance et c’est quasiment ‘booké’ pour toutes les dates. Nous n’avons constaté aucune baisse depuis 2018 ».
Organiser un mariage est très onéreux. L’ardoise inhérente à cette cérémonie est lourde. Décoration florale de la voiture de mariée (entre 5000 et 10.000 da), chanteur (entre 100.000 et 250.000 da), photo-vidéo ( entre 45.000 et 75.000 da), coiffure et maquillage (entre 30.000 et 100.000 da), Kaftan (entre 60.000 da et 170.000 da), gâteaux traditionnels (entre 100 et 150 da), pièce montée jusqu’à 200.000 da, détaille Badrou Bouakez, chef- pâtissier à l’atelier du Chou (Hydra).
« Lesprix d’une pièce montée sur trois niveaux atteint 200.000 da , il peut aller bien au-delà en fonctions du nombre des convives », ajoute-t-il.
Visiblement, la crise économique n’a pas heurté toutes les couches sociales. Ce sont les petites et moyennes bourses qui en payent les conséquences.
Les classes aisées, au fort pouvoir d’achat, continuent à s’offrir les services les plus onéreux pour marquer d’une pierre blanche le mariage de leurs enfants. Les autres préfèrent réduire leurs dépenses en attendant des jours meilleurs.