Des magistrats ont été réprimés hier à l’intérieur même de la Cour de justice d’Oran. Quelle est votre réaction ?
Noureddine Benissad, avocat et président de la Ligue algérienne des droits de l’Homme (LADDH) : Ce sont des scènes choquantes, je n’ai jamais vu des forces antiémeute dans une enceinte judiciaire. Des images qui ternissent la symbolique de la sérénité et la sacralisation d’un lieu de débats apaisé. Le glaive a apparemment pris le dessus sur la balance. Il est inadmissible que l’on fasse intervenir les forces antiémeute contre un rassemblement pacifique des magistrats et a fortiori à l’intérieur d’une juridiction.
Je rappelle que le droit de grève, l’exercice des droits de se rassembler, de manifester et de s’exprimer sont reconnus et garantis par la Constitution, le pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par notre pays et promulgué au journal officiel ainsi que par le 7e Congrès des Nations unies tenu à Milan en 1966 sur les principes de base relatifs à l’indépendance de la justice. Les autorités sont tenues de respecter ses engagements. L’autoritarisme est une réalité, celui-ci est la négation même des libertés et de la culture du dialogue et des contre-pouvoirs nécessaires dans un État de droit. Sous d’autres cieux et pour moins que ça, ce sont des gouvernements qui tombent. La LADDH dénonce le recours à la force pour faire taire les magistrats et entraver les libertés syndicales.
Que signifie pour vous la grève des magistrats et que représente-t-elle par rapport au mouvement populaire ?
Je rappelle que le droit de grève et les libertés syndicales sont garantis par le pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels, ratifié par l’Algérie ainsi que par les conventions de l’organisation internationale du travail ratifiées par l’Algérie.
Ces conventions ont également été promulguées aux différents journaux officiels et au regard des dispositions de la Constitution, elles deviennent supérieures à la législation interne quand celle-ci restreint lesdits droits.
Le syndicat des magistrats, dont la vocation est de défendre les droits de ses adhérents, a contesté dans la forme et dans le fond le mouvement des magistrats effectué récemment.
Comme je le disais plus haut, la culture du respect de la primauté du droit et celle du dialogue sont la maladie infantile du système autoritaire que le hirak veut justement démanteler par des moyens pacifiques.
Les revendications du mouvement populaire, notamment l’indépendance de la justice, ont fait prendre conscience aux magistrats que l’imaginaire collectif n’a pas une image positive de la justice de son pays tant celle-ci est sous la mainmise du pouvoir politique et que son rôle de protection des libertés des personnes est une chimère.
C’est vrai que les textes notamment les lois organiques sur le statut du magistrat et sur le Conseil supérieur de la magistrature ne sont pas conformes aux normes internationales en matière de l’indépendance de la justice mais comme le disait un juge français célèbre, Casamayor, l’indépendance de la justice est aussi un état d’esprit. Cela nous renvoie à la formation des magistrats et à son contenu en matière de respect des droits de l’Homme en général. Un chantier énorme nous attend. Déconnecter les attentes populaires sur l’indépendance de la justice de la nécessité d’un changement profond du système politique est un coup d’épée dans l’eau.
Comment réagissez-vous aux arrestations des détenus d’opinion ?
On a dénoncé dès le début les arrestations des détenus d’opinion. La primauté du droit veut qu’aucune personne ne soit inquiétée pour avoir exprimé une opinion. Exprimer une opinion n’est ni un crime ni un délit. On ne cessera jamais de le répéter. La Constitution et les conventions internationales relatives aux droits de l’Homme garantissent les libertés de s’organiser, de se réunir et de s’exprimer pacifiquement.
Respecter le droit à l’expression permet à une société de s’auto-réguler, de maintenir l’équilibre du tissu social et un exercice pour le dialogue.
Il réduit les risques au recours à la violence quand vous fermez tous les espaces d’expression. Les détenus d’opinion ont le sentiment d’avoir fait l’objet d’une hogra et il n’y a pas pire que le sentiment d’avoir fait l’objet d’une injustice car ils n’ont fait qu’exprimer pacifiquement une opinion. Cela fait partie des libertés fondamentales consubstantielles à la personne humaine. Nous appelons à leur libération et aucune personne ne doit se retrouver en prison ou inquiétée à cause d’une opinion.