En moins d’une semaine, les rôles se sont spectaculairement inversés. Il y a quelques jours, l’opposition algérienne réagissait avec force à des propos tenus par le président français Emmanuel Macron, perçus comme un soutien franc au pouvoir en place et dénoncés comme une « ingérence ».
Depuis jeudi soir, ce sont le gouvernement, les partis et les organisations proches du pouvoir qui crient à une autre « ingérence » venue d’Europe, celle du Parlement européen qui a voté une résolution dénonçant la dégradation de la situation des droits de l’Homme en Algérie et appelant à la libération de « tous les détenus d’opinion ». Et la résolution du PE et la sortie du président français ont visiblement fait de l’effet, ne laissant personne indifférent. Ou presque.
Les partis du pouvoir en rangs soudés
Le gouvernement algérien, par le biais du ministère des Affaires étrangères, a condamné « avec force » une résolution au « contenu outrancier » qui se résume à « un chapelet d’injures et d’avanies à l’endroit du peuple algérien, de ses institutions et de l’État algérien » et qui a été adoptée « selon une procédure dite +d’urgence+ pour le moins douteuse ».
Même s’il reconnait l’existence de « dépassements isolés », Bouzid Lazhari, président du Conseil national des droits de l’Homme, une instance officielle, dénonce lui aussi une exagération et une résolution « aux visées politiques » qui, selon lui, n’a pas pris compte des réformes contenues dans la nouvelle constitution et de toutes les avancées de l’Algérie en matière des droits de l’Homme et s’est basée sur des données dépassées.
Les partis et organisations pro-pouvoir, le FLN en tête, n’ont pas tardé à rappliquer pour rejeter toute « atteinte à la souveraineté de l’Algérie ». L’ex-parti unique qualifie la résolution d’ « odieuse ingérence dans les affaires intérieures de l’Algérie » de la part d’eurodéputés « aux abonnés absents dès lors qu’il s’agit des violations et agressions perpétrées au Sahara occidental ». Un sénateur du parti a même appelé ses collègues parlementaires à un rassemblement devant le siège de la délégation de l’Union européenne à Alger.
« Ce type d’ingérence est susceptible de nuire aux relations entre l’Algérie et l’Union européenne (UE) car c’est une tentative de porter atteinte à la stabilité dont jouit notre pays par rapport à d’autres Etats européens », soutient pour sa part le RND.
Tentative de « tutelle » et de « protectorat »
Les réactions les plus virulentes sont étonnamment venues de Djilali Soufiane, un personnage considéré comme faisant partie de l’opposition, et du président du MSP, Abderrazak Makri, qui a officiellement les deux pieds dans l’opposition.
« La résolution du Parlement européen est une humiliation pour le peuple algérien et une tentative de prendre l’Algérie pour un protectorat. Tous les patriotes sont appelés à défendre notre souveraineté. Oui au changement, non au chaos », écrit le président de Jil Jadid sur les réseaux sociaux. Comme tous les autres, Djilali n’avait pas soufflé mot suite aux propos de Macron.
Makri, lui, fait partie des rares personnalités qui ont dénoncé les deux « ingérences ». « Des propos dangereux qui confirment la tentative d’imposer une tutelle sur notre pays. Ce document contient des expressions en forme d’injonction, toute honte bue », écrit-il, qualifiant ses rédacteurs d’ « hypocrites en lesquels nous n’avons pas confiance ». Cela quelques jours après avoir accusé Emmanuel Macron d’avoir « dévoilé au grand jour et d’une manière directe les visées de la France de s’ingérer dans affaires et de nous arrimer à sa profondeur stratégique, en l’absence de toute résistance officielle ».
« Le problème est dans le silence du parlement algérien »
Sur les réseaux sociaux, beaucoup dénient le droit de s’offusquer à tous ceux qui n’ont pas dénoncé les atteintes aux libertés et l’emprisonnement de militants et de journalistes. Une idée que résume Mohcine Belabbas qui avait, rappelons-le, fermement critiqué la sortie de Macron. Cette fois, ce n’est pas à la résolution du PE qu’il réagit, mais au communiqué du ministère des Affaires étrangères.
« Outrance dites-vous. Comment peut-on alors qualifier la condamnation du journaliste Khaled Drareni à deux années de prison ferme ? Comment peut-on qualifier le maintien sous mandat de dépôt de plusieurs détenus d’opinions, à l’instar de Rachid Nekkaz, depuis plus d’une année et le refus de programmer leur procès ? Comment qualifier la fermeture hermétique des médias au débat pluriel et le refus de donner des autorisations, y compris, pour les réunions des organes de direction des partis politiques ? », s’interroge le président du RCD.
Pour lui, « le problème est plutôt dans le silence du parlement algérien depuis près de deux ans sur les violations des lois et les atteintes répétées aux droits et aux libertés. Plus grave, il vote des lois liberticides qui viennent au secours de la répression judiciaire ».
Il reste, pour compléter le tableau, à connaître l’avis du coordinateur de l’UDS, Karim Tabbou, qui s’était distingué par une longue lettre adressée à Emmanuel Macron après sa promesse d’apporter son « aide » au président Tebboune. Il manque aussi la position du FFS qui, curieusement, n’a réagi ni aux propos de Macron ni à la résolution de l’institution de Strasbourg.