La résolution du Parlement européen sur la liberté d’expression en Algérie qui a été adoptée jeudi 11 mai s’ajoute à la série d’obstacles qui se dressent sur le chemin de la visite d’Etat que devrait effectuer le président Abdelmadjid Tebboune en France en juin prochain.
Dans sa résolution, le Parlement européen (PE) a cité le cas du journaliste Ihsane El Kadi, directeur et fondateur des sites Radio M et Maghrebemergent qui a été récemment condamné à cinq de prison, dont trois fermes. Le journaliste a été accusé d’avoir reçu des fonds à des fins de propagande politique.
La résolution a été approuvée par la majorité du Parlement. Avec 536 voix approuvant la résolution et seulement 4 contre et 18 abstentions. Une prise de position claire qui arrive avant la venue du président algérien Abdelmadjid Tebboune en France, prévue en juin prochain.
Cette résolution va-t-elle impacter cette première visite d’Etat du président Tebboune en France ? La question est posée d’autant que du côté d’Alger, l’implication des députés affiliés au parti du président Emmanuel Macron suscite des interrogations, de l’incompréhension et même de la colère.
Algérie – France : une paix diplomatique remise en question ?
La France et l’Algérie étaient parvenues à apaiser définitivement leurs relations, qui se sont dégradées au cours de différents événements. Un entretien téléphonique entre les présidents français et algériens le 24 mars dernier a permis symboliquement de mettre un terme à une série de brouilles diplomatiques. L’entretien avait surtout permis de conclure l’affaire Amira Bouraoui, dernier épisode de tension entre les deux pays.
Une autre conversation entre les deux chefs d’Etat en avril a permis d’acter la venue de Abdelmadjid Tebboune en France dans le cadre d’une visite d’Etat.
Initialement prévue début mai, elle a finalement été repoussée à la deuxième quinzaine de juin, en raison de préparatifs à renforcer et sans doute pour éviter que le contexte social français ne pèse sur la rencontre. Rien ne devait venir perturber cette visite compliquée et complexe à mettre en place.
Le mois de juin semblait idéal pour ce qui devrait être la troisième visite d’un chef d’Etat algérien en France depuis l’indépendance de l’Algérie. Mais la résolution du Parlement Européen vient jeter un pavé dans la mare. Le thème de la liberté de la presse et d’expression risque de s’imposer coûte que coûte dans les échanges présidentiels.
La résolution du Parlement Européen qui demande notamment « à toutes les institutions de l’UE et aux États membres de condamner ouvertement la « répression » de la liberté de la presse en Algérie, tout en appelant la délégation de l’Union et les ambassades des pays de l’UE accrédités dans la capitale algérien à demander l’accès aux journalistes emprisonnés et à assister aux procès », est perçue à Alger comme une intrusion européenne et notamment française dans les affaires internes du pays.
Le Conseil de la nation (Sénat) a dénoncé jeudi une ingérence dans les affaires algériennes. En Algérie, le scandale de corruption par le Maroc des européens qui a affaibli le Parlement européen est aussi un argument pour contre-attaquer l’institution européenne.
L’Assemblée populaire nationale (chambre basse du Parlement algérien) n’a pas manqué de le souligner dans sa réaction : « On est par conséquent en droit de s’étonner des pratiques d’une institution parlementaire dont la crédibilité est entachée par les scandales de corruption et de pot-de-vin ».
L’APN a reproché aussi au Parlement européen de « fermer les yeux sur les souffrances du peuple palestinien, meurtri, opprimé et agressé, et tourne le dos au peuple sahraoui occupé dont les richesses sont pillées simplement pour avoir revendiqué son droit à recouvrer ses territoires et sa liberté ».
Étant donné l’approbation majoritaire de la résolution, il est évident que des membres français du Parlement européen ont nécessairement voté pour l’adoption de cette résolution, particulièrement les députés macronistes.
Selon nos sources, Alger est furieuse non seulement contre le Parlement européen, mais surtout contre les députés macronistes qui siègent à l’institution de Strasbourg, dans un contexte de réchauffement des relations entre l’Algérie et la France et au moment où les deux pays, préparent difficilement la visite du président Tebboune à Paris.
« Les députés macronistes au Parlement ont initié et adopté la résolution. Ils en ont profité pour attaquer l’Algérie. C’est inacceptable », dénonce notre source.
Cette résolution risque de replonger les relations algéro-françaises dans une nouvelle crise après celles de l’automne 2021 et du début 2023.
Décidément, cette visite de Tebboune en France ne bénéficie bon d’un bon alignement des planètes puisqu’à chaque fois un évènement vient de perturber sa préparation qui n’avance d’ailleurs pas.
Aucune date précise n’a été fixée et quand il a été interrogé mercredi 3 mai lors d’une rencontre les directeurs des médias, le président Tebboune ne s’est étalé sur cette visite.
Alger furieuse contre les députés macronistes du Parlement européen
Depuis le vote de la résolution jeudi 11 mai, aucune source officielle française n’a commenté cette décision du Parlement Européen.
On sait que chaque événement peut mettre le feu aux poudres à la relation franco-algérienne qui se relève à peine des épisodes de tension de l’automne 2021 ou encore de l’affaire Amira Bouraoui.
La France a peiné à regagner la confiance algérienne. Elle a mis en place plusieurs leviers pour y parvenir comme la visite « réussie » d’Emmanuel Macron en Algérie en août 2022, la levée des restrictions de visa ou encore la mise en place d’une commission mixte d’historiens algériens et français pour travailler sur la colonisation et l’indépendance de l’Algérie.
La première réunion s’est tenue le 19 avril dernier, preuve que les promesses françaises se sont concrétisées avant la venue de Abdelmadjid Tebboune.
Cette résolution avait déjà été présentée au Parlement Européen, puis retirée de l’agenda de l’instance européenne. Elle revient dans un timing très délicat.
Emmanuel Macron se retrouve avec une épine dans le pied. Tout d’abord parce qu’il n’a pas pu anticiper cette dénonciation de l’Algérie de la part du Parlement Européen. Mais aussi parce qu’une grande partie d’élus du bord présidentiel ont soutenu la résolution.
Ce qui pourrait laisser penser du côté d’Alger à un double jeu de pouvoir, d’un côté la diplomatie officielle française qui tente tout pour relancer cette relation franco-algérienne, mais de l’autre que les élus français et européens essayent de sauver l’image européenne et française sur la question des droits fondamentaux en Algérie et d’une façon générale dans le monde, dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine.