Le taux de réussite aux épreuves du Brevet d’enseignement moyen (BEM) a atteint, cette année, 55,47 % (56,88% en 2018). Pensez-vous que l’évaluation telle qu’elle se fait actuellement reflète le niveau réel des élèves ?
Ahmed Tessa, pédagogue. Personnellement je suis de l’avis de ceux qui ont toujours affirmé que l’examen de fin de cycle n’a jamais été un critère viable d’évaluation tant de l’élève que du système. La docimologie (sciences de l’évaluation et de la notation) a démontré que cela est pure illusion. Encore plus dans un système scolaire basé sur le bachotage de l’enseignant et le par-coeurisme de l’élève. Notre école ne développe pas les fonctions intellectuelles supérieures chez nos enfants : telles que la compréhension, l’analyse, la synthèse, l’esprit critique et la créativité.
Que valent ces examens de fin de cycle qui ont disparu partout dans les pays développés ?
Absolument que des dérives depuis plus de trois décennies, et ce malgré les timides tentatives de changement entrevues ces quatre dernières années. Qu’on en juge. La perte en argent et plan Orsec national à chaque examen : des dizaines de milliards de dinars engloutis chaque année. Perte colossale en temps d’apprentissage : sur une scolarité entière, l’élève algérien perd plus de deux années cumulées – nos enfants partent en congé dès la fin du deuxième trimestre, au mieux vers la mi-mai. Inconcevable. Explosion de la pratique mafieuse des cours de ‘’soutien payants’’ : chaque jour des centaines de milliards de centimes circulent frauduleusement de la poche des parents vers celles de milliers d’enseignants véreux, sans aucune éthique éducative (heureusement qu’il existe une majorité d’enseignants honnêtes). Les parents y inscrivent clandestinement leurs enfants chez ces enseignants (car c’est un commerce informel et clandestin) dès la 1ère année du primaire. Cette épidémie est causée par le virus de l’enrichissement rapide et illicite inoculé par des fonctionnaires sans foi ni loi. Ces derniers déploient toute une stratégie ‘’corruptive’’ pour attirer la clientèle (‘’achète mes cours et tu auras de bonne notes ‘’ – ou bien ‘’ je n’ai pas le temps de vous expliquer en classe, venez acheter mes cours’’).
Les examens se sont déroulés dans une conjoncture politique particulière, avec le soulèvement populaire. Cela a-t-il eu des conséquences d’une manière ou d’une autre sur les candidats aux différents examens ?
Sûrement que ce contexte a influé négativement. Mais ces dérives durent depuis des décennies. Il nous faut un Hirak dans les mentalités des parents, des décideurs, des cadres du secteur et des enseignants. Ce n’est pas demain la veille. La mafia des cours payants clandestins et frauduleux s’oppose et s’opposera toujours à la révolution scolaire (école et université). Pour changer le système d’évaluation, il faut réfléchir à la question : quel citoyen de demain veut-on former ? Un ‘’perroquet’’ avide de gober sans penser ? Ou un citoyen critique, alerte intellectuellement, ancré dans son algérianité et ouvert sur l’universalité ?
Les tenants de la première formule se recrutent – entre autres – parmi les ‘’clandestins des cours payants’’ pour la simple raison qu’ils veulent que tout reste en l’état.