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« Retour à la décennie noire » : risque avéré ou chantage ?

« Retour à la décennie noire » : risque avéré ou chantage ?

« L’Algérie sera le tombeau de l’intégrisme », prédisait dans les années 90 un responsable de la lutte antiterroriste. Vingt après la signature d’un accord entre l’ANP et une partie des groupes armés représentés par l’AIS de Madani Mezrag et Ahmed Benaïcha, la prédiction s’est-elle réalisée?

Incontestablement, l’armée a brisé le terrorisme et revendique cette victoire. Pourtant, le discours politique continue de faire croire à une survivance de l’extrémisme. Il peut rejaillir, pronostique-t-on sous la forme de la « décennie noire », voire même du chaos syrien. On parle moins de la Libye où Kadhafi a fini terré dans une canalisation avant de rencontrer son cruel destin.

Risque avéré ou chantage ? En tout cas, les partisans du 5e mandat, à commencer par le président de la République et le chef d’état-major de l’armée, n’hésitent pas à agiter ce spectre devant les citoyens de plus en plus nombreux à rejoindre les cortèges des manifestants et face à la communauté internationale que verrait l’Algérie basculer encore dans l’instabilité.

L’ambassadeur d’Algérie à Paris Abdelkader Mesdoua, dont le propre fils jubile à la vue de ces cortèges en rêvant d’un « changement générationnel », a poussé l’audace jusqu’à prévoir des hordes de barbares débarqués dans les banlieues françaises en cas de retrait de Bouteflika. Simple hypothèse : et si le chef de l’Etat venait à être rappelé à Dieu, évidence que le mystique qu’il est ne doit pas manquer d’envisager pour chaque instant ? Sauf à fourbir un autre projet que ses zélateurs auraient peut-être déjà ficelé. Et puis, si les intégristes l’emportent, ils n’auront pas besoin d’envahir les banlieues de Paname.

A bien observer la situation pourtant, le spectre tient plus du chantage que d’une menace réelle. L’islamisme est en plein reflux après avoir connu son apogée dans les années 90. Son expansion découlait à la fois de la révolution iranienne et de la fin du communisme en Afghanistan où le président Mohammed Najibullah fut renversé en 1992 subséquemment à l’effondrement de l’URSS.

En Algérie, l’islamisme violent est d’abord le produit d’une manipulation. En 1988, pendant que brûlaient les symboles du pouvoir sous les coups de tison des manifestants, la Sécurité militaire avait lancé ses hommes contre les militants progressistes, arrêtés et torturés par centaines. Pour éteindre l’incendie qui se propageait malgré la proclamation de l’état d’urgence et le déploiement de l’armée qui a tiré sur la foule, le président Chadli eut l’incroyable idée d’ouvrir les portes de la présidence de la République aux chouyoukh, parmi lesquels Abassi Madani.

Ce fut un cadeau divin. Chadli venait d’offrir aux islamistes la direction d’une insurrection sans leaders. Ils n’avaient joué aucun rôle dans son déclenchement mais le rendez-vous à la présidence était un acte de légitimation. La suite sera pain bénit.

Les islamistes créent le Front islamique du Salut (FIS) qui sera reconnu au mépris de la Constitution. La loi fondamentale énonçait clairement qu’on ne pouvait pas créer un parti sur « une base religieuse ». Pourquoi cette mansuétude? Parce que la présidence était animée par un calcul sordide. Le « parti de Dieu » reconnu, on l’encouragea à prospérer en toute liberté, ne mettant aucune limite à ses menaces et à ses violences. Le but était de gonfler à l’hélium cet épouvantail hideux pour faire apparaître le FLN comme le recours. En 1990, il gagne les élections locales. On vit disparaître du fronton des édifices publics la devise républicaine remplacée par « baladia islamiya ». « L’administration est en train d’ensemencer les germes de la guerre civile », avait averti un dirigeant de l’opposition. Il n’a pas été écouté.

Un an après, c’est le rendez-vous des législatives. Mais le FIS ayant manifesté des désirs d’émancipation, on décide de le brider grâce à une loi sur le découpage électoral taillée spécialement pour une victoire du FLN. Pas dupe, le FIS lance une grève politique. Il demande l’annulation de la loi et réclame l’organisation d’élections législatives et présidentielle en même temps. Chadli était brocardé sous le sobriquet de « mesmar Djeha » (clou de Djeha) qu’il fallait absolument arracher. Dans les rues, les légions islamistes criaient « mesmar Djeha, lazem yatnaha« . Mais l’arrache-clou fut ôtée de leurs mains par l’armée qui a décrété l’état d’urgence et arrêté les principaux dirigeants du FIS. C’est à ce moment que se formèrent les premiers groupes armés, comme le dira plus tard Mansouri Méliani exécuté après sa condamnation à mort. Dans ses prêches, Abassi Madani disait que ses « soldats » allaient même « bouffer » les chars de l’ANP.

L’affaire était une aubaine pour le pouvoir. En faisant appel à la violence, le FIS avait fourni les motifs légitimes de sa dissolution. Au lieu de cela, le pouvoir tergiverse et s’entête à vouloir affaiblir politiquement le FIS, déjà diminué de ses leaders incarcérés. Il décide de l’entraîner dans de nouvelles élections législatives sur la base d’un bancal sondage qui donnait le FIS défait. Mais ce dernier triomphe contre toute attente, avec la promesse de pendre les généraux sur la place publique. La République islamique désormais à porte d’urnes, le pouvoir est pris de panique décide de tout annuler. Privés de leur victoire, les « fous de Dieu » passent pour des victimes devant l’opinion mondiale. Le terrorisme deviendra même de la « résistance légitime » face à ce qui passe comme une « spoliation ».

Quand les groupes armés furent écrasés, le pouvoir décide de négocier avec leurs résidus. En réalité, leur éradication n’a jamais été à l’ordre du jour parce que l’épouvantail doit pouvoir être agité à n’importe quel moment. « C’est nous ou eux », comme on nous le dit aujourd’hui.

La menace, pour l’instant, n’a pas l’air de faire trembler. On défile ensemble en mini jupe ou en hidjab, en costume ou en qamis. Ali Belhadj s’égosille devant un petit cercle de fidèles. Les cheikhs cathodiques des chaînes privées ont moins de résonance que les jeunes sur les réseaux sociaux. S’il n’est pas mort, l’intégrisme est au moins dans un état comateux dans le pays. S’il n’est pas réanimé, l’Algérie sera bien son « tombeau » comme promis il y a plus de 20 ans.

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