Le procès du dossier des usines de montage automobile et du financement occulte de la campagne électorale de Bouteflika tire vers la fin. Il ne reste plus qu’à connaitre les peines dont écoperont les prévenus. Le verdict est attendu pour ce mardi 10 décembre.
Dans son réquisitoire, dimanche, le procureur a requis de lourdes peines à l’encontre de tous les accusés, particulièrement les anciens Premiers ministres Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal et l’ancien ministre de l’Industrie en fuite, Abdeslam Bouchouareb, contre lesquels vingt ans d’emprisonnement ont été demandés.
Les deux autres anciens ministres de l’Industrie, Mahdjoub Bedda et Youcef Yousfi, encourent, eux, quinze ans de prison, les hommes d’affaires Ali Haddad, Ahmed Mazouz, Mohamed Bairi et Hassan Larbaoui, dix ans, le fils de Sellal huit ans…
À la fin des plaidoiries des avocats, dimanche soir, la parole a été donnée aux accusés. Tous ont réitéré leur innocence, mais on retient surtout les supplications et les larmes de Abdelmaek Sellal.
« Je vous supplie, ne me laissez pas finir mes jours en prison. J’ai servi l’État pendant 47 ans, je ne suis pas un corrompu… ». On ne sait pas si le tribunal, qui délibère ce lundi, se laissera attendrir, mais il reste que les faits tels que dévoilés pendant l’audience sont « catastrophiques », pour reprendre l’appréciation du procureur.
Par les agissements des prévenus, responsables ou hommes d’affaires, le Trésor public a subi des pertes énormes, estimées à près de 130 milliards de dinars (13.000 milliards de centimes, près de 1 milliard d’euros), selon le procureur.
Les sociétés de Hassan Larbaoui qui possède l’usine Kia à Batna, ont causé la plus grosse perte (87 milliards DA), celles de Mazouz (39 milliards) et le groupe Ival de Bairi Mohamed (1 milliard DA).
Le parquet est arrivé à la conclusion qu’il n’y a jamais eu d’industrie d’assemblage automobile, accusant certains hommes d’affaires d’avoir monté des sociétés écrans pour bénéficier d’avantages fiscaux, douaniers et fonciers.
Cela, sans aucune incidence positive pour le marché ou le consommateur puisque, et les Algériens l’auront relevé bien avant ce procès, les prix des véhicules montés localement sont plus élevés que ceux qui étaient importés.
Abdeslam Bouchouareb, ministre de l’Industrie entre 2014 et 2017, est le plus cité et il a été enfoncé par les cadres ayant travaillé sous sa coupe. C’était lui, selon les conclusions du parquet et les divers témoignages, qui chapeautait directement la commission chargée de statuer sur les dossiers des postulants.
Les 2300 milliards de Bouchouareb
La commission était « fictive », a conclu l’enquête et les professionnels tels que les groupes Achaibou ou Cevital, entendus comme partie civile, se sont retrouvés éliminés en faveur d’autres opérateurs proches du ministre. Sellal a avoué qu’il n’avait aucune autorité sur son ministre.
En fuite à l’étranger, Bouchouareb n’a pu être entendu, notamment sur les deux retraits astronomiques qu’il a effectués et dont les enquêteurs ont trouvé la trace : 10 puis 13 milliards de dinars (un total de 2300 milliards de centimes).
Pour l’accusation, il n’y a pas de doute, c’est du blanchiment. Omar Rebrab, est une des victimes de la machination pour s’être vu retirer la représentation de la marque Hyundai, au profit de Tahkout.
Rebrab et Achaibou ont rapporté à la barre l’explication qu’ils ont entendue de leurs partenaires étrangers, Hyundai et KIA : « Votre problème est politique. Les autorités de votre pays ne veulent pas nous voir traiter avec vous ».
Les successeurs de Bouchouareb ont continué à gérer le dossier de la même manière. Du moins, ils n’ont rien fait pour mettre fin au bradage. Mahdjoub Bedda a avoué qu’il a continué à travailler avec la commission technique héritée de son prédécesseur.
Le ministère de l’Industrie se révèle être un véritable guêpier : Bedda n’y a passé que deux mois et demi et se retrouve sous la menace de quinze ans de prison. Il est vrai qu’il n’a pas pu justifier l’origine des fonds retrouvés dans ses neuf comptes bancaires, sa propriété immobilière à Alger et ses deux entreprises d’édition.
Des faits tout aussi graves sont reprochés à Ouyahia et Sellal. Celui-ci a, selon l’accusation, supervisé « en personne » le dossier du montage automobile sans en informer la Présidence et, plus grave, son fils est entré dans le capital du groupe Mazouz à hauteur de 23%, sans contrepartie. Ahmed Ouyahia est soupçonné de blanchiment d’argent pour n’avoir pas pu justifier l’origine des fonds qui ont transité par son compte, soit 30 milliards de centimes.
Yamina Zerhouni, ex-wali de Boumerdès, encourt, elle, une peine de 10 ans de prison ferme pour son implication dans l’octroi d’un terrain agricole à l’opérateur Bairi Mohamed, tandis que plusieurs fonctionnaires du ministère de l’Industrie, qui ont joué un rôle dans l’étude des dossiers et l’octroi des autorisations, le procureur a requis contre eux une peine de huit ans fermes. Il s’agit de Boudjemaâ Karim, Agadir Omar, Tira Amine, Abdelkrim Mustapha et Mekraoui Hassiba.
Le coût du cinquième mandat
La contrepartie de toutes ces largesses ne se limite pas aux parts offertes gracieusement au fils de Sellal, aux fonds à l’origine inconnue d’Ouyahia ou à la villa de Bouchouareb. Elle est aussi, et surtout, dans les sommes astronomiques engagées pour le financement de la campagne électorale pour le cinquième mandat de Bouteflika.
Le cerveau de l’opération, selon les conclusions du parquet, semble être Ali Haddad qui, paradoxalement, n’avait aucune qualité officielle dans la direction de campagne.
L’ex-président du FCE a affirmé qu’il travaillait sous les ordres directs du frère du président, Saïd Bouteflika, mais celui-ci, ramené à la barre samedi soir de sa cellule à la prison militaire de Bilda (où il purge une peine de quinze ans pour d’autres faits), a refusé de témoigner.
Il ne reste donc que les faits et ceux-ci incriminent directement le propriétaire de l’ETRHB. C’est lui qui a pris attache avec les hommes d’affaires pour solliciter leur générosité, à la demande, selon lui, du même Saïd Bouteflika.
Les donateurs s’appellent Ahmed Mazouz (39 milliards de centimes), Hassan Arbaoui (20 milliards), Bellat (1 milliard), Benhamadi (5 milliards) et Said Hichem (10 milliards). Le compte est bon : 75 milliards de centimes collectés en quelques jours pour financer le cinquième mandat d’un homme à bout de force. En attendant le jugement des autres affaires dans lesquelles sont impliqués ces donateurs, la tentative de Bouteflika de garder le pouvoir pour cinq ans de plus aura déjà coûté un milliard de dollars au Trésor public.
Les 75 milliards collectés ont été déposés dans deux comptes au nom de Abdelmalek Sellal, directeur de campagne, puis de Abdelghani Zaâlane, son successeur à partir du 2 mars après la divulgation d’une discussion compromettante entre Sellal et Ali Haddad.
Le procureur a relevé que cela constitue une entorse à la loi portant régime électoral « qui prévoit l’ouverture d’un seul compte ». Un autre nid de guêpes. Zaâlane n’a passé que neuf jours à la tête de la direction de campagne et risque de passer les dix prochaines années de sa vie en prison.
C’est du compte à son nom que Ali Haddad a procédé au retrait de 19 milliards de centimes, déposés au siège de la permanence électorale puis transférés vers le bureau de Haddad à l’ETRHB. Toujours à la demande de Saïd Bouteflika qui craignait que l’argent soit volé, explique l’ancien président du FCE.
Les autres protagonistes de ce financement occulte s’appellent Chaib Haboud, financier de la campagne, Malek Hadj Said, cadre de l’ETRHB et un certain Ourani Ahmed. Ils encourent chacun dix ans d’emprisonnement, au même titre qu’Ali Haddad.
D’autres noms ont été cités, notamment pour blanchiment d’argent, à l’image de Nemroud Abdelkader, Senaï Mustapha, Senaï Karim et Senaï Sofiane. Le parquet a requis huit ans fermes à leur encontre. Le témoignage de Saïd Bouteflika aurait sans doute aidé à mieux comprendre la mécanique des financements occultes de la campagne de son frère, hélas il n’a ni confirmé ni infirmé les propos de son ami Ali Haddad.